Frappés par une pandémie de grippe aviaire sans précédent, les États-Unis songent sérieusement à lancer une campagne massive de vaccination des oiseaux d’élevage. Qu’en est-il au Canada ? Le point avec la Dre Manon Racicot, vétérinaire épidémiologiste de l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

La vaccination dans la ligne de mire de la Maison-Blanche

Récemment, le New York Times révélait que l’administration Biden réfléchissait en haut lieu à la possibilité de mettre sur pied une campagne de vaccination des oiseaux de ferme. Le département de l’Agriculture a déjà commencé à tester des prototypes de vaccin et lancé des discussions avec l’industrie avicole sur la faisabilité d’une vaccination à grande échelle. Aux États-Unis, les poules pondeuses ont été particulièrement affectées par la crise, au point que le prix des œufs a bondi de 70 % en un an. « Les Américains, leur problématique, c’est qu’ils ont des élevages tellement immenses que quand le virus rentre, c’est catastrophique. […] Ils ont des élevages avec des millions de pondeuses. On n’a pas ce genre d’élevage au Canada », a précisé la Dre Racicot en entrevue avec La Presse.

32 cheptels infectés au Québec

Au Québec, 10 basses-cours composent actuellement avec des infections actives. Elles sont situées dans trois MRC : Rouville, Beauharnois-Salaberry et Haut-Saint-Laurent. Le tout premier cas décelé chez un oiseau d’élevage dans l’histoire du Québec est survenu en avril 2022. Depuis, 32 élevages « commerciaux » ou « artisanaux » ont subi une éclosion dans la province. Environ 609 000 oiseaux d’élevage ont été « affectés » au Québec et 7,2 millions au Canada. Les oiseaux « affectés » sont morts des suites de la maladie ou ont été euthanasiés sur place pour freiner la propagation du virus au sein du cheptel ou dans les fermes et bâtiments avoisinants. D’une grande virulence, ce nouvel épisode d’influenza aviaire H5N1 a débuté en décembre 2021 lorsque le virus a été détecté chez un oiseau sauvage à Terre-Neuve.

Le Canada envisage-t-il la vaccination ?

« En date d’aujourd’hui, il n’y a pas de vaccin disponible et efficace contre ce qui circule actuellement qui soit gérable en termes d’administration. Il faut continuer à suivre les essais cliniques qui sont en cours », répond d’entrée de jeu la Dre Racicot. En revanche, le Canada suit de près l’évolution du dossier. Bien qu’intéressante, la vaccination pose de nombreux défis. « Au Canada, on a plusieurs réassortiments du virus. C’est-à-dire qu’on a de la H5N1, mais il y a différents gènes de la lignée eurasienne et de la lignée nord-américaine [dans différentes régions]. Cela fait en sorte que ça prend un vaccin qui va être efficace pour tout le pays », dit Mme Racicot.

Des questions sur le mode d’administration

Le deuxième grand défi de la vaccination des oiseaux de ferme, c’est le mode d’administration, explique Mme Racicot. « Actuellement, les vaccins qui sont disponibles dans la volaille et qui ne sont pas encore autorisés au Canada, ceux qui sont par exemple utilisés au Mexique ou en Chine, sont principalement injectables. Donc ça prend souvent une première dose au couvoir et une deuxième dose à l’élevage. Il y a un défi d’administration du vaccin en soi, parce qu’injecter des millions, voire des milliards de volailles, c’est pratiquement insoutenable », dit-elle. À l’ère des pénuries de main-d’œuvre dans le secteur agricole, administrer le vaccin dans l’eau ou la nourriture des oiseaux pourrait être une option intéressante.

Commerce international

À l’heure actuelle, le Canada prouve l’absence de la grippe aviaire chez les oiseaux qui sont exportés en démontrant qu’ils n’ont pas d’anticorps à la maladie. « Donc là, si on vaccine, on ne sera pas en mesure de faire cette démonstration-là », explique la Dre Racicot. Pour l’instant, ajoute-t-elle, la majorité des partenaires commerciaux n’acceptent pas les oiseaux des pays qui vaccinent. « Ça va être un changement de paradigme. Il va falloir avoir des discussions profondes avec nos partenaires commerciaux si on décide de vacciner. Il va falloir trouver une manière de prouver qu’on est absent de la maladie ou que la maladie est [maîtrisée]. »

Retour des oiseaux migrateurs

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Avec le beau temps reviennent les oiseaux migrateurs, comme les bernaches, porteurs du virus de la grippe aviaire.

Avec le beau temps reviennent les oiseaux migrateurs porteurs du virus de la grippe aviaire. Si les cas de grippe aviaire se sont propagés à une vitesse aussi fulgurante, c’est d’abord parce que le virus n’a jamais été aussi présent chez les espèces sauvages. Canards, oies, bernaches, bécasseaux, fous de Bassan, eiders à duvet, guillemots, petits pingouins, corneilles, corbeaux, harfangs des neiges, grands-ducs, goélands : plusieurs dizaines d’espèces d’oiseaux sauvages ont été infectées. « Il y a une très grande étendue géographique et une très grande variabilité dans les espèces touchées présentement chez les oiseaux sauvages », souligne Mme Racicot.

Biosécurité

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’un des vecteurs de propagation de la grippe aviaire proviendrait des sécrétions ou des fientes des oiseaux sauvages, comme les bernaches, qui se retrouveraient par inadvertance sur les équipements agricoles.

L’un des vecteurs de propagation vers les élevages proviendrait des sécrétions ou des fientes des oiseaux sauvages qui se retrouveraient par inadvertance sur les équipements agricoles ou les semelles des travailleurs. Les cas dans les élevages risquent donc de monter en flèche au cours des prochains mois. La principale mesure de protection pour les éleveurs est de respecter un protocole strict en matière de biosécurité ; le changement de bottes avant d’entrer dans le poulailler est particulièrement important. « Le message clé aux producteurs, c’est la biosécurité », dit Mme Racicot.