Taxes de vente appliquées sur des produits de base, prix du lait « régulier » affiché au-delà du maximum permis : de nombreux marchands présents sur les plateformes de livraison ignorent ou défient des lois qui encadrent la vente d’aliments au détail. Et ce sont les clients qui paient la note.

Le prix maximum du lait largement ignoré

Les dépanneurs qui ont recours à une plateforme de livraison vendent leur lait « régulier » bien au-delà du prix plafond prévu par la loi, a constaté La Presse.

Nous avons consulté l’offre de 40 détaillants qui vendent du lait ordinaire sur Uber Eats dans la section « Dépanneur » de l’application. Seul l’un d’entre eux respectait les prix minimums et maximums fixés par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec. Alors que 2 marchands vendaient sous le prix permis, 37 autres exigeaient des sommes au-delà des tarifs réglementaires.

Parmi les fautifs : des marchands affiliés aux enseignes 7 jours (Couche-Tard), Boni-Soir (Sobeys Québec), Provi-Soir (Couche-Tard) et Proxi (Harnois Énergies).

Entre tant d’exemples, un carton d’un litre de Québon à 2 % offert par un marchand indépendant du Quartier des spectacles, à Montréal, coûte 6,99 $ sur Uber Eats, environ trois fois plus que le prix plafond autorisé de 2,17 $. C’est sans compter les frais de service et de livraison, qui font grimper la facture à 10,83 $. L’application suggère même ensuite d’ajouter un pourboire au livreur.

Le Règlement sur les prix du lait de consommation prévoit une exemption pour les marchands qui livrent eux-mêmes chez les clients. C’est ce qui permet aux laitiers ou aux dépanneurs de couvrir les frais de déplacement. Or, le recours à des plateformes de commande en ligne ne permet pas aux détaillants de se soustraire aux tarifs réglementaires.

« Si celui qui vend n’est pas celui qui livre, les prix maximums s’appliquent », confirme Jennifer Lemarquis, secrétaire par intérim de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec.

D’ailleurs, les prix affichés sur les plateformes restent identiques si le client récupère sa commande en magasin.

  • Lait régulier vendu dans un dépanneur du Quartier des spectacles. Prix maximum permis : 2,17 $

    CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Lait régulier vendu dans un dépanneur du Quartier des spectacles. Prix maximum permis : 2,17 $

  • Lait régulier vendu dans un dépanneur d’Outremont. Prix maximum permis : 4,29 $

    CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Lait régulier vendu dans un dépanneur d’Outremont. Prix maximum permis : 4,29 $

  • Lait régulier vendu dans un dépanneur du Plateau-Mont-Royal. Prix maximum permis : 8,24 $

    CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Lait régulier vendu dans un dépanneur du Plateau-Mont-Royal. Prix maximum permis : 8,24 $

  • Lait régulier vendu dans un dépanneur de Rosemont–Petite-Patrie. Prix maximum permis : 3,75 $

    CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Lait régulier vendu dans un dépanneur de Rosemont–Petite-Patrie. Prix maximum permis : 3,75 $

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Sur DoorDash, un dépanneur de la rue Beaubien, à Montréal, marchande son sac de 4 litres de lait « régulier » 3,25 % pour 11,19 $, contre un prix légal de 8,61 $. Il en coûtera 13,49 $ chez un détaillant de l’avenue du Parc sur Uber Eats. Sur Skip, un 2 litres de lait 2 % était affiché à 6 $ par un dépanneur Boni-Soir. Prix maximum permis : 4,29 $.

« Si un dépanneur ou une épicerie veut facturer les commissions des plateformes [aux clients], il faut qu’ils les sortent du prix [de base] », indique Stéphane Lacasse, vice-président des affaires publiques à l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADAQ).

On ne peut pas augmenter le prix du lait en se justifiant par les frais [qu’on doit payer]. Ces commerces sont en infraction.

Stéphane Lacasse, vice-président des affaires publiques à l’ADAQ

Les ajustements de prix effectués par les dépanneurs indépendants dans des applications comme Uber Eats excèdent bien souvent les frais que les intermédiaires exigent, de 20 à 30 %. C’est vrai pour l’ensemble des produits. Mais le lait est l’une des rares denrées dont le fort prix soulève non seulement des enjeux éthiques, mais aussi des considérations légales.

Uber Canada dit ne pas être responsable de la situation. « Les détaillants sont exclusivement responsables de toute obligation réglementaire relative aux prix de vente de leurs items », indique Keerthana Rang, responsable des communications chez Uber Canada, par courriel.

« Nous allons communiquer avec tous nos marchands propriétaires pour leur rappeler que la réglementation sur les prix du lait régulier doit être appliquée sur les plateformes de livraison, tout comme c’est le cas en magasin », a réagi Anne-Hélène Lavoie, responsable des communications externes chez Sobeys, qui possède les enseignes Boni-Soir et Voisin.

« Nous suivons toujours la réglementation au niveau du prix minimum et maximum du lait », a pour sa part indiqué Lysa Bergeron, vice-présidente chez Harnois Énergies, derrière l’enseigne Proxi. « Il s’agit simplement d’une erreur de notre part qui a été corrigée. »

Des commissions embêtantes

Youssef Akkouche, propriétaire de l’épicerie Le Pro dans Villeray, assure faire tout son possible pour garder les prix du lait le plus bas possible. À 10,99 $ le sac de 4 litres de lait Québon à 2 % – comparativement à un prix plafond de 8,24 $ –, il s’est assuré que son offre soit plus intéressante que celle de la compétition. « Mais je ne savais pas que la loi s’appliquait aux applications tierces », dit-il.

En magasin, la marge bénéficiaire sur le lait ordinaire oscille entre 8 et 15 %. C’est en deçà des commissions exigées par les services de livraison.

Uber Eats reste un service de luxe. C’est là pour dépanner le client. Il y a même des mères de famille qui m’appellent pour me remercier.

Youssef Akkouche, propriétaire de l’épicerie Le Pro dans Villeray

L’épicier avance trois options pour la suite : que les marchands cessent de vendre du lait ordinaire sur les applications, que la loi sur les prix s’adapte au marché numérique ou que les plateformes abaissent considérablement leur commission sur les produits réglementés. M. Akkouche plaide en faveur de cette troisième proposition, et il compte la défendre auprès d’Uber Eats.

« Je suis content que vous en parliez, pour que les choses changent, poursuit-il. Ça ne me dérangerait pas de ne pas faire d’argent sur le lait, parce que le client achète toujours d’autres produits » en même temps.

Pour éviter d’enfreindre la loi, plusieurs dépanneurs ne proposent tout simplement pas de lait de base, qui est aussi le moins cher, sur les plateformes de livraison. Or, en 2016, le Conseil canadien du commerce de détail s’était engagé auprès de la Régie à offrir du lait ordinaire au côté des produits à valeur ajoutée.

Qu’est-ce que le lait ordinaire ou « régulier » ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les prix réglementaires ne concernent que le lait dit « régulier », considéré comme « un aliment qui contribue à une saine alimentation, surtout chez les enfants ». Il s’agit du lait blanc vendu dans des contenants de carton ou dans des sacs, la plupart du temps de marques Québon ou Béatrice. Les laits à valeur ajoutée – aromatisés, biologiques, casher, microfiltrés, de longue conservation, etc. – ou dont l’emballage présente des caractéristiques particulières – bouchons de plastique, contenants de vitre, etc. – peuvent être vendus à n’importe quel prix.

Lisez l’article « Le lait moins cher survivra-t-il ? »

Un marché peu surveillé

Moins de 5 % des quelque 1000 membres de l’Association des détaillants en alimentation du Québec font affaire avec des plateformes de livraison en raison des « frais exorbitants » et d’un penchant pour l’expérience client, selon le porte-parole Stéphane Lacasse. Mais il est d’avis que les détaillants qui font ce choix doivent suivre « les mêmes règles ».

« On demande une marge bénéficiaire adéquate, mais on comprend que le lait est un bien essentiel. Si on déréglemente [les prix], il va y avoir de l’abus d’un bord comme de l’autre. »

Avec l’émergence de nouveaux réseaux de distribution, « la surveillance devient extrêmement compliquée », note pour sa part Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire.

