(Ottawa) Le 4 septembre, il ne restera plus que quelques semaines avant que les Canadiens se rendent aux urnes, si Justin Trudeau déclenche comme prévu ce week-end des élections en vue d'un scrutin le 20 septembre.

Le 4 septembre, cela fera aussi 1000 jours que l’ancien diplomate canadien Michael Kovrig et son compatriote Michael Spavor, entrepreneur, sont détenus en Chine. Accusés d’espionnage par Pékin, ils croupissent en prison depuis que les autorités canadiennes ont arrêté, à la demande des États-Unis, en décembre 2018 à Vancouver, la directrice financière du géant chinois des télécommunications Huawei, Meng Wanzhou.

Les États-Unis réclament l’extradition de Mme Meng parce qu’elle aurait menti au sujet du contrôle de Huawei sur une autre entreprise qui brassait des affaires en Iran, en violation des sanctions américaines contre Téhéran.

PHOTO MARK SCHIEFELBEIN, ASSOCIATED PRESS

Les photos de Michael Kovrig et de Michael Spavor apparaissent à l'écran lors de l'annonce de la condamnation de ce dernier, à l'ambassade du Canada en Chine.

En règle générale, les affaires étrangères représentent rarement un enjeu dominant durant une campagne électorale. Mais le cas des deux Michael, qui soulève l’indignation et l’inquiétude aux quatre coins du pays, pourrait bien être l’exception qui confirme cette règle. La pression sur le gouvernement libéral de Justin Trudeau pour obtenir leur libération s’accentue, surtout depuis que le gouvernement chinois a condamné, d’une façon « injuste » et « inacceptable », Michael Spavor à 11 ans de prison, mercredi.

Le régime communiste chinois a démontré à maintes reprises dans le passé qu’il sait choisir le moment stratégique pour imposer des sanctions commerciales contre un pays qui l’irrite ou annoncer des peines de prison contre des ressortissants étrangers détenus en Chine.

Il l’a démontré en 2019 quand Pékin a imposé des restrictions aux exportations canadiennes de porc et de canola à quelques mois des élections fédérales. La Chine l’a encore fait cette semaine en annonçant la peine imposée à Michael Spavor au terme d’un simulacre de procès, au moment où le premier ministre Justin Trudeau s’apprête à déclencher des élections, et au moment où les audiences sur l’extradition de Mme Meng à Vancouver tirent à leur fin.

Hausser le ton, sans froisser

Jusqu’ici, les moyens de pression exercés par le Canada par les canaux diplomatiques n’ont pas eu d’effet tangible. Au début de l’année, le ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, a réussi à rallier une soixantaine de nations à la Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d’État à État, dont les États-Unis, la France et l’Australie. Cette initiative visait la Chine sans la nommer. Le régime communiste a exprimé son irritation, mais cela n’a pas changé le sort des deux Michael.

En avril, le Canada a emboîté le pas à ses alliés américains et européens en imposant une série de sanctions économiques contre quatre fonctionnaires et une entité chinoise en raison « de leur participation à la persécution de la minorité musulmane ouïghoure dans la région autonome du Xinjiang ». Le geste a été dénoncé par le régime chinois, mais les sanctions n’ont pas entraîné un changement de ton.

Également en avril, l’ambassadeur du Canada en Chine, Dominic Barton, s’est rendu discrètement à Washington afin de convaincre l’administration Biden d’accepter un accord de poursuite différée qui permettrait à Mme Meng de retourner en Chine en échange d’une reconnaissance de culpabilité. Selon le quotidien The Globe and Mail, l’ambassadrice du Canada à Washington, Kirsten Hillman, a participé à ces pourparlers qui devaient aboutir au départ de Mme Meng du Canada en échange de la libération des deux Michael.

Interrogé à ce sujet, mercredi, le chef de la diplomatie canadienne, Marc Garneau, a refusé de donner des détails, se bornant à dire que les deux ambassadeurs poursuivaient leurs efforts pour obtenir le retour au pays des deux Canadiens.

