Ça devait être prêt à la fin de 2020 au Canada, puis ce fut repoussé indéfiniment avec la pandémie. Pouvoir texter le 911 permettrait notamment d’empêcher des chauffards ivres de prendre la route ou de sauver la vie de femmes victimes de violence conjugale. Le Québec tarde pourtant à investir dans l’intégration de cette technologie qui permettrait d’envoyer par écrit (et discrètement) un message de détresse.

« Je ne pouvais pas l’éviter »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Patrick Bessot, victime d’un accident de la route

Et si envoyer un message texte au 911 pouvait éviter un accident, voire sauver une vie ?

C’est ce que croyait faire Simon*, la veille du jour de l’An.

En plein party de famille dans Lanaudière, son oncle a décidé de partir au volant de son véhicule, en état d’ébriété avancé, lui semblait-il.

Pour éviter un esclandre avec ses proches en appelant la police devant tout le monde, il a envoyé un texto au 911, avec le signalement de la Jeep de son oncle, demandant qu’il soit intercepté.

La même seconde, un message d’erreur est apparu sur son écran. « Appelez le 911 directement. Le texto au 911 n’est pas disponible », y lisait-on.

Peu de temps après, son oncle provoquait une collision frontale sur la route 125 Nord, près de Notre-Dame-de-la-Merci. Deux voitures ont été démolies, mais heureusement, personne n’a été blessé.

« J’avais un mauvais feeling ce jour-là et, comme de fait, il a fait un face-à-face », soupire Simon.

Impossible de texter le 911

Au Canada, un service de messagerie texte au 911 est offert aux personnes sourdes ou présentant un trouble de la parole, mais pas au grand public.

Les services 911 « de prochaine génération », en cours de déploiement au pays, pourront le permettre à terme, mais il faudra encore attendre plusieurs années (voir l’onglet suivant).

Joindre les services d’urgence par texto constituerait alors une solution de rechange lorsqu’il est impossible ou dangereux de faire un appel.

« Je ne serais pas le seul à dénoncer des proches si on pouvait texter le 911. C’est niaiseux qu’on ne puisse pas le faire », estime Simon.

Son texto n’aurait peut-être pas empêché l’accident, mais la police aurait pu intercepter son oncle sur place, croit-il.

Lorsqu’il a été mis au courant de la collision, Simon a appelé la police pour dénoncer une fois de plus son oncle, mais il était déjà trop tard.

Son oncle s’en est sorti sans conséquence, déplore-t-il.

Selon une source de la Sûreté du Québec, les agents présents sur les lieux de la collision n’ont observé aucun signe d’ébriété chez le conducteur, ce qui explique qu’ils n’aient pas poussé plus loin l’enquête.

Il est difficile – voire impossible – de faire la preuve de l’état d’ébriété d’un conducteur avec seulement des témoins. Des preuves factuelles, comme un test d’alcoolémie, sont nécessaires pour accuser une personne de conduite avec facultés affaiblies.

Un drame évité de peu

« Ce monsieur n’a probablement rien appris de cette soirée », regrette Patrick Bessot.

Le père de famille était en route vers son domicile au moment de l’accident. Il avait prévu de célébrer le réveillon du jour de l’An avec son fils adolescent, à Sainte-Anne-des-Lacs.

Sauf qu’il ne s’est jamais rendu.

Quelques minutes après son départ, son véhicule a été percuté de plein fouet par la Jeep de l’oncle de Simon, qui s’était engagée sur sa voie à contresens.

Ça s’est passé tellement vite. Je ne pouvais pas l’éviter. Je me suis dit que c’était fini.

Patrick Bessot

L’impact a été foudroyant. Sur le coup, il s’est cru mort. Il a pensé à son fils, qui l’attendait à la maison. Finalement, il s’en est sorti avec quelques ecchymoses et la frousse d’une vie.

PHOTO FOURNIE PAR PATRICK BESSOT

Le véhicule de Patrick Bessot a été percuté de plein fouet par un automobiliste.

Patrick Bessot ne blâme pas les policiers, mais il déplore que le conducteur ait échappé au test d’alcoolémie et représente toujours un danger potentiel, malgré un signalement de la famille avant et après l’accident.

« Le système aurait aussi probablement besoin d’une mise à jour avec la popularité des textos », ajoute-t-il.

« Un appel, ça paraît »

Ce n’est pas le seul contexte dans lequel un service de messagerie texte au 911 serait pertinent.

Dans une situation de violence conjugale, il pourrait carrément sauver une vie, fait valoir SOS violence conjugale. Appeler le 911 peut constituer un « obstacle » pour une femme qui vit sous l’emprise constante d’un partenaire violent.

