(Montréal et Roberval) Les évacuations dues aux incendies de forêt fragilisent encore davantage les travailleurs étrangers temporaires, qui risquent de perdre leur statut ou leur gagne-pain, s’inquiètent des juristes et le milieu communautaires. Ils réclament des mesures protégeant ces travailleurs, en pleine crise dans le nord de la province.

« Je ne sais pas ce qui va arriver parce que cette semaine, j’étais censé être en stage », lance Silver Nana, arrivé au mois d’avril dernier, dans le nord du Québec. Il s’inquiète notamment pour la formation qu’il suit actuellement afin de devenir préposé aux bénéficiaires.

Son cas n’est pas unique, selon le Centre des travailleurs immigrants (CTI). « On est préoccupés par ce qui va se passer avec leur statut s’ils ne peuvent pas continuer à travailler après tout ça. Des fois, eux-mêmes ne connaissent même pas bien leur situation ni le programme auquel ils sont affiliés. Il faut les protéger et s’assurer qu’ils comprennent bien ce qui se passe », explique à La Presse l’organisateur communautaire du regroupement, Manuel Salamanca Cardona.

À ses yeux, « très peu d’informations ont pour l’instant filtré » sur les « directives exactes du gouvernement » en la matière. « On sait qu’ils ont pris des mesures d’urgence, mais pour la suite, il faut une approche particulière. La langue est souvent un enjeu, donc il faut s’assurer de les soutenir, pour faire en sorte qu’ils se sentent protégés là-dedans », poursuit le porte-parole.

À Chicoutimi, notamment, le cégep « est prêt à accueillir des travailleurs étrangers temporaires évacués », mais selon le CTI, « personne n’est encore arrivé ». L’organisme craint que l’information ne se rende pas aux bonnes personnes.

« Nombreux obstacles »

Chez Justice Pro Bono, la directrice générale de l’organisme, MAnne-Marie Santorineos, se dit aussi préoccupée. « Il faut savoir ce que les gouvernements vont faire. On craint que ce soit au niveau de leur statut que ça va devenir encore plus précaire. S’ils ne peuvent plus travailler pour l’entreprise avec un permis fermé, le travailleur ne peut pas aller travailler pour un autre employeur », lance-t-elle.

« On l’a vu pendant la COVID-19 : ça prend une facilitation pour leur permettre d’avoir rapidement un autre permis de travail ou d’autres possibilités », insiste MSantorineos, dont le groupe a justement lancé jeudi un nouveau service juridique pour permettre aux travailleurs temporaires de mieux connaître leurs droits.

Une nouvelle ligne téléphonique sans frais vient d’être mise en service pour que ces travailleurs puissent parler rapidement à une avocate qui répondra gratuitement à leurs questions partout au Québec. En français, en anglais ou en espagnol, il suffit d’écrire au 438 337-6002 via WhatsApp, ou encore de téléphoner à la ligne sans frais au 1 866 999-4881.

À Ottawa, le ministère fédéral de l’Immigration se dit à la recherche de solutions pour aider les travailleurs étrangers temporaires affecté par les feux. Il pourrait, par exemple, transformer les permis fermés en permis ouverts ou leur accorder une extension. Des détails devraient être annoncés rapidement, a-t-on indiqué jeudi au cabinet du ministre Sean Fraser.

« C’était terrifiant »

Des étudiants étrangers, croisés au refuge de Roberval, affirment qu’ils n’avaient jamais vu d’incendie de forêt de leur vie avant d’être évacués de Chibougamau.

« Il y avait beaucoup de fumée, c’était terrifiant », lance Kabore Hassane, un étudiant en traitement du minerai au Centre de formation professionnelle de la Baie-James, à Chibougamau. « C’était difficile de voir au loin et de respirer », poursuit l’homme du Burkina Faso arrivé au Québec en janvier dernier.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Kabore Hassane, étudiant en traitement du minerai au Centre de formation professionnelle de la Baie-James, à Chibougamau

Dans toute cette histoire incroyable, Kabore Hassane et Silver Nana se trouvent chanceux : quelques heures après leur arrivée au refuge de Roberval, un homme de la région s’est porté volontaire pour les accueillir dans sa maison. Ils ont chacun une chambre individuelle et, surtout, beaucoup plus de calme que dans l’aréna.

Adrianne Bernaldo, lui, est l’un des 65 travailleurs philippins employés par Chantiers Chibougamau. L’homme, qui réside au Québec depuis 2021, a pris la route vendredi à 22 h 30 avec ses collègues, et est arrivé à 7 h le matin à Roberval. Il est actuellement hébergé dans une école de Métabetchouan–Lac-à-la-Croix. « Les gens sont vraiment gentils, on est chanceux qu’ils soient là pour nous. Ils sont vraiment sympathiques », lance-t-il en français. « D’autres Philippins sont hébergés à Chicoutimi, d’autres sont partis à Québec et à Toronto », ajoute-t-il. Il dit aussi que c’est « la première fois » qu’il a à vivre ça.

Frédéric Verreault, directeur du développement corporatif chez Chantiers Chibougamau, souligne que les ressources humaines de l’entreprise ont épaulé les 65 travailleurs philippins qui ont dû évacuer les lieux. « C’est leur première évacuation, leur premier épisode d’incendies de forêt. On était là pour les épauler et s’assurer qu’ils avaient un plan d’évacuation », affirme-t-il.

Avec la collaboration de Charles Lecavalier et de Mylène Crête, La Presse