(Québec) Le propriétaire de Radio X multiplie les recours devant les tribunaux pour démasquer les auteurs de la Coalition sortons les radios-poubelles de Québec. La station veut notamment faire cesser une campagne qui vise ses annonceurs, plusieurs d’entre eux étant « nerveux » et « frileux ».

La radio demande d’« arrêter de harceler ou, en bon français, d’écœurer les clients », selon les mots utilisés par son directeur général Philippe Lefebvre lors d’un interrogatoire préalable dans le cadre de la poursuite.

L’offensive judiciaire de RNC Média – qui détient Radio X – survient dans le contexte où ses détracteurs « ont redoublé d’efforts pour nuire à la réputation et aux affaires » de la station depuis la pandémie de COVID-19.

Rappelons que Radio X a été la cible d’une importante campagne de boycottage en septembre 2020. La Ville de Québec avait annoncé qu’elle cessait d’annoncer sur les ondes de la station, estimant que l’antenne « constitu[ait] un danger pour la santé publique ». La Ville a depuis revu sa position.

En parallèle, la Coalition sortons les radios-poubelles a fait circuler sur ses plateformes le nom des patrons de RNC1 et la liste des annonceurs de Radio X. Elle invitait les gens à écrire aux annonceurs pour leur demander d’arrêter d’y acheter de la publicité.

RNC veut que ces méthodes cessent. L’entreprise médiatique poursuit donc Patrice Vachon et Julien Gaudreau.

RNC pense que les deux hommes de Québec sont derrière le site internet Sortons les radios-poubelles et qu’ils ont animé sa page Facebook ainsi que son compte Twitter, ce que nieraient les principaux intéressés.

Elle exige une série de mesures qui pourraient forcer Sortons les radios-poubelles à carrément cesser ses activités, comme « de cesser d’opérer tout site internet, page Facebook ou compte Twitter traitant de la Demanderesse ou de ses administrateurs ».

RNC demande aussi que cesse « toute forme de harcèlement ou de dénigrement » de Radio X et veut interdire à Sortons les radios-poubelles « toute mention relative aux administrateurs » ou encore de « compiler la liste des annonceurs ».

L’entreprise réclame 10 000 $ à chacun des deux hommes. « On a perdu beaucoup plus d’argent que ça », a laissé tomber Philippe Lefebvre, qui est aussi vice-président de RNC, lors de son interrogatoire préalable. Certains annonceurs devenus « frileux » ou « nerveux » vont hésiter selon lui à faire affaire avec Radio X.

RNC se garde le droit de demander plus d’argent « lorsque l’implication des Défendeurs et la portée réelle de leurs fautes seront davantage connues ».

Facebook, Twitter, alouette

Cette poursuite déposée en juin 2021 s’est depuis passablement complexifiée. C’est que les deux hommes que poursuit RNC nieraient être les « utilisateurs malveillants » de la Coalition. La Presse a tenté de joindre l’avocat des deux hommes, mais il a préféré ne pas faire de commentaire.

RNC a poursuivi Julien Gaudreau et Patrice Vachon car leurs noms se trouvent au registre des entreprises en tant qu’administrateurs de l’OSBL « Coalition contre la radio poubelle », créé en 2012 puis dissous en 2019.

« Ils nous disent que ce ne sont pas eux, mais on ne les croit pas », résume l’avocat de RNC, MBruno Lévesque, rencontré le 31 mars au palais de justice de Québec.

Dans son argumentaire, la défense soutient que la poursuite de RNC se fonde sur « des racontars et des associations hypothétiques » et dénonce une « partie de pêche » qui vise avant tout à « intimider et forcer les Défendeurs à dévoiler les informations qu’ils pourraient détenir – véritable “hold-up” juridique ».

La cause a été suspendue et depuis, RNC a déposé cinq requêtes de type Norwich pour forcer Facebook, Twitter et des fournisseurs internet à identifier ceux qui alimentaient le site et les réseaux sociaux de la Coalition.

Lorsque les avocats de RNC auront ces informations, ils comptent reprendre le procès.

Le droit à l’anonymat en matière d’opinion, ça n’existe pas. Ce que fait et veut la Coalition sortons les radios-poubelles depuis des années, c’est de se cacher pour émettre ses opinions, ce qui n’est pas un droit. Je dirais même que dans une société libre et démocratique, ce devrait être fortement découragé.

MBruno Lévesque, avocat de RNC Média, qui détient Radio X

Une tentative d’intimidation de RNC ?

La menace qui pèse sur la Coalition inquiète la section québécoise de la Ligue des droits et libertés. « La Coalition a choisi l’anonymat dès sa création pour échapper aux attaques des animateurs de CHOI Radio X et de leurs adeptes », fait valoir la Ligue.

La poursuite inquiète aussi Dominique Payette, auteure du livre Les brutes et la punaise : les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures. Elle rappelle que la Coalition se sert de ses plateformes pour archiver de nombreux propos controversés prononcés sur les ondes des radios parlées de Québec.

« Les radios effacent de leur site internet les propos controversés. Ça devient extrêmement complexe si on n’a pas cet archivage », dit-elle. « Je vois mal pourquoi RNC fait ça, sinon pour les faire taire », ajoute Mme Payette, qui soutient que des critiques de Radio X ont par le passé « vécu des moments extrêmement pénibles ».

Radio X avait déjà poursuivi l'administrateur d'une page Facebook critique de Radio X. Jean-François Jacob et la station avaient conclu une entente à l’amiable, mais l’homme avait raconté à l’époque avoir perdu son emploi et été contraint de quitter Québec.

La Coalition dit quant à elle que RNC n’a jamais tenté de la joindre pour lui demander par exemple de cesser sa campagne auprès des annonceurs. « S’ils veulent régler, qu’ils nous contactent. Mais là ils veulent intimider », indique au bout du fil Étienne Lantier, un porte-parole de la Coalition qui utilise un pseudonyme tiré de Germinal, d’Émile Zola.

Ils veulent faire cesser toutes les activités de la Coalition ; ce qui les dérange, c’est qu’on puisse s’exprimer.

Étienne Lantier (nom fictif), porte-parole de la Coalition sortons les radios-poubelles

La Cour supérieure doit encore entendre plusieurs requêtes de type Norwich. On ignore pour l’instant quand reprendra la poursuite initiale.

Le site internet de la Coalition indique que celle-ci « a pour but de mobiliser, sensibiliser et informer la population de Québec par rapport aux propos haineux véhiculés par les radios-poubelles et à l’impact qu’elles ont sur la société ».

1. Consultez une publication de « Sortons les radios-poubelles de Québec » sur Twitter