(Québec) D’ici « une semaine », Québec fera face à une situation « problématique » en raison d’une pénurie de pilotes pour conduire les avions-citernes essentiels à la lutte contre les incendies de forêt qui font rage au Québec. Cette pénurie est connue depuis longtemps, déplore le syndicat, qui demande de meilleurs salaires.

Ce qu’il faut savoir

  • Les 460 000 hectares de forêt brûlée au moment d’écrire ces lignes battent tous les records : jamais une saison d’incendies n’avait été aussi destructrice depuis la création de la SOPFEU, il y a près de 50 ans, et nous ne sommes qu’au début du mois de juin. C’est du « jamais-vu », souligne la ministre des Ressources naturelles, Maïté Blanchette Vézina.
  • Québec aura besoin de tout l’été pour les éteindre.
  • Le gouvernement veut doubler le nombre de pompiers sur le terrain grâce à de l’aide internationale.
  • La pénurie de pilotes risque de clouer des appareils au sol, alors qu’ils sont essentiels pour lutter contre les incendies de forêt.

« En ce moment au Service aérien gouvernemental (SAG), pour l’instant, ça va bien. Ils utilisent leurs chefs pilotes pour faire le travail des pilotes. À court terme, ça va bien, mais à long terme, ça va être problématique parce qu’ils vont atteindre leur temps de vol maximum. Le service aérien gouvernemental n’a pas réussi à recruter l’ensemble des pilotes requis pour sa mission », a indiqué le directeur du Centre provincial de lutte contre les incendies de forêt de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), Luc Dugas, lors d’un échange avec le premier ministre du Québec, François Legault.

Le premier ministre lui demandait si l’organisme avait tout les pilotes qu’il lui fallait pour combattre les incendies de forêt. M. Dugas a répondu qu’il y avait un manque de pilotes et de mécaniciens, notamment parce que des entreprises privées ont plus de moyens pour les recruter.

En point de presse, M. Legault a confirmé que la situation pourrait se corser « d’ici une semaine ». « C’est une question de temps de vol. Après un certain nombre de temps de vol, les pilotes doivent se reposer », a dit M. Legault. Il a souligné qu’il ne serait plus possible de demander aux pilotes de travailler tous les jours.

Pour l’instant, on utilise tous les appareils qu’on a. Il n’y a pas de manque de pilotes actuellement. Mais au bout d’une semaine, il va y avoir des enjeux.

François Legault

Mais la situation est connue depuis longtemps, déplore le syndicat de la fonction publique du Québec. Son président, Christian Daigle, attribue les difficultés aux salaires trop faibles. Le SAG demande une expérience plus importante pour les pilotes qu’il embauche, mais offre moins que le secteur privé, résume M. Daigle. « Les gens viennent pour prendre un peu d’expérience, puis vont gagner davantage ailleurs », dit-il.

Or, si Québec veut faire voler ses avions le plus souvent possible cet été pour éteindre les 150 incendies qui grugent la forêt québécoise, il devra embaucher plus de pilotes et de mécaniciens.

Pour les besoins de la population du Québec, on n’a pas de misère à s’asseoir rapidement pour trouver une solution immédiate et augmenter les conditions salariales des pilotes et des techniciens d’entretien pour embaucher rapidement.

Christian Daigle, président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec

Il affirme que depuis le début de l’année, le taux de roulement des pilotes du SAG est de 30 %. Il est de 50 % chez les copilotes depuis 2020. Et les ressources sont déjà étirées : sept retraités sont « venus prêter main-forte » à la SOPFEU pour pouvoir faire voler tous les avions disponibles cette année. « Sans l’apport de ces retraités du secteur privé engagés au printemps, il aurait manqué deux autres avions », indique le syndicat.

De son côté, la Défense nationale n’écarte pas de fournir des pilotes pour conduire les avions-citernes en cas de pénurie. « Nous savons que nous avons une capacité ici au Canada, a répondu la ministre Anita Anand. Nous continuons d’examiner cette possibilité pour aider avec nos forces. » Mme Anand a toutefois pris soin de préciser que les Forces armées canadiennes étaient déjà en « reconstitution » et qu’elles devaient recruter davantage de personnel.

Un avion cloué au sol depuis quatre ans

De son côté, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a confirmé que le service aérien gouvernemental disposait pour l’heure de 19 avions-citernes. Quatorze appartiennent à Québec – un appareil est en réparation, cloué au sol depuis quatre ans, selon Christian Daigle, qui compare l’appareil à une « voiture sur les quatre blocs dans le fond d’une cour » –, quatre proviennent de la Nouvelle-Écosse et deux sont en location.

Quant aux équipes au sol, François Legault dit vouloir doubler le nombre de pompiers. La SOPFEU a présentement 520 sapeurs qui combattent les incendies au sol. Il faut y ajouter 150 militaires, pour un total de 670 personnes qui combattent le feu au sol. Dans les prochaines semaines, il veut faire augmenter ce nombre à 1200 pompiers, grâce à de l’aide internationale provenant de la France, des États-Unis, du Mexique et du Portugal, notamment.

Le premier ministre a affirmé la veille qu’il songeait à renouveler la flotte vieillissante d’avions-citernes de la SOPFEU, et possiblement de l’agrandir.

Avec Fanny Lévesque et Mylène Crête, La Presse

Les ressources sont surchargées, reconnaît Trudeau

Le gouvernement fait tout pour obtenir les ressources nécessaires afin de lutter contre les incendies de forêt. Elles sont toutefois surchargées, a admis le premier ministre Justin Trudeau mercredi. « Tout d’abord dans la situation immédiate, on est en train de tout faire pour s’assurer qu’on ait les ressources, que ce soient les pompiers, que ce soit le matériel, que ce soit le transport nécessaire ou les avions-citernes nécessaires pour répondre aux urgences à travers le pays », a-t-il assuré lors d’une conférence de presse pour faire le bilan des incendies de forêt qui font rage un peu partout au pays. Le nombre d’incendies toujours en activité totalise 414 d’est en ouest, dont 239 sont considérés comme non maîtrisés. Il s’agit de « l’année la plus difficile jamais enregistrée », a reconnu le ministre de la Protection civile, Bill Blair. En tout, le Canada a répertorié 2293 incendies depuis le début de l’année. Une superficie d’environ 3,8 millions d’hectares a été consumée. Plus de 20 000 personnes sont présentement évacuées. « On voit qu’on est dans une année pire que ce qu’on a déjà eu et nos ressources sont étirées, mais on continue d’être là dans la mesure du possible, a indiqué le premier ministre. Mais c’est certain que pour les années à venir, il va falloir qu’on réfléchisse pour s’équiper pour cette nouvelle réalité. » La Presse Canadienne rapportait mardi que le Canada n’avait pas construit d’avions-citernes comme les canadairs CL-215 et CL-415 depuis 2015 et qu’il a peu de capacité pour le faire.

Mylène Crête, La Presse