L’invention d’un premier vaccin destiné aux abeilles mellifères suscite l’espoir chez les apiculteurs du Québec, qui doivent composer, année après année, avec des mortalités considérables au sein de leurs ruchers.

Au début du mois de janvier, le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) a délivré une approbation conditionnelle pour l’usage d’un vaccin visant à lutter contre la loque américaine, une maladie bactérienne virulente.

L’entreprise Dalan santé animale – qui commencera par distribuer le vaccin au sud de la frontière de façon limitée – a indiqué à La Presse qu’elle entreprendrait le « plus vite que possible » les démarches pour faire accréditer le produit au Canada.

« Nous avons commencé les discussions avec le Centre canadien des produits biologiques vétérinaires de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) l’année dernière avec notre partenaire de fabrication aux États-Unis », a indiqué l’entreprise américaine dans une déclaration écrite. « Maintenant que nous avons l’entrée sur le marché américain, nous pouvons commencer la procédure pour une approbation de l’ACIA », a-t-elle ajouté.

« Dévastatrice »

La loque américaine est une maladie extrêmement contagieuse causée par la Paenibacillus larvae. Elle infecte les larves des abeilles mellifères dès les premiers jours après l’éclosion.

« C’est une bactérie qui cause une maladie dévastatrice dans les ruches depuis 100 ans », explique Pierre Giovenazzo, professeur de sciences apicoles à l’Université Laval. « C’est une bactérie qui fait des spores qui résistent pratiquement à tous les traitements de stérilisation », ajoute-t-il.

Le vaccin, qui contient la bactérie morte, est administré dans la nourriture des abeilles ouvrières, qui vont ensuite l’incorporer dans la gelée royale.

Lorsque la reine mange la gelée, des fragments du vaccin se retrouvent dans ses ovaires. Puisqu’elles ont été exposées au vaccin, les larves développent une immunité contre la maladie.

Des essais menés en laboratoire ont démontré que la mortalité des larves a pu être réduite de 30 à 50 % après la vaccination des reines, rapporte un article publié en octobre 2022 dans la revue savante Frontiers in Veterinary Science.

« La transmission d’une immunité de la reine vers les bébés […], c’est vraiment intéressant », souligne le professeur Giovenazzo.

Brûler les ruches

En 2020, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) a analysé 119 échantillons prélevés dans des ruches. À la suite de cette analyse, sept entreprises ont reçu un diagnostic positif de la maladie.

Selon le MAPAQ, la bactérie peut survivre plus de 40 ans dans l’environnement sous une forme dite sporulante. Pour s’en débarrasser pour de bon, les apiculteurs choisissent généralement de brûler leurs ruches.

« Même si tu utilises des traitements aux antibiotiques, tu vas cacher le symptôme, mais la maladie, elle est toujours là », explique le président des Apiculteurs et apicultrices du Québec, Raphaël Vacher.

Les larves d’abeilles sont blanches. « Dès que tu commences à avoir de la loque américaine, leur couleur change, elles deviennent jaunâtres ou brunâtres. Ça pue, aussi, ça sent les œufs pourris. Le couvain devient dégueulasse », décrit M. Vacher.

Partout dans le monde, les apiculteurs se plaignent de voir leurs colonies d’abeilles s’effondrer. Plusieurs causes sont montrées du doigt, comme les changements climatiques et l’usage des pesticides.

Mais c’est le « varroa destructor », causé par une espèce d’acariens parasites qui s’est introduite au Québec dans les années 1990, qui est avant tout responsable. Au printemps 2022, le varroa a causé des pertes d’une ampleur historique au Québec, avec une mortalité hivernale moyenne de 60 %.

Enthousiasme chez les apiculteurs

Même si la loque américaine n’est pas la principale cause de l’effondrement des colonies au Québec, l’outil est accueilli avec enthousiasme par les apiculteurs du Québec.

« Je suis super content de voir que, pour la première fois, il peut y avoir un vaccin pour les abeilles, indique M. Vacher. Une ruche se retrouve parfois avec deux, trois ou quatre maladies à gérer en même temps. C’est certain que si on élimine la loque, écoute, c’est sûr que là, on vient on vient de se donner un 20-25 % plus de chances. »

Pierre Giovenazzo abonde dans le même sens. « Les abeilles ont quasiment au-dessus d’une vingtaine de virus différents qu’on ne peut pas traiter, alors ça ouvre la porte, peut-être, pour [le développement] de traitements antiviraux. »

Difficile de savoir si – et dans combien de temps – le vaccin pourrait être autorisé au Canada, puisque l’agence fédérale s’est bornée à dire que « pour des raisons de confidentialité, l’ACIA ne peut pas divulguer si un fabricant, y compris Dalan santé animale, a soumis une demande de produit ou non ».

En savoir plus
  • 57 000
    Le secteur apicole québécois comptait plus de 500 producteurs possédant 57 000 ruches en 2021.
    sources : Statistique Canada et Union des producteurs agricoles
  • 35 %
    Proportion des terres agricoles à l’échelle de la planète qui dépendent des pollinisateurs comme les abeilles
    source : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture