La réforme imposée en 2020 par le gouvernement Legault au Programme de l’expérience québécoise a terni la réputation du Québec au point où le message qui circule sur les réseaux sociaux est d’éviter la province. Avec les assouplissements annoncés la semaine dernière, le Québec retrouvera-t-il la cote auprès des étudiants étrangers francophones ?

Un virage à 180 degrés

« Si vous voulez immigrer, visez hors Québec. »

Si le gouvernement Legault fait un virage à 180 degrés en ouvrant la porte à une augmentation des seuils d’immigration et à un assouplissement des règles, c’est parce qu’il a frappé un mur avec sa réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), en 2020.

En effet, depuis le durcissement des critères de sélection, le mot se propageait sur les réseaux sociaux où les immigrants racontent leurs expériences et échangent des conseils : « Évitez le Québec. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Claire Launay a cofondé Le Québec c’est nous aussi, un organisme 
qui défend les droits des immigrants au Québec.

« C’est encore la première règle », assure Claire Launay, cofondatrice et présidente de l’organisme voué à la défense des droits des immigrants Le Québec c’est nous aussi, né dans la foulée de la réforme du Programme de l’expérience québécoise, en 2020. « Parce que si tu viens au Québec, tout va être beaucoup plus compliqué. »

Voici quelques extraits de messages publiés dans un groupe privé sur Facebook :

« Pour les nouveaux arrivants, le Québec est clairement la province à éviter pour immigrer. »

« Si j’ai un conseil à donner aux immigrants, évitez le Québec. »

« Entre nous, immigrer au Québec, c’est long et dur. Vaut mieux viser ailleurs. »

« Si tu vas dans une autre province que le Québec, c’est beaucoup plus simple et plus rapide. »

Claire Launay constate que les gens qui souhaitent immigrer au Canada, même s’ils parlent français, sont nombreux à écouter ces conseils. « En fait, dit-elle, on ne les voit même pas passer par le Québec, maintenant. Ils vont directement dans d’autres provinces parce qu’ils se sont déjà fait dire que ce n’était pas la peine, quoi. »

Ces réactions peu flatteuses pour le Québec résultent de deux phénomènes qui se sont conjugués pour créer une tempête parfaite. D’un côté, le gouvernement du Canada a multiplié les initiatives pour attirer les francophones hors Québec. Et de l’autre, le gouvernement du Québec a mis en place des critères pour restreindre le flux d’immigration.

Les nouvelles mesures ont particulièrement visé les étudiants étrangers. Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), créé en 2010, offrait une voie rapide vers l’immigration au Québec à ces étudiants diplômés et aux travailleurs temporaires.

Le gouvernement, en 2020, a durci les critères d’admission de ce programme pour en limiter l’accès. Cette mesure lui permettait de respecter rapidement son engagement électoral de réduire le seuil d’immigration permanente.

Le but a été atteint et même largement dépassé. Dans la catégorie des diplômés, les admissions au PEQ se sont littéralement effondrées, passant de 8068 en 2021, à 1958 en 2022.

Mais cette baisse a eu un effet pervers. En voulant serrer la vis, Québec s’est du même coup privé de ses meilleurs immigrants potentiels. Le premier ministre reconnaît maintenant la qualité de ces candidats que son gouvernement avait délaissés. « Les étudiantes et étudiants étrangers diplômés de nos programmes francophones nous apparaissent comme des candidats idéaux », a-t-il écrit, dans le cahier de consultation déposé jeudi. M. Legault parle aussi de « bassin exceptionnel ».

Pour corriger le tir, Le Québec c’est nous aussi souhaitait un assouplissement des critères, à l’instar de l’Institut du Québec qui vient de publier une étude sur les étudiants étrangers au Québec. Ce regroupement préconisait l’abolition de l’expérience de travail de 12 à 18 mois, encore exigée pour se qualifier au PEQ.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Christine Fréchette, ministre de l’Immigration, de la Francisation 
et de l’Intégration (MIFI)

Les changements règlementaires soumis au débat public par la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), Christine Fréchette, répondent à ces préoccupations.

Le gouvernement veut éliminer, comme cela lui a été recommandé, l’obligation d’expérience de travail. L’accès au PEQ serait également très rapide pour les étudiants issus des établissements d’enseignement francophones répondant aux critères. De plus, ces diplômés seraient exclus du calcul des seuils d’immigration.