« Un appel, ça paraît. C’est plus facile de texter discrètement », explique la porte-parole de l’organisme, Claudine Thibaudeau.

Le besoin s’est révélé d’autant plus urgent pendant la pandémie, alors que les victimes de violence conjugale étaient enfermées avec leur agresseur.

On s’est mis à recevoir de plus en plus de courriels qui nous demandaient d’appeler la police. Certaines demandes étaient urgentes, mais on les voyait quelques heures plus tard.

Claudine Thibaudeau, porte-parole de SOS violence conjugale

Mme Thibaudeau comprend que la technologie n’est peut-être pas encore au point, mais elle aimerait voir la mise en œuvre d’un service intermédiaire qui permettrait de demander une aide d’urgence par texto.

« C’est ce qu’on fait déjà. Si je reçois un courriel qui demande la police, j’appelle le 911. Est-ce qu’on pourrait développer un numéro en attendant le service ? », suggère-t-elle.

En matière de violence conjugale, il faut « dégager le plus possible les chemins vers la sécurité », rappelle-t-elle.

« C’est quelque chose sur quoi il faut mettre de l’énergie, et il me semble que ce serait une voie d’accès aux services d’urgence assez simple à ajouter. »

* Étant donné qu’aucune accusation n’a été portée relativement à la collision, l’identité de Simon a été protégée afin de ne pas permettre d’identifier son oncle.

Un changement qui tarde à venir

Les services de messagerie texte au 911, qui devaient être prêts à la fin de l’année 2020, tardent à être déployés au pays.

« Aujourd’hui, nous n’avons pas seulement l’option de passer un appel. Nous pouvons envoyer des textos, des vidéos et des photos. Nous voulons nous assurer que les services d’urgence tirent parti des progrès technologiques », indique le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) sur son site.

En 2017, l’organisme fédéral a ordonné à tous les fournisseurs de télécommunications de mettre à niveau leurs réseaux en vue de l’implantation du 911 « de prochaine génération ».

Ce nouveau système amélioré remplacera progressivement l’actuel réseau 911, qui sera officiellement débranché en mars 2025.

Les États-Unis ont aussi entamé un virage vers le 911 de nouvelle génération.

Cette transition comporte plusieurs avantages. Il sera notamment possible de géolocaliser avec plus de précision les appels au 911. Ultimement, les Canadiens pourront aussi joindre les services d’intervention d’urgence par texto et même leur transmettre des photos et des vidéos.

Or, cette dernière fonctionnalité tarde à être déployée.

Pendant la pandémie, le CRTC a reporté indéfiniment les échéances relatives à la mise en œuvre de services de messagerie texte au 911, que les entreprises de services sans fil mobiles devaient initialement être prêtes à offrir au 31 décembre 2020.

À l’heure actuelle, l’organisme fédéral n’a toujours pas fixé de nouvelles échéances, évoquant des « défis fonctionnels ».

Pas de financement de Québec

Les centres d’appels se préparent eux aussi à la transition.

Or, le Québec est en retard par rapport au reste du pays, déplore le Centre d’expertise multiservice (CAUCA), qui répartit les appels d’urgence de 560 municipalités.

C’est que le passage vers le 911 de nouvelle génération coûte cher.

Les centres d’appels doivent mettre à niveau leurs outils technologiques et former leurs employés aux nouvelles fonctionnalités.

En Ontario, le gouvernement a annoncé en avril dernier un investissement de 208 millions à la modernisation du système 911. D’autres provinces ont augmenté la taxe municipale affectée au 911 afin de financer leur transition.

« Au Québec, on n’a aucun financement au moment où on se parle », déplore Marie-Andrée Giroux, directrice du développement des affaires, des communications et de la division CITAM au CAUCA.

Conséquence : la transition des centres d’appels québécois vers le 911 de nouvelle génération est mise à mal, croit Mme Giroux. L’an dernier, CAUCA, qui a déjà investi plus de 1,2 million dans la mise à niveau de ses systèmes, a décidé de tout mettre sur pause en attendant des fonds du gouvernement.

On espère qu’il va y avoir quelque chose pour le 911 de prochaine génération dans le prochain budget en mars.

Marie-Andrée Giroux, directrice du développement des affaires, des communications et de la division CITAM au CAUCA

Par courriel, le ministère de la Sécurité publique (MSP) rappelle que le financement des centres d’appels est une responsabilité municipale.

Toutefois, il se dit « conscient que la modernisation générera des coûts additionnels pour les centres ».

« Le MSP est à évaluer l’ampleur de l’effort requis et analyse différents scénarios pour assurer une transition vers le nouveau système qui répondra aux besoins des Québécoises et des Québécois en considérant les enjeux des centres d’appels d’urgence », indique la relationniste Louise Quintin.