Essentiels par les temps qui courent, les célèbres avions-citernes Canadair n’ont jamais fait courir les acheteurs. À plusieurs dizaines de millions de dollars pour un exemplaire, les livraisons se faisaient au compte-gouttes et la production a cessé en 2015 au Canada. Ce programme peut-il redécoller ? Une entreprise torontoise y croit.

« Théoriquement, il y a un marché, mais personne ne veut dépenser pour acheter l’appareil, souligne l’analyste américain Richard Aboulafia, directeur de la firme AeroDynamics. C’est ce qui est frustrant : la conception est parfaite pour l’usage. Mais c’est trop niché. »

Dans la tourmente financière à l’époque, Bombardier a fait ses dernières livraisons d’avions amphibies en 2015 avant de vendre ce programme – l’un des plus célèbres de l’histoire aérienne canadienne – à une filiale de De Havilland, établie à Toronto, l’année suivante.

L’entreprise québécoise n’a jamais livré plus de cinq exemplaires du Bombardier 415 en une année dans la décennie ayant précédé la fin de la production.

À ce moment, ce petit bombardier d’eau jaune et rouge se vendait environ 35 millions, selon les prix catalogue. À cela s’ajoutent les coûts d’exploitation – carburant, formation des pilotes et entretien annuel –, qui s’élevaient à 2 millions, selon une estimation effectuée en 2013 par la Rand Corporation, une firme qui conseille l’armée américaine.

« On ne fait pas des millions avec cela, estime l’expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill John Gradek. C’est un créneau spécialisé. »

La question, c’est : est-ce que l’on peut produire cet appareil de manière rentable ? C’est le défi qui est devant nous. Une ou deux livraisons par année, ça ne peut pas soutenir le programme.

John Gradek, expert en aviation

Reconnu mondialement dans la lutte contre les incendies de forêt, le CL-215 de Canadair est entré en service en 1960 avant d’être remplacé par le CL-415 en 1994. Ces appareils n’ont besoin que de 12 secondes pour accumuler entre 5000 et 6000 litres d’eau en effleurant la surface d’un lac ou d’un océan à grande vitesse.

Il y a peu de concurrents capables d’effectuer les mêmes tâches que les Canadair. Des entreprises comme Air Tractor et Thrush Aircraft construisent des avions de travail agricole qui peuvent également lutter contre les incendies de forêt. Des avions commerciaux comme le McDonnell Douglas DC-10 convertis ont aussi été mis en service, mais on en compte seulement quelques-uns.

PHOTO FOURNIE PAR L’U. S. FOREST SERVICE

Un McDonnell Douglas DC-10 converti pour combattre des incendies de forêt

Ces options sont cependant moins dispendieuses, selon M. Aboulafia.

« C’est une question de prix, tout simplement, affirme l’analyste américain. Le problème [des Canadair] est la concurrence. Aux États-Unis, c’est à la limite de la folie, on utilise des avions vieux de 50 ans que l’on modifie. »

De vieux Canadair

Québec possède 14 appareils, dont 8 cl-415. Élargir la flotte actuelle pourrait s’accompagner d’une facture de plusieurs centaines de millions si l’on souhaite acquérir des modèles plus récents.

Il y a aussi un autre obstacle : les prochaines livraisons n’auront pas lieu avant 2026 et 2027. De plus, ce sont essentiellement des clients européens qui recevront ces avions-citernes. Après des années de travail, De Havilland se prépare à relancer la production de ces appareils, rebaptisés DHC-515, à Calgary. Ils continueront d’être équipés de moteurs à hélices (PW100) construits par Pratt & Whitney Canada à Longueuil. Selon M. Gradek, le prix d’un exemplaire pourrait bien se chiffrer aux alentours de 60 millions – bien au-delà de celui d’un CL-415.

« On pense que le marché [mondial] est de quelques centaines d’avions », affirme le vice-président aux programmes chez De Havilland, Jean-Philippe Côté.

Nous pensons avoir des objectifs de livraison réalistes. Le téléphone sonne de plus en plus chez nous. Des pays qui n’ont jamais exploité d’avions-citernes s’y intéressent.

Jean-Philippe Côté, vice-président aux programmes De Havilland

En dépit de l’interruption de production, l’expertise canadienne en la matière ne s’est pas envolée, assure M. Côté. De Havilland peut toujours « trouver des solutions » pour obtenir les pièces manquantes afin d’effectuer l’entretien des CL-215 et CL-415. Sans aller jusqu’à dire que son gouvernement comptait acheter de nouveaux avions-citernes, le premier ministre François Legault a évoqué, plus tôt cette semaine, les difficultés en matière d’entretien pour les appareils plus âgés.

« C’est certain que quand on parle d’exemplaires qui ont 40 ou 50 ans, parfois, le fournisseur d’origine n’existe plus, souligne M. Côté. On peut mettre des solutions en place pour effectuer un nouveau design. Notre priorité est de nous assurer que la flotte existante puisse voler. »

De Havilland offre aussi une cure de rajeunissement aux propriétaires de la première génération d’appareils. Il s’agit d’un autre exemple qui témoigne du maintien de l’expertise, estime le vice-président de l’entreprise.

« C’est un projet qui prend typiquement une année, explique M. Côté. C’est vraiment une remise à neuf. On ouvre la structure, l’aile, on inspecte et on s’assure que tout le système est à jour. »

Le gouvernement québécois possède quatre CL-215 et deux CL-215T.

L’histoire jusqu’ici :

1966 : Québec commande 20 cl-215. Le gouvernement français emboîte le pas en achetant 10 appareils.

1994 : Bombardier redessine le CL-215 et décide de le rebaptiser CL-415.

2016 : L’avionneur québécois cède le programme des avions amphibies à Viking Air, filiale de De Havilland.

2022 : De Havilland dévoile son DHC-515, son avion-citerne de nouvelle génération.

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    C’est le nombre d’avions-citernes Canadair en service dans 10 pays. Il y en a environ 60 au Canada.
    de havilland