Est-ce que cela suffira à renverser la vapeur et à modifier les perceptions à l’égard des seuils ? Le Québec c’est nous aussi reste prudent. « Ce n’est pas encore adopté, souligne Claire Launay. On garde une petite distance parce que les consultations sur la planification pluriannuelle n’ont pas encore eu lieu. Donc, ce n’est pas encore final, mais les propositions qu’on voit dans ces scénarios, notamment pour les étudiants internationaux, c’est très positif. »

On peut supposer qu’avant que le mot se passe, les étudiants étrangers voudront être certains que la réforme a été adoptée et voudront en connaître les modalités avant de consacrer plusieurs années de leur vie à une démarche visant à s’établir au Québec.

En outre, la réforme ne réussirait pas à complètement résoudre un autre point de friction. Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles normes du PEQ, en 2020, Mme Launay constate que des immigrants ont quitté le Québec pour aller dans une autre province, non seulement parce que c’est plus facile d’obtenir la résidence permanente ailleurs au Canada, « mais aussi parce que c’est difficile de se projeter dans une province qui change les règles à tout bout de champ ».

Enfin, le geste d’ouverture proposé ne s’adresse pas à tous les étudiants. Rappelons que 44 % des étudiants internationaux au Québec étudient dans les universités anglophones, qui n’auront pas accès en grand nombre à ce PEQ assoupli.

« On trouve que c’est quand même dommage pour les étudiants qui ont choisi d’aller étudier dans les universités anglophones, même s’ils ont passé un test de français. On a du mal à se l’expliquer, parce que, pour toutes les catégories d’immigration, un test de français suffit pour prouver la connaissance du français. Mais pour les étudiants qui ont choisi les établissements anglophones, ça ne suffit pas », ajoute Mme Launay.

« On leur dit que ça ne sert à rien d’apprendre le français. »

62 330

Nombre de titulaires de permis d’études au Québec en 2022

Source : Statistique Canada

Le parcours de quatre candidats à l’immigration

Qui sont ces étudiants étrangers ? D’où viennent-ils ? Pourquoi ont-ils choisi le Québec ? La Presse en a sondé quelques-uns.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La Française Julie Sénat

« Il y a du flou autour de l’avenir »

Au Québec depuis 2018, Julie Sénat compte demander la résidence permanente. Mais à des amis français qui songeraient à immigrer, elle dirait : « Si l’idée est de se poser quelque part, c’est mieux d’aller ailleurs. Ce qui est triste parce que le Québec est une belle province. »

« Dans les dernières années, ici, il y a du flou autour de l’avenir », constate la Française de 29 ans.

Julie Sénat est venue au Québec avec un permis d’études pour faire une maîtrise en didactique des langues à l’UQAM. Elle a obtenu son diplôme, puis son permis de travail post-diplôme il y a un an. Elle doit maintenant accumuler 12 mois d’expérience de travail à temps plein pour postuler au Programme de l’expérience québécoise (PEQ). « J’ai postulé à McGill pour un poste de chargée de cours à temps plein, et j’ai eu la chance d’être prise, dit-elle. Ça m’a sauvée. Ça m’a redonné l’opportunité de rester ici parce que sinon, je serais sûrement partie aux États-Unis. »

Si tout va bien, Julie Sénat aura sa résidence permanente au Québec à l’été 2025.

Que pense-t-elle de la réforme proposée ?

« Ils sont juste revenus en arrière. C’est beaucoup d’énergie pour rien de leur part. »

« C’est compliqué »

PHOTO JEAN ROY, LA TRIBUNE

Alison Jolly a obtenu un DEC en soins infirmiers au Québec.

Alison Jolly, 27 ans, a fait des études au cégep de Baie-Comeau, puis à celui de Drummondville, dans un domaine très recherché : soins infirmiers. Cette Française a travaillé pendant un an comme infirmière avant de demander le certificat de sélection du Québec (CSQ), préalable à la résidence permanente.

Depuis, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) lui a fait parvenir deux « intentions de refus », que La Presse a consultées.

Dans la première, datée du 28 avril, on lui demande de prouver qu’elle a séjourné au Québec dans le but principal d’y étudier et qu’elle a respecté les conditions de son séjour. « Je l’ai fait », dit Alison Jolly, qui précise être neuroatypique.

