Avec des élections fédérales à nos portes, dans les coulisses, les armées s’activent pour trouver des candidats jouissant d’une certaine notoriété. Les choix se font, souvent, aux dépens de fidèles partisans qui travaillaient depuis des années une circonscription intéressante. Le scénario, récurrent, va se répéter dans la région de Québec pour le choix du candidat libéral dans Beauport–Limoilou.

De la candidate, devrait-on dire. Car selon des informations de première main, Julie Lemieux, qui avait été élue dans l’équipe municipale de Régis Labeaume, de 2009 à 2017, vient de signifier aux organisateurs du Parti libéral du Canada (PLC) qu’elle portera les couleurs du parti si des élections sont déclenchées à l’automne.

C’est une très grosse carte qu’abattront les libéraux dans la région de Québec. Ex-journaliste du Soleil, Julie Lemieux était devenue conseillère avec Équipe Labeaume dans ce secteur de Beauport aux élections municipales de 2009. Elle était devenue numéro deux, vice-présidente du conseil exécutif, en 2014, avant de quitter la politique en 2017. Pendant un bon moment, elle était manifestement perçue comme la relève toute désignée comme mairesse au moment du départ de Régis Labeaume. Mais les relations avaient fini par se détériorer entre les deux bêtes politiques.

Elle avait choisi de jeter l’éponge et, après un passage au Musée de la civilisation, elle est devenue la PDG de la Fondation Enfant-Soleil. Un franc succès là aussi – le téléthon de l’organisation a récolté une somme record de 20,5 millions à la fin mai. Lemieux hésitait alors énormément à retourner en politique ; son conjoint, un architecte, était carrément réfractaire à l’idée.

Le vent a tourné il y a quelques jours, mais elle tenait mordicus à ce que son nom ne soit pas dévoilé au cas où, à cause des sondages, Justin Trudeau décide finalement de ne pas déclencher les élections.

Comme toujours dans ces situations, les principaux acteurs ne répondent pas aux coups de fil. Joint par La Presse, MMathieu Bouchard, un des principaux responsables de la campagne du PLC au Québec, se contente d’un « pas de commentaires ».

Déception pour l’ancien candidat

Mais on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Et dans ce cas-là, une douzaine y est passée. Pour assurer qu’il n’y aurait pas d’investiture dans la circonscription, les organisateurs du PLC ont eu fort à faire, confie-t-on, pour convaincre Antoine Bujold de ne pas briguer la candidature libérale. Bujold avait été défait dans la même circonscription aux élections fédérales de 2015 et de 2019, mais gardait ses contacts actifs pour préparer son retour à la première occasion. Son père, Rémi Bujold, ancien député de Bonaventure–Îles-de-la-Madeleine, avait été ministre dans l’éphémère gouvernement de John Turner après avoir été président du caucus. Il avait été chef de cabinet de Robert Bourassa à la fin des années 1980 et organisateur de Michael Ignafieff pour le Québec, un poste où il avait succédé à Denis Coderre. Il a toujours été actif au PLC.

Depuis des années, Rémi Bujold, patron de la firme de lobbyisme Consilium, était président de l’association du PLC dans Beauport–Limoilou, une position manifestement destinée à favoriser le retour de son fils comme candidat. Pas de colère, mais beaucoup d’amertume dans le clan Bujold. Antoine ne briguera pas l’investiture.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE MANON ROY

L’ancien candidat libéral Antoine Bujold

Une déception qui pouvait être prévue ; il avait déjà mordu deux fois la poussière dans cette même circonscription, qui a fréquemment changé d’allégeance. Autre élément dérangeant, confient certains : à titre de lobbyiste, Consilium compte comme cliente la firme chinoise Huawei, dont se méfient profondément Ottawa et Washington. Mais ces explications passent au second plan derrière une évidence : en annonçant une candidate aussi connue que Julie Lemieux, le PLC aura tout à coup l’air d’avoir le vent dans les voiles dans la région de Québec.

Ottawa-Centre, point de chute risqué

L’atterrissage des vedettes dans une circonscription est toujours un passage délicat pour un parti. Les libéraux le vivent actuellement dans Ottawa-Centre, circonscription sûre laissée vacante par la ministre Catherine McKenna.

C’était le point de chute idéal pour une candidature prestigieuse comme celle de Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada, qui avait même été recruté par le Royaume-Uni pour des fonctions tout aussi névralgiques. Or, dans cette circonscription historiquement libérale, des militants locaux viennent de faire savoir qu’ils ne se feraient pas imposer qui que ce soit. Surtout, le député libéral provincial de l’endroit a fait savoir qu’il allait se porter candidat.

PHOTO SIMON DAWSON, ARCHIVES BLOOMBERG

Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada

Ces investitures contestées finissent souvent dans la division. Justin Trudeau avait reçu une gifle quand sa vedette désignée, l’ex-ministre provinciale Yolande James, avait mordu la poussière devant une candidate aussi inconnue que locale, dans Saint-Laurent, en 2017. À chaque campagne ses chicanes ; les plus vieux se souviendront du moment où Jean Chrétien a imposé Marcel Massé dans Hull, écrasant les orteils du candidat Tony Cannavino.

Dans Beauport–Limoilou, Julie Lemieux fera la lutte à la bloquiste Julie Vignola, qui avait sauté dans l’arène à la dernière minute en 2019. Elle n’avait guère de racines dans la circonscription, qui a aussi la réputation de ne pas être fidèle au député sortant au moment des élections. Au scrutin de 2019, Mme Vignola avait décroché 30,4 % des suffrages, tandis que le libéral et le conservateur avaient chacun obtenu 26 % des voix.