Québec Science confondu avec du contenu pour adultes par Facebook et Twitter

Facebook et Twitter ont bloqué la diffusion grand public d’un dossier du magazine Québec Science qui porte sur le plaisir sexuel de la femme et sur son anatomie.

Mélissa Guillemette, rédactrice en chef du magazine scientifique, est médusée.

L’article en question, signé par la journaliste Marine Corniou, commence en soulignant que « l’éjaculation féminine n’est pas une fabulation de la pornographie, encore moins un mythe. Mais comme tout ce qui touche à l’anatomie féminine, elle a longtemps été délaissée par la recherche ».

« La recherche sur la sexualité féminine pourrait se résumer ainsi : parcellaire, jalonnée de controverses, riche en idées reçues et pauvre en données factuelles », peut-on aussi lire.

Il y est question des conséquences de la méconnaissance de l’anatomie féminine par la population en général, mais aussi par les médecins et chirurgiens, qui, dans leur formation, entendent très peu parler de clitoris et de plaisir au féminin.

Sur Twitter, quand Mme Guillemette a cherché à y faire rayonner l’article, un fond noir s’est affiché, avec la mention : « Le média suivant comprend des contenus potentiellement sensibles. »

Pour lire le dossier, il faut appuyer sur « voir plus ».

Pourquoi en a-t-il été ainsi pour un article d’un magazine scientifique ? Nous avons posé la question au service des relations de presse de Twitter qui nous a répondu par un émoji illustrant des crottes, sa pratique courante quand il est sollicité par des médias depuis quelque temps.

Pour obtenir davantage que la visibilité de base sur Facebook, il est possible de verser de l’argent à Facebook ponctuellement. Quand Mme Guillemette a choisi de le faire, c’est là que cela lui a été refusé.

« On peut présenter une demande de révision, mais on n’est jamais certain des risques que l’on court en le faisant et on ne veut pas risquer la fermeture de notre page Facebook », explique Mme Guillemette.

Robot ou humain ?

Croyant être confrontée à la censure d’un robot plutôt que d’un humain, Mme Guillemette a cherché à contourner le problème. La rédactrice en chef de Québec Science a remplacé l’illustration originale – qui représente une femme nue – par une autre illustration, celle d’une fleur. Elle a aussi enlevé le bout de texte évoquant le fait que l’éjaculation féminine n’avait pas été inventée par la porno.

Avec ces modifications, Facebook a laissé passer le tout.

Facebook – dont les relations de presse sont assurées par une firme de relations publiques – n’a pas été en mesure jeudi de nous expliquer les raisons qui sous-tendent le refus initial.

Mme Guillemette indique en tout cas que pour Québec Science, d’être ainsi censuré, c’est une grande première.

Ça n’a pas de sens, ce sont des contenus pertinents qui n’ont rien de pornographique.

Mélissa Guillemette

Notons que sur Instagram, c’est passé comme du beurre dans la poêle.

Un grand besoin d’informations

Sans se prononcer sur le contenu précis de l’article, la Dre Diane Francœur, gynécologue-obstétricienne et ex-présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, s’étonne des pratiques des géants du web « en cette ère où les femmes cherchent beaucoup à s’informer et où il y a beaucoup de fausses informations sur le web ».

Il y a encore bien « trop peu de mots sur les maux des femmes », constate-t-elle.

Les femmes, ajoute la Dre Francœur, « veulent être informées pour prendre les bonnes décisions sur ce qui les concerne ».

Françoise Guénette, féministe et membre du collectif derrière le magazine La Vie en rose, sourcille.

Il y a tellement de contenu autrement plus désastreux, violent et porno sur les réseaux sociaux et on bloque un article du genre ?

Françoise Guénette, féministe et membre du collectif derrière La Vie en rose

Elle trouve que ces thèmes abordés dans l’article de Québec Science sont absolument pertinents, particulièrement pour les jeunes filles qui connaissent encore trop peu leur corps.

À l’heure actuelle, beaucoup de jeunes s’en remettent à la porno pour en savoir davantage sur la sexualité, alors que c’est loin d’être la meilleure façon de se renseigner sur ces questions, conclut-elle.

« Des algorithmes soi-disant “intelligents” »

Philippe de Grosbois, sociologue et auteur de divers textes sur les enjeux sociaux et politiques du numérique, estime pour sa part que les réseaux sociaux sont caractérisés par leur manque de transparence, leur modèle « low cost », les faibles salaires de leurs employés et par « des algorithmes soi-disant “intelligents” » qui sont dans les faits « plutôt maladroits ».

L’exemple de Québec Science montre que c’est un pari risqué de vouloir donner davantage de pouvoir à des entreprises qui en ont déjà trop.

Philippe de Grosbois, sociologue

Cette histoire rappelle cette campagne brésilienne de sensibilisation sur le cancer du sein qui avait aussi été bloquée, évoque le professeur Jean-Hugues Roy, de l’École des médias de l’UQAM.

« Facebook avait admis avoir commis une erreur et avait rétabli la publication », explique-t-il, et le Conseil de surveillance – un organisme indépendant de Facebook – avait demandé à Meta « de clarifier ses politiques sur la nudité pour éviter que des campagnes de sensibilisation et d’information relatives à la santé soient automatiquement censurées » quand elles sont illustrées par des poitrines de femmes.

« Le cas de Québec Science n’est pas le même, mais on pourrait plaider qu’il est voisin, avance M. Roy. On est devant un cas d’information scientifique accompagnée d’une illustration du sujet. »

À son avis, « Meta a encore de la difficulté à faire la différence entre un dessin à des fins d’information et la porno. Un humain voit clairement que l’illustration de Québec Science n’a rien à voir avec de la pornographie et qu’elle est tout à fait acceptable. »