Des intervenants lancent un appel à revoir les façons de faire pour lutter contre l’itinérance

Au moment où l’itinérance au Québec connaît une augmentation marquée, des intervenants du domaine s’inquiètent de voir les citoyens « banaliser » le phénomène. Leur constat est sans appel : les façons de faire actuelles, axées autour de l’hébergement d’urgence, ne suffisent plus.

Rassemblés pour la première fois en personne à l’occasion d’un colloque qui se tenait jeudi et vendredi à l’Université McGill, les membres du Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance (CQPI) ont souhaité lancer les bases de cette « nouvelle discussion ».

Un des cofondateurs du Collectif, le président de la Mission Old Brewery, James Hughes, témoigne du changement qu’il a vu s’opérer ces dernières années.

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James Hughes, président de la Mission Old Brewery et cofondateur du Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance

Son établissement, qui compte environ 300 lits pour les personnes en situation d’itinérance, est le plus souvent plein, comme plusieurs autres refuges du genre à Montréal, qui fonctionnent à des taux d’inoccupation de 1 à 2 %.

James Hughes est catégorique : « On ne peut pas continuer comme ça. » Comme d’autres, il s’inquiète également de voir l’itinérance de plus en plus banalisée dans l’espace public.

« Ça ne fonctionne pas »

« Avant, les gens voyaient des personnes en situation d’itinérance lorsqu’ils venaient au centre-ville. Mais maintenant, c’est rendu chez eux, dans leurs quartiers », souligne-t-il. James Hughes cite Ahuntsic, Montréal-Nord ou Hochelaga-Maisonneuve comme des quartiers où l’itinérance est de plus en plus visible.

Des villes en région sont également touchées par le phénomène, par exemple Gatineau, Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Jérôme ou Drummondville, comme l’avait rapporté La Presse en décembre dernier.

Lisez le dossier « Le choc de l’itinérance en région »

« Visiblement, ça ne fonctionne pas. [Et ce, alors] que le nombre de places en hébergement d’urgence à Montréal augmente », confirme, à ses côtés, le professeur au département de psychiatrie de l’Université McGill et cofondateur du CQPI Eric Latimer.

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Eric Latimer, professeur au département de psychiatrie de l’Université McGill et cofondateur du CQPI

« Visiblement, ce qu’on fait génère de l’itinérance plutôt que de la diminuer », tranche-t-il froidement.

Qui plus est, ces gens sont plus « hypothéqués » qu’avant puisqu’ils sont aux prises avec des enjeux de consommation ou de santé mentale, note James Hughes. À la Mission Old Brewery, les intervenants traitent au moins deux fois par semaine des cas de surdose d’opioïdes, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans à peine, dit-il.

Ce n’est plus exceptionnel, c’est normalisé. Si ça continue, on risque d’accepter l’inacceptable.

James Hughes, président de la Mission Old Brewery

Un avis que partage Eric Latimer. « Le danger, c’est d’en venir à banaliser ces choses-là », dit-il en citant les États-Unis comme un contre-exemple.

Des pistes de solution ?

Les organismes communautaires et le gouvernement doivent donc maintenant se concentrer à lutter contre la source de l’itinérance plutôt que ses effets, un objectif très large, reconnaît James Hughes.

Pour cela, le CQPI compte s’inspirer d’initiatives mises en place à l’international, comme au pays de Galles, au Royaume-Uni, où les autorités sont légalement tenues de trouver du logement aux personnes à risque de se retrouver en situation d’itinérance, comme l’a expliqué un professeur de l’Université de Cardiff ayant traversé l’océan pour l’occasion.

« On pense notamment à une loi-cadre [au Québec]. Ça pourrait être d’inscrire le droit au logement dans la Charte des droits et libertés », indique James Hughes, en insistant sur l’importance de cet enjeu pour la lutte contre l’itinérance.

Eric Latimer encense d’ailleurs l’approche du « logement d’abord », qui consiste à déplacer rapidement les personnes en situation d’itinérance vers des logements stables et à long terme, avec des soutiens.

« Il y aurait le potentiel de financer beaucoup plus de places là-dedans », affirme-t-il en soulignant le coût très élevé de l’approche actuelle, alors que le centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal paie 35 000 $ par année pour chaque place d’hébergement d’urgence.

Eric Latimer insiste également sur l’importance d’offrir du soutien à plusieurs catégories de personnes démunies souvent laissées à elles-mêmes lorsqu’elles sortent des établissements où elles sont traitées, dont les ex-détenus ou les patients d’hôpitaux psychiatriques, avant qu’elles ne se retrouvent à la rue.

De nouveaux chiffres à l’automne prochain

Fruits du travail de milliers de bénévoles, les résultats d’un grand décompte des personnes en situation d’itinérance effectué en octobre dernier devraient permettre d’avoir un meilleur portrait de la population, mais ne devraient être rendus publics qu’à l’automne prochain. Le dernier exercice du genre, dont les résultats avaient été publiés à l’automne 2019, avait permis de dénombrer 3149 personnes en situation d’itinérance dans les rues de Montréal. Avant même la pandémie, on notait une augmentation de 8 à 12 % du nombre de sans-abri dans la métropole par rapport à l’exercice précédent, mené en 2015, et ce, sans compter les personnes qui vivent en situation d’itinérance dite cachée.