(Plattsburgh, État de New York) Il régnait un calme plat, samedi, au sud de la frontière américaine. Au lendemain de la fermeture du chemin Roxham, le mot s’est passé entre les migrants qui espéraient trouver refuge au Canada. Mais il ne s’est pas rendu à tous. À Plattsburgh, des familles ont continué d’arriver avec leurs valises, inconscientes d’avoir raté leur chance de quelques heures.

Entre l’annonce de la fermeture du célèbre passage et son entrée en vigueur, l’information n’a pas eu le temps de se rendre à tout le monde.

En milieu d’après-midi, une quinzaine de migrants, dont des familles et des enfants, sont arrivés avec leurs petites valises, à Plattsburgh, à quelques kilomètres du chemin Roxham.

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Des migrants à Plattsburgh

Partis de New York, ils sont descendus de l’autocar sous la neige, en souliers et en petite veste. « On ne peut plus passer ? », a demandé un jeune père colombien, atterré.

Pour bon nombre d’entre eux, la traversée a été longue. Avec sa fille, Lackys a parcouru neuf pays, de l’Angola jusqu’aux États-Unis avant de terminer son périple au Canada, espérait-il.

« Nous avons traversé des endroits dangereux. Il y avait des montagnes, de l’eau, des rivières », lâche le père aux yeux creusés, des sandales de plage aux pieds. « Je suis étonné, je ne savais pas », laisse-t-il tomber.

Plus loin, Herman raconte avoir fui la République démocratique du Congo à cause des tensions politiques, laissant derrière sa femme et ses quatre enfants.

Il n’a pas fait tout ce chemin pour abandonner si près du but. « Je vais essayer [de traverser]. J’ai des frères qui sont au Canada », affirme-t-il.

L’un après l’autre, les migrants ont sauté à bord d’un taxi, tout portant à croire qu’ils tenteraient leur chance à la frontière.

« Stop ! Stop ! Stop ! »

Un peu plus tôt samedi, la scène qui se jouait devant le chemin Roxham contrastait avec la ruée observée la veille.

« Stop ! Stop ! Stop ! », a répété l’agent à la frontière canadienne à une petite famille qui marchait d’un pas fatigué vers le chemin de terre battue.

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Une agente empêche l’accès à une famille de migrants.

Une fillette vêtue d’un manteau rose serrait une peluche, alors que sa mère, le visage long, tirait une lourde valise derrière elle.

« Vous êtes en état d’arrestation », a tonné l’agent une fois qu’elles eurent posé les pieds en territoire canadien.

Les nouveaux venus savaient-ils que la brèche était désormais colmatée ? Escortée par les autorités, la famille s’est engouffrée sans dire un mot dans un bâtiment où patientaient une dizaine de migrants arrivés au cours de la nuit.

Des déchets jonchaient le sol gelé par le froid, seuls témoins de la cohue qui s’y était déroulée la veille. Jusqu’à minuit moins une, des dizaines de migrants se précipitaient vers le point d’entrée situé au bout d’un cul-de-sac poussiéreux, espérant l’atteindre à temps.

En vertu du nouvel accord passé entre les États-Unis et le Canada, l’Entente sur les tiers pays sûrs est désormais appliquée à tous les points d’entrée de la frontière terrestre entre les deux pays.

Les personnes qui tentent d’entrer au Canada sont désormais arrêtées et seront renvoyées aux États-Unis, en l’occurrence le premier pays « sûr » où elles sont arrivées. Certaines exceptions sont toutefois prévues, y compris pour les personnes qui ont de la famille au Canada ou pour les mineurs non accompagnés.

« Nous pourrions avoir un énorme problème »

Sur place, un membre de l’Assemblée de l’État de New York, Billy Jones, a exprimé ses inquiétudes face à la nouvelle entente, dont il a été informé – comme tout le monde – quelques heures avant son entrée en vigueur.

« Je suis certain que beaucoup de gens n’ont pas [de réseaux sociaux] et ne vont pas savoir que c’est fermé. Nous pourrions avoir un énorme problème », a-t-il déploré devant les caméras.

L’élu démocrate en est convaincu : des migrants vont continuer de tenter de traverser la frontière, seulement dans des conditions plus dangereuses.

« Nous nous inquiétons de les voir arriver ici sans préparation, en baskets, sans veste, sans mitaines […], avec des enfants aussi », a-t-il souligné.

« Si des camionnettes remplies d’immigrants se présentent ici dans l’espoir de passer et qu’ils réalisent qu’ils n’y sont pas autorisés, que faisons-nous ? Comment les hébergeons-nous ? », a soulevé un superviseur de la ville de Champlain, Thomas Tremblay, lui aussi venu faire un tour, samedi matin.

Dans la dernière année, la congestion due au ballet incessant de taxis transportant des migrants est devenue un enjeu pour les citoyens de la petite municipalité américaine.

« Certaines personnes sont vraiment contre, alors que d’autres se sentent concernées et veulent essayer de les aider si elles le peuvent », a soutenu M. Tremblay.

Lisez l’article « Fermeture du chemin Roxham : une course contre la montre »