(Saint-Jean) Une avocate accuse la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau de tenter de retarder et finalement d’annuler une poursuite au civil pour harcèlement sexuel, en demandant que le procès se déroule au Québec plutôt qu’à Terre-Neuve-et-Labrador.

Kathryn Marshall, du cabinet d’avocats torontois Levitt Sheikh, a fait valoir mardi devant la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador que l’inconduite présumée avait eu lieu dans cette province, de sorte que l’affaire devrait être entendue là-bas. Me Marshall représente Cherry Smiley, qui affirme avoir été harcelée sexuellement par l’ancien premier ministre des Territoires du Nord-Ouest Stephen Kakfwi à Saint-Jean, en 2018.

M. Kakfwi avait été nommé le mentor de Mme Smiley dans le cadre d’un programme de bourses offert par la Fondation Trudeau.

Me Marshall a qualifié de « très inhabituel » que la compétence du tribunal soit ainsi contestée, surtout lorsque l’inconduite aurait eu lieu dans cette province. « Je crois que dans ce cas, c’est une tactique de la part de la Fondation Trudeau de retarder et de faire en sorte que Cherry Smiley abandonne tout simplement » sa poursuite, a-t-elle déclaré en entrevue lors d’une pause de l’audience, mardi.

Me Colm St. Roch Seviour, un avocat de la fondation établie à Montréal, a souligné de son côté le texte de la poursuite elle-même, qui comprend l’affirmation selon laquelle la fondation a manqué à son obligation de protéger la plaignante contre l’inconduite sexuelle présumée. Cette obligation découlait des accords et contrats de la fondation avec Mme Smiley et avec M. Kakfwi, qui sont tous régis par le droit civil québécois, a soutenu Me St. Roch Seviour.

Me Marshall a fait valoir que ce qui est au cœur de cette affaire, c’est l’inconduite sexuelle présumée et non la bourse ou les contrats. Elle a soutenu que sa cliente devrait probablement abandonner sa poursuite au civil si le tribunal devait décider que le procès soit déplacé au Québec.

Elle a souligné que sa cliente devrait assumer de lourds frais et subir les troubles émotionnels si elle devait tout recommencer à zéro, avec la recherche d’un avocat francophone, qui maîtrise le Code civil québécois, et payer pour les services d’interprète.

« Elle ne serait pas capable […] d’embaucher un avocat québécois pour faire équipe avec moi, a soutenu Me Marshall au tribunal. Mme Smiley est étudiante et la Fondation Trudeau est une organisation de premier plan dotée de vastes ressources, a-t-elle ajouté.

« Je pense que nous ne pouvons pas ignorer l’énorme inégalité entre les parties en ce qui concerne l’accès aux ressources financières », a plaidé l’avocate.

Me Marshall a également déclaré qu’il serait difficile pour Mme Smiley de trouver un avocat au Québec pour prendre en charge son dossier, compte tenu de ses ressources financières limitées et de la nature délicate de la poursuite.

Me Koren Thomson, qui représente elle aussi la Fondation Trudeau, n’était pas de cet avis. « Votre choix d’avocat est soumis à des limites raisonnables, a-t-elle déclaré. J’admets qu’il y a des difficultés, mais ce n’est pas un obstacle. »

La poursuite avait été initialement déposée en 2021 auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, où Mme Smiley est membre de la nation Nlaka’pamux et de la nation Dine’, selon des documents judiciaires. Les avocats de la Fondation Trudeau se sont opposés à la compétence du tribunal de cette province et ont déclaré que la cause devrait être débattue au Québec. Me Marshall a accepté de retirer l’affaire de la Colombie-Britannique, mais l’a déposée auprès de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador en mars 2022.

La poursuite désigne l’ex-premier ministre Kakfwi et la Fondation Trudeau comme défendeurs. Elle allègue que lors d’un évènement de trois jours de la Fondation Trudeau à Saint-Jean, M. Kakfwi a attiré à deux reprises Mme Smiley près de son corps et « a attrapé son bras près de sa poitrine ». Il aurait ensuite serré et massé son bras « pendant une période prolongée », selon la poursuite. Il l’aurait également invitée à plusieurs reprises chez lui à Yellowknife, une fois en lui tenant le bras.

Le document allègue également que certains responsables de la fondation l’ont accusée d’« exagérer », l’ont poussée à signer un accord de non-divulgation et l’ont diffamée.

Dans une déclaration de défense, M. Kakfwi nie tout contact avec Mme Smiley qui « pourrait être interprété comme étant de nature sexuelle ».

Le juge Peter Browne, de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador, a déclaré qu’il avait besoin de temps pour examiner tous les arguments et qu’il rendrait sa décision écrite à une date ultérieure.