Le chef libéral Justin Trudeau aime les débats vigoureux. Le choc des idées ne lui fait pas peur. Des trois joutes oratoires qui ont eu lieu durant la campagne électorale, il affiche une très nette préférence pour le Face-à-face organisé par le réseau TVA.

Selon lui, ce débat animé par Pierre Bruneau a permis aux chefs des quatre principales formations politiques de se prononcer sur les grands enjeux, de mettre en relief les différences entre les engagements du Parti libéral, du Parti conservateur, du Bloc québécois et du NPD sur la crise climatique, la relance économique et le financement de la santé. Plus encore, ce débat leur a donné assez de temps pour plaider leur cause.

En somme, ce débat… fut un débat !

« Je regrette profondément de le dire pour des raisons bien compliquées. Mais c’est vraiment le débat de TVA que j’ai préféré parce que ça a permis beaucoup plus d’échanges directs entre les chefs », a lancé M. Trudeau durant une rencontre éditoriale avec La Presse jeudi.

Des raisons compliquées ? Le chef libéral n’a pas voulu s’étendre sur la couverture politique faite par les médias de Québecor depuis son arrivée au pouvoir.

PHOTO MARTIN CHEVALIER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les chefs de parti invités et le chef d'antenne Pierre Bruneau lors du Face-à-face de TVA, le 2 septembre

Mais cela ne l’a pas empêché de ressasser quelques souvenirs des premiers débats auxquels il a participé quand il était simple candidat dans la circonscription de Papineau, en 2008.

« Oui, ça me manque d’être dans un débat comme candidat dans Papineau avec neuf personnes, y compris le candidat marxiste-léniniste, où on peut vraiment avoir des échanges un peu plus corsés », a-t-il laissé tomber, sourire en coin.

Il se rappelle aussi quand il a croisé le fer pour la première fois durant la campagne électorale de 2015. Ses adversaires étaient de taille : le conservateur Stephen Harper et le néo-démocrate Thomas Mulcair. Le débat organisé par le Centre Monk portait sur un seul thème : les affaires étrangères. Les attentes à son endroit étaient peu élevées. Un stratège conservateur sarcastique avait affirmé que si Justin Trudeau se présentait sur la scène avec son pantalon, il dépasserait les attentes des Canadiens. Ce débat a marqué le début d’une campagne victorieuse.

« On a pu avoir des échanges corsés avec une salle pleine de personnes qui réagissaient en riant ou en huant. C’était poli, mais il y avait un vrai débat. Pour moi, des débats comme cela, ce serait idéal », a-t-il avancé.

Durant l’entrevue accordée à La Presse, il n’était visiblement pas nécessaire de lui demander de quel débat il se serait volontiers passé durant la présente campagne. La réponse était évidente.

Ceux organisés par le consortium des médias, sous l’égide de la Commission des débats des chefs, n’ont pas permis des échanges suffisants entre les chefs, en particulier celui en anglais.

Le débat en anglais – le seul à s’être déroulé dans l’autre langue officielle du pays – a marqué un tournant dans la campagne électorale au Québec. En lever de rideau, la modératrice Shachi Kurl a posé une question qui tue.

Elle a interpellé le chef bloquiste Yves-François Blanchet au sujet des mesures législatives « discriminatoires » que seraient la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 ») et le projet de loi 96 sur la langue française. La question tendancieuse a provoqué un tollé au Québec qui persiste une semaine plus tard.

« En anglais, c’était plus difficile de répondre directement à Erin O’Toole. J’avais une réponse aux accusations qu’il venait de lancer. Mais on ne me donnait que cinq secondes parce qu’on devait passer à la prochaine question. À un moment donné, c’était un peu frustrant parce que les gens doivent voir les échanges entre les chefs », a-t-il dit.

Je ne veux pas me plaindre. C’est moi, le premier ministre, et tout le monde doit essayer justement de m’attaquer. Mais ne pas pouvoir répondre aux attaques, c’était la chose la plus difficile pour moi.

Justin Trudeau, chef du Parti libéral du Canada

La Commission des débats des chefs a été établie par le gouvernement de Justin Trudeau après les élections de 2015 pour mettre un peu d’ordre dans ces rendez-vous électoraux. Stephen Harper avait choisi cette année-là de boycotter le débat en anglais proposé par le consortium des réseaux de télévision. Mais voilà que cette nouvelle créature a permis un dérapage qui pourrait avoir de lourdes conséquences lundi. Justin Trudeau le reconnaît en son for intérieur.

« Après cette question inacceptable au débat en anglais qui soulève les passions nationalistes, on voit un peu une montée du Bloc québécois et cela me préoccupe. Le Bloc n’a pas pu tenir tête à Stephen Harper, et Erin O’Toole faisait partie de son cabinet quand Harper a coupé dans la culture, quand il a sabré les protections environnementales, quand il s’est attaqué aux aînés ou aux familles, quand il a augmenté l’âge de la pension de vieillesse à 67 ans », a-t-il affirmé à la toute fin de l’entrevue.

« Le Bloc n’a pas pu empêcher cela. Et ce que ça prend pour lutter encore plus fort contre les changements climatiques, pour protéger nos communautés, pour bâtir un pays plus fort, c’est un gouvernement avec plein de Québécois impliqués, avec des valeurs progressistes au sein de ce gouvernement. Choisir l’opposition, les gens peuvent le faire. Mais choisir un gouvernement, c’est cela qui va nous permettre de vivre dans un pays qui nous ressemble et qui nous rassemble. »