La Fédération des femmes du Québec (FFQ) élit en fin de semaine une nouvelle présidente. Quel cap lui donnera-t-elle ? L’organisme reprendra-t-il sa place centrale dans le débat public ?

Les demandes d’entrevue des derniers mois avec la présidente sortante, Mélanie Ederer, ont été vaines. Il a été tout aussi impossible d’interviewer Sylvie Saint-Amand, Marie-Jacques Samson et Félicité Ngadja, les trois candidates à la présidence.

Sur son site web, la Fédération des femmes du Québec dit d’emblée que le rôle de la future présidente sera difficile « parce que la polarisation de la société québécoise rend ardues la prise de parole, l’exposition au public et l’articulation des positions féministes ».

Ce poste est aussi « plein de défis » parce que « c’est actuellement un poste rémunéré à demi-temps », est-il aussi précisé.

C’est aussi un travail « gratifiant » pour une féministe, peut-on également lire.

Redéfinir l’organisme

Ces derniers mois, la FFQ a mené une réflexion pour se redéfinir.

Bien que présents sur les réseaux sociaux, la FFQ et le Conseil du statut de la femme sont très effacés dans les médias traditionnels. À cause de cela, constate l’autrice Pascale Navarro, « les femmes n’ont plus de parole collective ».

Présidente de la Fédération des femmes du Québec de 1994 à 2001, Françoise David y va du même constat.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Françoise David, ancienne présidente de la Fédération des femmes du Québec

Pour ce qui est du Conseil du statut de la femme, elle fait observer que « l’appétit pour la parole publique varie au gré des présidentes », de mandat en mandat.

Pour ce qui est de la Fédération des femmes du Québec, Mme David avoue qu’elle trouverait très difficile d’être à sa tête en ce moment.

Quand elle a présidé l’organisme à la fin des années 1990, « la lutte à la pauvreté s’imposait comme un grand thème rassembleur ».

Ensuite, « la prostitution et le travail du sexe, les signes religieux, la diversité de genre, la laïcité » ont été autant de sujets sur lesquels « les femmes se sont profondément déchirées et sur lesquels elles demeurent très divisées », analyse-t-elle.

Ce n’est pas le mouvement des femmes qui est complexe. C’est toute la société qui l’est devenue.

Françoise David, ancienne présidente de la Fédération des femmes du Québec

Mme David rappelle aussi les durs lendemains des controverses soulevées par Gabrielle Bouchard. Première femme trans élue à la tête de l’organisme en 2017, elle avait fait la promotion du port du voile et prôné publiquement l’abolition des relations de couples hétérosexuels. Elle a rapidement dû démissionner ensuite.

Pascale Navarro avance par ailleurs l’hypothèse que les réseaux sociaux, en multipliant les points de vue et la parole publique, ont en quelque sorte éclipsé les grands groupes de femmes.

PHOTO MARTINE DOUCET, FOURNIE PAR PASCALE NAVARRO

L’essayiste Pascale Navarro

Pas impossible non plus, enchaîne-t-elle, « qu’on assiste à un ressac post-metoo ».

Le fait que la présidence de la FFQ soit « un travail mal payé, déconsidéré, pas facile, avec toute cette violence sur les réseaux sociaux », n’aide en rien, fait-elle enfin remarquer.

« Silence »

Martine Delvaux, écrivaine et professeure au département d’études littéraires de l’UQAM, est aussi désolée « du silence » des grands groupes de femmes. Elle se l’explique, pour la Fédération des femmes du Québec, par son sous-financement.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Martine Delvaux, autrice, professeure et militante féministe

« Mais le silence du Conseil du statut de la femme est un choix étonnant. »

Interpellée par La Presse qui lui a soumis ces commentaires, la présidente Louise Cordeau estime que le Conseil du statut de la femme est bel et bien présent dans l’espace public.

Les féminicides et toutes les situations inacceptables vécues par les femmes, on pourrait en dénoncer tous les jours. Mais ce n’est pas le mandat du Conseil du statut de la femme.

Louise Cordeau, présidente du Conseil du statut de la femme

Son rôle, « c’est de conseiller le gouvernement sur les enjeux d’égalité et d’informer le public ».

Depuis qu’elle est présidente, elle n’a jamais signé de sa main un texte dans les pages de débats des grands journaux, convient-elle. Le Conseil, explique-t-elle, mise surtout sur les réseaux sociaux et sur la Gazette des femmes dans ses communications.

Entre initiées, souligne-t-on. Oui, mais cela n’empêche pas que les réseaux sociaux et la Gazette des femmes assurent un très bon rayonnement au Conseil, dit Mme Cordeau.

Quoi qu’il en soit, Naïma Hamrouni, professeure de philosophie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique féministe à l’Université du Québec à Trois-Rivières, croit que le féminisme demeure « très vivant ».

Elle le constate à l’université, « où se multiplient des microprogrammes en études féministes, de genre et sur les sexualités un peu partout au Québec », mais elle souligne être aussi appelée régulièrement à donner des conférences dans les milieux féministes syndicaux, communautaires et associatifs ».

Le féminisme me semble plus vivant et urgemment nécessaire que jamais.

Naïma Hamrouni, professeure et chercheuse

Sur Facebook, la Fédération des femmes du Québec semble en tout cas n’avoir aucun angle mort. Diversité sexuelle, tabous autour des menstruations, la commémoration du massacre de Poly, les violences contre les travailleurs du sexe, les discriminations salariales, les prisons pour femmes insalubres, l’hétéronormativité : tout y passe.

Mais la Fédération des femmes du Québec peut-elle pâtir de ses chevaux de bataille si nombreux ? Chantal Maillé, professeure en études des femmes à l’Université Concordia, fait observer que beaucoup de jeunes femmes se trouvent à la Fédération des femmes du Québec, ce qui est heureux, et que leurs préoccupations sont interreliées. « Elles parleront par exemple d’écoféminisme », illustre-t-elle.

C’est à ces jeunes de voir comment elles articuleront leur action, et Mme Maillé demeure optimiste pour la Fédération des femmes du Québec. « En raison de son histoire, elle demeure un organisme de référence. »

Notons que les jeunes féministes interpellées ces derniers jours n’ont pas été disponibles pour offrir leurs commentaires, tandis que certaines ont répondu qu’elles ne souhaitaient pas offrir leur point de vue sur le sujet.

La Fédération des femmes du Québec en quelques dates

1966

Création de la Fédération des femmes du Québec

1995

Marche « Du pain et des roses » contre la pauvreté

2000

Marche mondiale des femmes