Dans la seconde, reçue une semaine plus tard, on lui demande de fournir une série de documents : relevé de notes du cégep de Baie-Comeau, conditions d’obtention de sa bourse d’études, preuve de réussite du stage, preuve de demande de permis de travail post-diplôme, avis de cotisation pour 2021 et 2022…

« Est-ce que je conseillerais à un ami de s’établir au Québec ? Non, vraiment pas ! s’exclame Alison. C’est compliqué, et on ne sait même pas ce que le gouvernement va apporter comme modifications à la réforme. Il y a plus d’ouverture et c’est beaucoup plus rapide dans les autres provinces d’avoir la résidence permanente. »

Que pense-t-elle de la réforme proposée ?

« Ça ne change rien pour moi, malheureusement. »

« Halifax est devenu mon chez-moi »

PHOTO FOURNIE PAR SANDRINE MOUNIER

Sandrine Mounier a fait un doctorat à l’UQAM en études urbaines.

Sandrine Mounier, elle, est partie. À la suite de l’entrée en vigueur de la réforme du PEQ, cette Française de 38 ans a plié bagage. Elle a déménagé en Nouvelle-Écosse, où on lui a donné la résidence permanente au bout de huit mois.

« J’étais fatiguée des procédures administratives, explique-t-elle. Je voyais qu’il fallait encore peut-être trois ans, quatre ans, avant d’avoir ma résidence permanente, et ça faisait déjà six ans que j’étais au Québec. Je voyais que les choses changeaient tout le temps. J’avais complètement perdu confiance en l’administration québécoise. »

En quittant le Québec, après avoir obtenu un doctorat en études urbaines à l’UQAM, Sandrine Mounier estime avoir « gagné au moins deux ans » sur l’obtention de la résidence permanente.

« Je ressens toujours quelque chose pour Montréal, précise-t-elle. Mais Halifax est devenu mon chez-moi. Pour l’instant, le Québec fait partie de mon histoire. Mais il y a des moments où je ressens de l’amertume. Ça me fait de la peine de me dire que j’ai dû quitter une partie de moi là-bas. En fait, cette peine-là ne me donne pas envie de revenir. J’ai plutôt envie d’aller de l’avant. »

Que pense-t-elle de la réforme proposée ?

« Les changements qu’ils avaient faits, il y a trois ans, n’ont pas été satisfaisants. Donc, ils sont obligés de retourner en arrière. »

« Un double discours »

PHOTO FOURNIE PAR NÉVIN RICQUEBOURG

Névin Ricquebourg est devenu résident permanent au Québec 
en avril 2022.

Névin Ricquebourg, 27 ans, est résident permanent au Québec depuis avril 2022.

« C’était très long, tumultueux, mais ça a fonctionné. J’ai été chanceux », lance-t-il.

Originaire de l’île de la Réunion, un département français, il est arrivé au Québec en 2016 pour étudier en animation 3D au cégep de Matane, dans le Bas-Saint-Laurent. Il a trouvé un emploi avant même la fin de ses études. Mais il a dû travailler pendant un an à temps plein, après son diplôme, avant de postuler au PEQ.

« J’ai demandé le CSQ en juillet 2021, dit-il. Un an et demi plus tard, j’ai eu la résidence permanente. Un an et demi, c’est long. Ailleurs au Canada, c’est six mois. C’est sûr que d’aller dans une autre province, c’est tout gagnant. »

Névin Ricquebourg estime qu’il y a un « double discours » au Québec.

« On a entendu plein de fois : « En prendre moins, mais en prendre soin. » Mais en prendre soin ? Non. En prendre moins, c’est sûr ! On fait toutes ces étapes et on n’a pas l’impression que le gouvernement est content, alors que l’on contribue à l’économie québécoise. »

Que pense-t-il de la réforme ?

« Ils sont revenus à la raison ! Mais pour être sûr qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise, j’attends que ce soit appliqué. »

Le PEQ en cinq questions

La réforme du Programme de l’expérience québécoise adoptée en 2020 a transformé la voie rapide en course à obstacles. Voici comment le gouvernement compte réparer les pots cassés.

C’est quoi, le PEQ ?

Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) a été créé en 2010 pour attirer et retenir les étudiants étrangers diplômés, ayant une bonne connaissance du français. Jusqu’à la réforme de 2020, ce programme était la voie rapide de l’immigration pour les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires au Québec. Les candidats obtenaient, dans des délais très courts, le certificat de sélection du Québec, un document préalable à la résidence permanente.

