Trois corps de police enquêtent sur une série de menaces et d’attaques visant des commerçants d’origine arabe victimes du crime organisé

Des commerçants d’origine arabe de Laval et de Montréal sont victimes d’une campagne systématique d’intimidation et d’agressions pilotée par un groupe du crime organisé qui veut les forcer à payer une « taxe » de protection. Menaces, incendies, agressions, décharges d’armes à feu : les policiers ont répertorié pas moins de 67 évènements en lien avec le phénomène depuis un an. Trois corps de police se sont unis pour réagir.

« Ils ne sont pas ciblés au hasard. C’est la communauté qui est ciblée », souligne l’inspecteur Kimon Christopoulos, de la police de Laval.

Depuis avril 2022, une série de menaces et d’attaques ont visé des commerçants d’origine arabe du quartier lavallois de Chomedey, principalement sur le boulevard Curé-Labelle au sud de l’autoroute 440, et de l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal. Des cafés, des salons à chicha (tabac aromatisé), des restaurants, des bars, des commerces automobiles ont été touchés.

Le cas qui a défrayé la manchette le plus souvent est celui du restaurant Nuits de Beyrouth, visé une dizaine de fois par des incendiaires.

Aucun des commerçants contactés par La Presse n’a souhaité accorder d’entrevue jeudi. Mais selon des sources fiables qui ont recueilli les confidences de certaines victimes, certaines se seraient fait exiger plusieurs milliers de dollars par mois par des criminels, qui leur demandaient de payer pour une « protection ». Lorsqu’ils ont refusé, ces commerçants ont subi menaces, coups de feu dans leurs vitrines et incendies. L’un d’eux a même été blessé à coups de couteau à l’occasion d’un spectacle.

Au cours des derniers mois, après avoir constaté que le phénomène avait une ampleur régionale jusque dans la couronne nord, la police de Laval a mis sur pied un projet d’enquête, baptisé le Projet Mèche, avec l’aide de la police de Montréal et de la Sûreté du Québec, pour identifier et arrêter les responsables. Dix-neuf suspects ont été arrêtés au cours de l’année, mais les gestes criminels se sont poursuivis, ce qui laisse croire que des acteurs haut placés du crime organisé passent des commandes et peuvent compter sur de nouveaux fiers-à-bras pour remplacer ceux qui ont été retirés de la circulation.

« Nous avons constaté l’implication du crime organisé du Proche et du Moyen-Orient, ainsi que des gangs de rue », confirme l’inspecteur Christopoulos.

La police sur un pied d’alerte

Jeudi soir, les trois corps de police impliqués dans le dossier ont visité plusieurs établissements conjointement pour rassurer les commerçants et la clientèle.

Nous avons à l’œil toute personne qui aurait l’intention de s’attaquer à nos commerçants. Aucune intimidation ou acte de violence ne seront tolérés.

Kimon Christopoulos, inspecteur de la police de Laval

Questionné à plusieurs reprises à ce sujet lors d’une rencontre avec les médias mercredi, l’inspecteur n’a pas voulu dire si certaines des victimes avaient aussi des liens avec les milieux criminels. Chose certaine, plusieurs victimes n’en ont pas.

« Ce sont d’honnêtes citoyens qui tentent de gagner leur vie. C’est [des gens] qui souvent investissent tout dans leur commerce. Ils font beaucoup de sacrifices. Ils viennent de passer à travers une pandémie et ils ne méritent pas ça », dit-il.

De nouvelles arrestations à venir ?

L’un des suspects arrêtés jusqu’à maintenant, Brandon Flores Rodriguez, est accusé d’avoir menacé les propriétaires de trois établissements situés à Laval et à Sainte-Thérèse, en exigeant qu’ils le payent pour assurer leur protection. Lors de son arrestation, il avait sur lui 10 000 $ en billets de 100 $, ainsi qu’un pendentif couleur or représentant un fusil d’assaut AK-47, selon le dossier de la cour.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le bar Bay Rock Lounge, à Laval, a été le théâtre d’un incendie criminel en août dernier.

L’un des commerçants qu’il est accusé d’avoir menacés a été attaqué et blessé à coups de couteau cinq jours plus tard par d’autres individus, au Bay Rock Lounge, sur le boulevard Curé-Labelle.

Selon nos sources, deux groupes liés au crime organisé libanais de Laval seraient en froid à l’heure actuelle, et les enquêteurs tentent de voir s’ils pourraient être en train de se disputer le contrôle du racket de protection et de certaines activités criminelles qui nécessitent l’accès à des commerces. L’un des groupes antagonistes est proche d’un clan de la mafia de Montréal, a pu confirmer La Presse.

La police encourage toute personne qui pourrait faire avancer l’enquête à joindre les autorités. Elle assure que de nouvelles arrestations pourraient avoir lieu au cours des semaines ou des mois à venir. Quand exactement ? « On aimerait toujours que ce soit hier », affirme l’inspecteur Christopoulos.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse