(Ottawa) Le Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) ne tient pas suffisamment compte des conséquences raisonnablement prévisibles sur les tierces parties quand il utilise ses pouvoirs pour réduire une menace, juge l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR).

L’agence fédérale reproche au SCRS d’utiliser un cadre d’évaluation « exagérément étroit » pour établir s’il convient de délivrer un mandat judiciaire.

Il y a huit ans, le Parlement fédéral avait adopté une loi permettant au SCRS de ne pas se contenter de collecter des renseignements sur les activités d’espionnage et de terrorisme au pays, mais de prendre des mesures pour réduire les menaces. Par exemple, le SCRS peut annuler des transactions bancaires, entraver les déplacements d’une personne ou s’ingérer dans les communications d’un groupe radical.

Selon la loi, le SCRS doit avoir « des motifs raisonnables de croire » à une menace à la sécurité nationale avant de prendre des mesures pour la réduire. L’agence doit aussi obtenir un mandat de la cour si ces mesures contreviennent à la Charte des droits et des libertés ou à d’autres lois canadiennes.

De plus, ces mesures doivent être justes et adaptées aux circonstances. Elles doivent tenir compte de la disponibilité des autres moyens pour réduire une menace, des conséquences sur une tierce partie, notamment sa vie privée.

Dans son rapport dévoilé cette semaine, l’OSSNR examine comment le SCRS a « adéquatement reconnu, documenté et pris en compte les incidences défavorables que ces mesures auraient pu avoir sur les personnes touchées » de juin 2015 à décembre 2020.

L’organisme dit que dans certains cas, le SCRS « a divulgué des renseignements à des entités externes disposant de leurs propres mécanismes de contrôle dans le but d’atténuer des menaces reconnues ». Toutefois, il note « des incohérences relativement à la façon dont le SCRS faisait état des renseignements qu’il avait divulgués à des entités externes dans le cadre de mesures de réduction de menace (MRM), d’autant plus que ces renseignements manquaient parfois de clarté et de précision ».

L’OSSNR souligne que « la précision du contenu, y compris la portée et l’ampleur des renseignements à divulguer à une entité externe aux fins d’une MRM, est particulièrement importante et permet d’alimenter l’évaluation des risques que pose la mesure proposée ».

L’examen a permis de constater que le SCRS « ne tente pas de connaître suffisamment les tenants et les aboutissants des autorisations et des capacités dont disposent les entités externes ni d’anticiper les éventuelles incidences défavorables que les mesures pourraient avoir ».

L’OSSNR déplore que le SCRS ait un « intérêt mitigé » aux conséquences éventuelles des mesures de réduction de menace, surtout à celles qui ont été confiées à d’autres agences.

« L’OSSNR note que le SCRS ne peut pas se dégager de sa responsabilité au simple motif que les répercussions d’une action seraient causées par l’intervention d’un tiers », peut-on lire dans le rapport lourdement caviardé.

Le cadre d’évaluation pour juger de ces conséquences ne doit pas être uniquement fondé sur les répercussions immédiates de l’action du SCRS.

« Ce cadre devrait plutôt considérer l’intégralité des répercussions d’une mesure, y compris les effets directs et indirects causés par l’intervention d’entités externes », ajoute l’OSSNR.

L’organisme dit que le SCRS doit obtenir un mandat lorsqu’une mesure risque de porter atteinte à un droit garanti par la Charte ou de contrevenir au droit canadien, « que l’atteinte soit le fait d’une action du SCRS ou de l’intervention d’une entité externe à laquelle le SCRS aurait transmis des renseignements ».

« Or, bien qu’ils procurent un peu plus de souplesse au SCRS, ces pouvoirs entraînent également une responsabilité accrue, compte tenu de leur caractère secret et de l’importante influence qu’ils peuvent avoir non seulement sur le sujet d’une MRM, mais aussi sur d’autres personnes indirectement touchées par ladite MRM », signale le rapport.

Sans surprise, le SCRS se dit en désaccord avec la recommandation de l’OSSNR quant à l’utilisation des tiers partis en appuis aux mesures pour réduire une menace. Il se défend en disant qu’il « travaille en étroite collaboration avec le ministère de la Justice pour évaluer si un mandat est requis pour chacune de ses mesures, incluant celles qui s’appliquent aux tiers partis, le tout, en conformité avec le cadre législatif en place ».

L’agence accepte totalement ou partiellement les autres recommandations du rapport.

Personne n’était toutefois disponible vendredi au SCRS pour indiquer les mesures prises par l’agence pour corriger la situation.

La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, un groupe établi à Ottawa, juge inacceptable que le SCRS puisse demander à une tierce partie, comme une entreprise privée, de prendre des mesures contre des individus sans accepter la responsabilité des conséquences éventuelles.

Pour elle, le fait que le SCRS n’approuve pas la recommandation de l’OSSNR « démontre que l’agence continue de contourner la loi et qu’on ne peut plus lui faire confiance dans l’exercice de ses pouvoirs ».

« On nous a répété de ne pas nous inquiéter des pouvoirs de réduction de menace du SCRS, parce qu’ils ne sont pas si invasifs qu’ils nécessitent le recours à un mandat, affirme Tim McSorley, le coordinateur national de la coalition. Il est maintenant limpide que le SCRS confie ces mesures de réduction de menace à de tierces parties. Cela leur sert de prétexte pour ne pas songer à demander des mandats judiciaires. »

La coalition demande que le gouvernement fédéral suspende les pouvoirs du SCRS et soumette la question à la Cour fédérale.