L’expert affirme ne pas être un « grand fan » de la réglementation des prix au détail, mais qu’il faut respecter ce choix de société. « Si on a à le faire, faisons-le comme du monde, dit-il. L’inflation alimentaire est déjà un enjeu énorme pour plusieurs ménages. Ajouter des incongruences dans la politique de distribution du lait, ça fait en sorte que les consommateurs sont doublement pénalisés. »

Dans sa plus récente décision sur les prix du lait ordinaire, la Régie rappelle que « la situation économique actuelle pose de grands défis financiers à plusieurs familles et consommateurs en situation de vulnérabilité ».

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Nombre de plaintes concernant les prix de détail minimum et maximum du lait en 2021-2022, dont 42 ont été transmises pour inspection au sous-ministériat à la Santé animale et à l’Inspection du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et au Service d’inspection des aliments de la Ville de Montréal.

Formulez une plainte à la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec

Des taxes de vente sur des produits… détaxés

Lait, œufs, pain, céréales, yogourt, fruits, viande : de nombreux détaillants qui s’affichent sur des plateformes de commande en ligne imposent des taxes de vente sur des produits de base qui en sont exemptés au Québec.

Seulement sur Uber Eats, La Presse a pu recenser plus de 25 dépanneurs du Grand Montréal qui ajoutent un pourcentage équivalent à la TVQ (9,975 %) et à la TPS (5 %) sur l’ensemble de leur marchandise, en faisant fi des aliments détaxés. Des adresses des enseignes 7 jours et Boni-Soir, exploitées respectivement par Alimentation Couche-Tard et Sobeys Québec, sont du nombre.

Des détaillants, dont certains des réseaux Couche-Tard et Marché Express (Parkland), font de même sur DoorDash ou Skip.

  • Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

    CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

  • Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

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    Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

  • Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

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    Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

  • Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

    CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Les dépanneurs qui chargent des taxes sur les produits de base sur les applications de livraison sont légion.

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Pourtant, « il n’y a pas d’exception de détaxation spécifique aux plateformes de livraison de repas en ce qui a trait à la vente de produits alimentaires de base », précise Mylène Gagnon, porte-parole de Revenu Québec, dans un courriel à La Presse.

Les clients paient donc une panoplie de produits d’alimentation 15 % trop cher, a constaté La Presse. Les prix des aliments vendus en ligne par la majorité des dépanneurs indépendants sont déjà gonflés par rapport aux tarifs affichés sur les tablettes.

Autant du côté d’Uber Eats, de Skip que de DoorDash, ce sont les marchands qui ont la responsabilité d’indiquer les taxes applicables pour chaque produit.

Le gestionnaire d’un dépanneur du boulevard Décarie peinait à trouver une explication quand nous nous sommes enquis des taxes de vente affichées sur DoorDash pour le ramassage d’un contenant de 2 litres de lait.

« Il n’y a pas de taxes quand les gens achètent leur lait ou leur pain sur place, mais ça se fait automatiquement sur DoorDash », a-t-il dit alors que nous récupérions la commande en magasin. « Je crois qu’il y a une façon d’arranger ça. Je vais devoir contacter DoorDash. »

La réponse du service à la clientèle de la plateforme américaine était encore plus confuse. « Je suis désolé pour l’inconvénient, mais ça, c’est la politique de DoorDash », nous a écrit un agent. « CA$7,75 le prix de l’article + CA1,16 $ comme tax [sic] pour la compagnie que vous avez utiliser [sic] pour placer la commande. Qui fait un total de CA$8,91. »

« OK, donc ce ne sont pas des taxes, mais des frais d’utilisation ? », avons-nous demandé. « Oui, exactement ! » Or, les taxes et les différents frais – de livraison ou de service – sont identifiés comme tels dans l’application.

Aucun porte-parole de DoorDash ou de Skip n’avait répondu à La Presse au moment de publier.

