L’afflux de demandeurs d’asile au Québec, notamment par le chemin Roxham, a des conséquences en cascade sur le réseau québécois de soutien social.

L’effet le plus frappant, ce sont les migrants qui ne savent pas où se loger et qui frappent désormais à la porte des refuges pour sans-abri.

Un survol effectué par La Presse montre que plusieurs organismes doivent composer avec la pression de cette nouvelle clientèle, au moment où l’hiver mobilise au maximum leurs ressources limitées.

Le Refuge des jeunes, par exemple, a accueilli 56 demandeurs d’asile de moins de 27 ans depuis avril, dont une vingtaine aux prises avec des problèmes psychologiques. Plus de 10 % des jeunes qui fréquentent l’organisme sont maintenant des demandeurs d’asile.

« C’est en hausse constante », constate la cofondatrice et directrice de l’établissement de 45 lits, France Labelle. « Ça peut être des jeunes qui sont en choc post-traumatique. Il y en a qui ont quitté des zones de guerre. Il y en a qui ont fui des narcotrafiquants. Il y en a d’autres qui ont subi des violences à cause de leur orientation sexuelle. Il y a plusieurs histoires, plusieurs parcours. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

France Labelle, directrice du Refuge des jeunes

Même son de cloche chez Dans la rue, au Foyer du monde et à la Mission Old Brewery.

« Dans la dernière année, on a eu une augmentation des demandeurs d’asile, des réfugiés, des sans-statut, y compris des gens qui débarquent directement du chemin Roxham », révèle Cécile Arbaud, directrice de l’organisme Dans la rue.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Refuge des jeunes a une capacité de 45 lits.

« On voit clairement la différence », ajoute Eva Garcia-Turgeon, du Foyer du monde, qui accueille essentiellement des demandeurs d’asile.

« Déjà, on faisait des miracles avec pas grand-chose. Là, c’est surréel. Une fois par semaine, on a quelqu’un qui cogne à la porte, qui n’a nulle part où aller, qui ne sait pas quoi faire, vers qui se tourner, assez désemparé. Si on ne lui trouve pas une solution, il va se retrouver à la rue. On refuse cinq personnes, minimum, par semaine. »

Augmentation de la demande

À la Mission Old Brewery, le directeur James Hugues observe avec inquiétude l’augmentation de la demande.

« La demande est très, très importante, dit-il. On est pratiquement toujours pleins. Il n’y a presque pas de soirées où on n’est pas complets, ni ici, pour les messieurs, ni pour les femmes, dans le Village, ni à l’Hôtel-Dieu, un refuge de 186 lits qu’on gère avec la Mission Bon Accueil. »

En tout, Old Brewery peut offrir un lit ou une chaise à 455 personnes pour la nuit.

« Est-ce que les demandeurs d’asile ont un impact sur nos services ? demande M. Hugues. Franchement, on n’est pas certains, mais on n’est pas pleins pour rien. Nous croyons que ça contribue au phénomène. À l’heure actuelle, je dirais qu’on n’a pas assez de lits pour accueillir les gens. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

James Hughes, PDG de la Mission Old Brewery

Annie Savage, directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), est catégorique : « Ce qu’on sait, c’est que les groupes communautaires en itinérance, que ce soient les hébergements d’urgence, les centres de jour, de soir, les haltes-chaleur, tout ça, c’est plein, plein, plein, et depuis des mois. J’ai des appels chaque semaine de familles complètes qui demandent si des ressources en itinérance peuvent les accueillir. C’est un phénomène qu’on ne voyait pas avant. L’itinérance familiale n’existe pas au Québec. C’est pour nous le reflet d’une nouvelle réalité en itinérance. »

Cet impact indirect crée une situation difficile pour les refuges destinés aux sans-abri. Mais en plus, le recours à ces services constitue une solution inappropriée pour les migrants qui n’ont pas la même trajectoire que les personnes en situation d’itinérance ni les mêmes besoins.

« Des centres d’hébergement ne savent plus quoi faire parce que ces gens ne sont pas censés utiliser leurs ressources », explique Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. « Les intervenants qui travaillent dans ces milieux-là ne comprennent pas le parcours des demandeurs d’asile. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Stéphan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes

France Labelle, qui dirige le Refuge des jeunes, reconnaît qu’il y a un manque de formation. « Il y a des demandeurs d’asile qui arrivent au Refuge. Ils pensent qu’ils sont dans un organisme gouvernemental, dit-elle. Je pense que toute personne a droit [à un accueil et à] un accompagnement de qualité. Mais on s’entend que ce n’était pas notre vocation, l’immigration. Il faut se dépêcher à former notre personnel parce que ces personnes-là se retrouvent sans droits, sans rien. »

« On va bientôt frapper un mur »

La crise du logement complique la situation, tout comme les délais dans la délivrance par le fédéral des permis de travail aux demandeurs d’asile, malgré des progrès réalisés ces derniers mois. Résultat : certains migrants passent entre les mailles du filet.

Stephan Reichhold, de la Table de concertation, est très inquiet. « On va bientôt frapper un mur, croit-il. Le système est vraiment engorgé et les organismes communautaires sont complètement saturés. »

Et pour compléter le tout, il y a bien des migrants qui n’utilisent pas la voie classique pour demander l’asile, le chemin Roxham ou l’aéroport, et qui ne sont donc pas pris en charge à leur arrivée par le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) du gouvernement québécois.

Au Refuge des jeunes, la majorité des migrants qui sonnent à la porte ne sont pas passés par le chemin Roxham, observe Mme Labelle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Au Refuge des jeunes, Michelle Ferreira range la nourriture qui vient de Moisson Montréal.

« On est un accueil d’urgence. Les jeunes restent en général entre un et deux mois. Mais on doit souvent prolonger les séjours pour les demandeurs d’asile. Toutes les démarches administratives auxquelles ils sont confrontés font en sorte qu’ils sont sans-abri pour une période plus longue. Ils sont coincés dans l’urgence. »

Stephan Reichhold estime que de « 30 000 à 40 000 personnes sont en circulation en ce moment » dans la région de Montréal.

« Il y a beaucoup de personnes qui n’osent pas demander l’asile en arrivant. Elles rentrent avec un visa de touriste ou leur permis de travail, et elles attendent deux, trois mois avant de déposer leur demande à l’intérieur du pays, explique-t-il. Ça a toujours existé, mais pas avec cette ampleur. »

Le PRAIDA, dont la mission est de faciliter l’établissement et l’intégration des demandeurs d’asile au Québec, administre deux sites d’hébergement temporaire, à Montréal. Lorsque sa capacité d’accueil, qui est de 1150 lits, est atteinte, les demandeurs d’asile sont hébergés dans des hôtels gérés par le fédéral.

Les migrants passent de 18 à 20 jours dans l’un ou l’autre des deux sites du PRAIDA. Après ? « En principe, ils ont quitté nos sites pour s’installer dans leur propre appartement », répond le porte-parole de l’organisme, Carl Thériault.

De son côté, au 30 novembre, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada comptait 1854 chambres réservées dans la région du Grand Montréal pour loger des migrants.

En savoir plus
  • 45 250
    Nombre de demandes d’asile enregistrées au Québec de janvier à fin novembre
    IRCC
    1623
    Nombre de places pour loger temporairement les sans-abri à Montréal
    Ville de Montréal