Quel était le but de la réforme ?

Le gouvernement Legault a été élu en promettant de baisser à 40 000 le nombre d’immigrants, en 2019. Il devait donc trouver le moyen de fermer le robinet. En resserrant les règles du PEQ, il a réduit le nombre de nouveaux arrivants qui pouvaient postuler. Il a justifié son choix en disant que le nombre de places pour les immigrants était limité au Québec, et que, compte tenu de la pénurie de main-d’œuvre, la sélection des candidats devait être faite « en adéquation avec les besoins du marché du travail ».

Il y a eu trois tentatives. Pourquoi ?

La réforme de 2020 a été pilotée par Simon Jolin-Barrette, alors ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI).

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Jolin-Barrette a piloté la réforme de 2020, alors qu’il était ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.

La première mouture, très controversée, a été présentée en novembre 2019. En gros, elle limitait l’accès au PEQ aux diplômés de certains domaines de formation. Le milieu des affaires et de l’éducation s’est mobilisé pour forcer le gouvernement à reculer, notamment parce que la liste des formations privilégiées comportait des omissions et des incohérences. Le ministre Jolin-Barrette s’est excusé et a promis de faire des consultations.

La deuxième version a été présentée en mai 2020. Elle consistait à ajouter un critère d’expérience de travail de 12 à 18 mois pour les diplômés, et de 36 mois pour les travailleurs temporaires. Elle rendait aussi certains domaines d’emploi non admissibles.

« Auparavant, dès qu’on obtenait un diplôme, on était qualifié automatiquement, que ce soit un DEP, un DEC, une technique, un bac, une maîtrise, un doctorat », explique Benjamin Brunot, avocat spécialisé en immigration. « Pour les travailleurs, il fallait 12 mois d’expérience professionnelle au Québec. »

Le ministre Jolin-Barrette avait comparé cette nouvelle version à l’application de rencontres Tinder. C’est le « Tinder de l’immigration », avait-il déclaré en février 2019. « Nous avons lancé le système Arrima afin de mieux arrimer la sélection des personnes immigrantes aux besoins du marché du travail et de réduire les délais pour leur arrivée. »

Quels changements ont été apportés ?

Les nouvelles normes sont entrées en vigueur le 22 juillet 2020. Entre-temps, Nadine Girault (aujourd’hui décédée) a succédé à Simon Jolin-Barrette à la tête du MIFI. Elle a revu à la baisse le nombre de mois d’expérience exigé aux travailleurs temporaires (24 mois) et aux titulaires d’un diplôme d’études professionnelles (18 mois). Mais elle a maintenu une exigence d’expérience de travail de 12 mois pour les autres diplômés.

La réforme a aussi entraîné une augmentation des délais. Le traitement accéléré, qui permettait d’obtenir le certificat de sélection du Québec (CSQ) en 21 jours ouvrables, a été éliminé.

« On a volontairement exclu des gens, explique MBrunot. Il y a tout un profil de gens à qui on a dit : vous ne nous intéressez pas. Alors, beaucoup moins de gens ont postulé. »

Quels sont les nouveaux changements proposés ?

Pour retenir les étudiants étrangers, le gouvernement propose maintenant d’éliminer l’exigence de l’expérience de travail post-diplôme de 12 à 18 mois, qu’il a lui-même imposée en 2020. Le PEQ remanié s’adresse aux étudiants étrangers qui terminent leurs études au Québec dans un programme enseigné en français. Les diplômés des universités anglophones, McGill ou Concordia, pourront postuler s’ils ont étudié trois ans en français à un niveau secondaire ou postsecondaire à temps plein. Les autres seront exclus même s’ils parlent français. Autre changement : les immigrants francophones sélectionnés dans le cadre du PEQ ne seront plus comptabilisés dans les seuils annuels de l’immigration permanente. En outre, il n’y aura pas de plafond quant au nombre de diplômés francophones pouvant être admis chaque année. Cela signifie que le nombre d’immigrants permanents dépassera le seuil de 60 000 proposé par le gouvernement dans cette option. De combien ? On ne le sait pas. Ça dépendra du nombre d’étudiants diplômés qui choisiront de s’inscrire au PEQ. En 2021, c’était plus de 8000. Mais il est possible que cette nouvelle formule suscite un engouement qui gonflera l’immigration.