Une grande proportion des branches qui ont cédé sous le poids de la glace ces dernières heures sont de nouvelles repousses qui ont bourgeonné il y a 25 ans sur les plaies d’arbres abîmés par la tempête de verglas historique de 1998, affirment des ingénieurs forestiers consultés par La Presse.

L’ingénieur et pathologiste forestier Pierre-Émile Rocray, qui a travaillé plus de 25 ans à la Ville de Montréal, les appelait les « pics à cornichons ». Ces arbres tout rabougris au lendemain de la crise du verglas ont, dans la plupart des cas, survécu à la tempête historique. « Leurs branches ont repoussé sur les plaies, et elles ont considérablement grossi depuis 25 ans. Mais elles sont souvent mal attachées », affirme-t-il.

Dans bien des cas, ces branches étaient cariées ou affectées par ce que les experts appellent de l’« écorce incluse », un défaut structurel entre la branche et le tronc, qui les rend plus vulnérables aux surcharges.

« Juste en voyant les images qui sont diffusées depuis 24 heures, on remarque à la coloration du bois que ces branches avaient des défauts. Ça a précipité leur bris », renchérit l’ingénieur forestier Gabriel Daigneault, président de Xylème, une firme spécialisée en foresterie urbaine qui fait affaire avec plusieurs arrondissements de la Ville de Montréal.

Le vent, qui s’est mis de la partie mercredi soir, a aussi eu un impact important, estime Bruno Chicoine, ingénieur forestier à la Commission de la Capitale nationale, qui a travaillé pour la Ville de Montréal pendant quatre ans. « En 1998, il avait fallu une accumulation de glace beaucoup plus importante avant que les arbres brisent. Mercredi, le vent venait d’un peu partout. Là où je me trouvais, la glace s’est accumulée sur trois côtés de l’immeuble », souligne-t-il.

Au lendemain de la crise du verglas, M. Rocray et plusieurs inspecteurs d’arbres de la Ville de Montréal en avaient fait un recensement exhaustif.

« On se promenait en véhicule avec un chauffeur pour les répertorier, et classer les arbres publics en fonction du danger qu’ils représentaient », se souvient-il. Sur environ 450 000 arbres, 250 000 ont été gravement affectés par la glace. Environ 150 000 ont été élagués, et 14 000 abattus.

« Ces arbres-là que j’appelais les pics à cornichons, idéalement, il aurait fallu les abattre à l’époque, affirme M. Rocray. Mais ça représentait des coûts énormes. Au bout du compte, ils ont bien joué leur rôle pendant plusieurs années. »

Manque d’entretien

Bruno Chicoine croit néanmoins qu’un meilleur entretien aurait pu éviter certains des bris survenus mercredi. « Ce sont des problèmes qui auraient pu être corrigés par l’entretien, croit-il. Nos arbres manquent d’entretien. Il faudrait être plus proactifs, particulièrement avec des arbres qui ont déjà eu des bris. »

La plupart des municipalités ont des plans arboricoles précisant quel pourcentage d’arbres nécessitent des travaux, mais les ressources sont limitées, et il y a beaucoup de retard dans l’exécution.

Bruno Chicoine, ingénieur forestier à la Commission de la Capitale nationale

« Plusieurs arrondissements sont en rattrapage. Les villes ne réalisent pas tous les travaux d’entretien qui devraient être faits, confirme M. Daigneault. Mais il n’en demeure pas moins que les épisodes de verglas sont extrêmement stressants pour les arbres. Ça leur impose une charge bien supérieure à leur capacité, c’est beaucoup plus lourd que les feuilles », souligne-t-il.

La bonne nouvelle, c’est que si le spectacle dans les rues de la région montréalaise est désolant pour l’instant, la plupart des arbres vont s’en remettre, assurent les trois ingénieurs forestiers. « Les branches mortes et le bois pourri, la nature s’en débarrasse, résume M. Rocray. Mais l’arbre, lui, il veut survivre, c’est dans sa nature de faire de nouvelles branches. »