Questionné par La Presse pour savoir pourquoi il ajoutait des taxes à l’ensemble de son offre, le propriétaire d’un dépanneur de la rue Ontario a pour sa part expliqué être « nouveau sur Uber Eats » et qu’il allait corriger la situation.

Depuis, les taxes ont été retirées pour de nombreux produits ; dans un même élan, les prix de base ont été haussés de plus de 15 %.

Les clients pourront-ils se faire rembourser les impôts perçus erronément ? « Bien sûr », nous a écrit le marchand par courriel avant de se raviser. « Uber Eats conserve les taxes et paie le gouvernement. Si vous voulez l’argent, il faut contacter Uber Eats. »

Faux : « Les taxes sur les items, qui sont collectées par Uber pour le compte des détaillants, sont entièrement remises aux détaillants qui sont responsables de traiter ces montants de manière appropriée », explique Keerthana Rang, responsable des communications chez Uber Canada.

Elle souligne que l’entreprise de San Francisco mène des vérifications de conformité « de temps à autre », mais que, « ultimement, les détaillants ont la responsabilité exclusive de facturer les montants appropriés ».

Chez Couche-Tard aussi

Les détaillants Couche-Tard, qui ont un partenariat avec DoorDash, perçoivent eux aussi des taxes sur les produits de base livrés ou ramassés en magasin. La TPS et la TVQ nous ont été facturées sur un panier comprenant du pain de blé tranché, une bouteille de lait de 1,5 litre, une boîte de céréales et un pot de beurre d’arachides, quatre catégories d’aliments détaxés.

IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN

Des taxes nous ont été facturées sur des produits de base par Couche-Tard sur DoorDash, et non seulement sur les frais de livraison et de service.

Alimentation Couche-Tard n’avait pas répondu à nos questions au moment de publier.

Des Marché Express, une enseigne de Parkland Corporation, taxent aussi le lait sur Skip ; 0,90 $ ont été ajoutés à notre commande sur un contenant de deux litres à emporter.

IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN

Des taxes ont été ajoutées sur une commande comprenant un contenant de 2 l de lait.

« Nous enquêtons sur ce problème avec nos vendeurs tiers », a fait savoir Tara Overholt, responsable des communications chez Parkland.

Nous n’avons pas été en mesure de savoir si les « taxes » collectées sur les produits de base atterrissent à tout coup chez Revenu Québec et à l’Agence du revenu du Canada ou si elles demeurent dans les caisses de certains détaillants.

« Si un commerçant a perçu par erreur la TPS et la TVQ alors qu’il n’était pas tenu de le faire, il doit la transmettre à Revenu Québec », explique l’agence chargée de la perception des taxes.

Quant aux clients, ils peuvent effectuer une demande de remboursement de la TPS et de la TVQ auprès du détaillant, de la plateforme de commande ou de Revenu Québec.

« Si un utilisateur croit avoir payé un montant de taxe qui n’aurait pas dû être facturé par un détaillant, il peut contacter notre service à la clientèle directement dans l’application afin que des mesures correctives puissent être appliquées », souligne pour sa part Uber Eats.

Nos efforts en ce sens, à la suite d’une commande test, n’ont pas porté leurs fruits.

Quelles taxes dans les dépanneurs et les épiceries ?

« La plupart des produits vendus dans les épiceries et les dépanneurs sont des produits alimentaires de base détaxés (c’est-à-dire taxables au taux de 0 %) », écrit Revenu Québec sur son site internet.

Parmi les aliments taxables : les boissons chaudes, alcoolisées ou gazeuses, les friandises, les jus sucrés, la gomme à mâcher, la crème glacée de moins de 500 ml ainsi que d’autres aliments emballés en portions individuelles.

Il est à noter que le client doit payer la TPS et la TVQ sur les produits alimentaires de base lorsqu’ils sont vendus par un établissement dont 90 % ou plus des boissons et des aliments vendus sont taxables. Mais cette exception, qui touche par exemple les cafétérias, ne s’applique jamais aux produits qui ne sont pas destinés à la consommation immédiate, par exemple les pâtes crues, les œufs, les mets surgelés ou encore les cartons de lait d’un litre ou plus.

Consultez le formulaire de remboursement des taxes