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Trudeau a graduellement haussé le ton envers la Chine. Mais il a aussi multiplié les contorsions pour éviter de trop froisser le régime chinois. Des exemples ? Il n’a toujours pas décidé s’il permettra au géant chinois Huawei de participer au déploiement de la technologie 5G au Canada, même si ses principaux alliés l’ont écarté pour des raisons de sécurité il y a belle lurette. Cette décision traîne depuis trois ans.

En février, Justin Trudeau et ses ministres se sont aussi abstenus lors du vote sur une motion du Parti conservateur, adoptée à l’unanimité par les Communes, qui reconnaît qu’un « génocide » est actuellement perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïghours et « d’autres musulmans turciques ».

Les Jeux olympiques, un « levier de pression incroyable »

De l’avis de plusieurs observateurs de la diplomatie canadienne, le gouvernement Trudeau doit maintenant se montrer intraitable envers la Chine. C’est le cas de Colin Robertson, qui a travaillé aux consulats du Canada à New York et à Los Angeles et qui est aujourd’hui vice-président de l’Institut canadien des affaires mondiales. « Le Canada doit adopter des sanctions qui ont plus de mordant », a-t-il notamment affirmé mercredi sur les ondes de CBC Newsworld.

Dans ce contexte, le député de Lac-Saint-Jean, le bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, revient à la charge avec sa proposition formulée dans une lettre ouverte au début de l’année. Selon lui, il faut absolument déplacer les Jeux olympiques d’hiver prévus en Chine au début de 2022 dans un autre pays, ou encore les suspendre jusqu’à nouvel ordre.

En février, la lettre de M. Brunelle-Duceppe sur « les Jeux de la honte » a fait grand bruit. Elle a été signée par une trentaine d’élus canadiens et québécois. Elle a été approuvée par le médaillé olympique Jean-Luc Brassard, le Centre consultatif des relations juives israéliennes et le Uyghur Rights Advocacy Project, entre autres. Elle a aussi eu des échos à l’étranger.

« Ce que l’on vient de voir au cours des deux derniers jours, ce sont des ajouts à la violation des droits de la personne encore une fois par ce régime qui est complètement tyrannique. Ce régime viole les droits humains à longueur de journée », a affirmé mercredi le député bloquiste.

« Je continue de croire qu’il faut relocaliser les Jeux olympiques. On me dit que je suis fou parce que c’est dans six mois. Mais à ce que je sache, les Jeux olympiques de Tokyo ont été repoussés d’un an à cause d’une pandémie. On pourrait les repousser tant que la Chine continue à bafouer les droits humains. On pourrait très bien les relocaliser dans un an si la situation ne change pas », a-t-il ajouté.

Sa lettre faisait elle-même suite à un appel de quelque 180 groupes de défense des droits de la personne à boycotter les Jeux de Pékin, qui devraient débuter le 4 février 2022.

Au bout du fil, M. Brunelle-Duceppe s’emporte en pensant que la Chine pourrait être l’hôte de cet évènement sportif grandiose.

Pourquoi on a été capables de retarder les Jeux olympiques de Tokyo d’un an à cause d’une pandémie ? Est-ce qu’un génocide, c’est moins grave qu’une pandémie ?

Alexis Brunelle-Duceppe, député du Bloc québécois

« Les sanctions économiques, on voit bien que ça n’arrête pas le régime chinois. Ce qui leur ferait le plus mal, c’est leur image à l’international. Et les Jeux olympiques, ce n’est pas seulement pour nourrir leur image à l’international, mais c’est une façon aussi de contrôler encore plus la population en disant : “Voyez, tout va bien. Les gens viennent faire le party chez nous.” C’est un levier de pression incroyable qu’on a. »

Partisan de la ligne dure envers la Chine, le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, a déjà fait valoir que les Jeux olympiques ne devraient pas avoir lieu à Pékin.

« Cela violerait les principes éthiques fondamentaux de participer à des Jeux olympiques organisés par un pays qui commet un génocide contre une partie de sa population », a-t-il affirmé en février.

À l’approche de la campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau oseront-ils lancer le même appel d’urgence au Comité international olympique ?