La présidente d’un organisme d’aide aux sans-abri qui reçoit des millions en argent public vient de claquer la porte en dénonçant un détournement de fonds destinés aux refuges, a appris La Presse.

CARE Montréal compte environ 175 employés et fournit un lit à 250 sans-abri montréalais dans deux bâtiments de Hochelaga-Maisonneuve. La crise actuelle les met à risque.

« Nous avons été saisis d’irrégularités préoccupantes dans certaines facturations et transactions effectuées par la direction en place à l’époque [en août dernier] », écrit la présidente démissionnaire Catheryn Roy-Goyette dans sa lettre de démission, datée de vendredi. Elle évoque d’« importants contrats signés sans l’accord du conseil d’administration avec des proches, disparition de grosses sommes d’argent liquide, double facturation, facturation de services personnels et j’en passe ».

« J’ose espérer que l’État saura prendre ses responsabilités », ajoute-t-elle.

Elle n’a pas voulu commenter davantage.

CARE Montréal a un budget de 11 millions, provenant essentiellement de subventions du réseau de la santé et, dans une moindre mesure, de la Ville de Montréal.

La direction à laquelle Mme Roy-Goyette fait référence est celle de Michel Monette, qui a fondé CARE Montréal en 2018 avec l’église mennonite HOCHMA, dont il était pasteur. Il a été le directeur général de l’organisme jusqu’à son congédiement, en août dernier.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Catheryn Roy-Goyette, présidente démissionnaire de CARE Montréal

M. Monette et sa femme – l’actuelle pasteure de l’église et administratrice de CARE Montréal – rejettent en bloc les allégations de la présidente sortante.

Après quelques années à faire fonctionner une petite halte-chaleur, CARE Montréal a pris rapidement de l’expansion au cours de la pandémie de COVID-19 et est devenu, en deux ans, un acteur important de la lutte contre l’itinérance.

« Vendetta inacceptable »

La démission survient quelques jours après une tentative ratée de fusion de CARE Montréal avec CAP St-Barnabé, autre organisme communautaire de l’est de Montréal.

Les deux organismes veulent s’allier depuis plusieurs mois, selon des plans qui ont varié au fil du temps. Lundi, une assemblée publique des membres de CARE Montréal a étudié la possibilité de dissoudre l’organisme et de transférer ses actifs à CAP St-Barnabé. La majorité des membres a accepté, mais l’église mennonite – qui détient un droit de veto – a refusé.

En entrevue téléphonique avec La Presse, M. Monette a fait valoir que son congédiement et les allégations étaient motivés par la volonté de CAP St-Barnabé de s’approprier les actifs de CARE Montréal.

« Ce sont des allégations. Il n’y a rien de fondé », a-t-il fait valoir.

Il n’y a rien d’illégal dans ce que j’ai fait. […] On m’a jeté comme une vieille chaussette.

Michel Monette, ancien directeur général de CARE Montréal

La Presse a obtenu une version « projet » des derniers états financiers, signée par une comptable professionnelle agréée (CPA), document qui a circulé parmi les membres du conseil d’administration. Ce bilan identifie près de 600 000 $ en dépenses qui ont profité à des membres du C.A., des membres de la direction ou leur famille. Les enfants de M. Monette auraient ainsi touché 88 000 $ en salaire et une entreprise de M. Monette aurait obtenu pour 79 000 $ en contrat.

Le fondateur reconnaît la validité de ces données, mais ajoute que « tout ça, ce sont des choses légales. Il n’y a rien d’illégal ». Il a affirmé que son entreprise informatique avait remporté un appel d’offres, sans qu’il s’y implique. Ses enfants « ont le droit de travailler » et gagnent le même salaire que les autres.

« Je trouve – particulièrement dans le contexte actuel – cette vendetta inacceptable. Inacceptable », a ajouté MPierre-Paul Bourdage, l’avocat de l’église HOCHMA. « Il y a aura des recours, je vous le dis. On ne voulait pas en arriver là, mais Mme [Roy-]Goyette a agi de façon totalement, totalement irresponsable. »

Situation « préoccupante », selon le cabinet de la mairesse

Le CIUSSS du Centre-Sud de Montréal, qui distribue les enveloppes d’aide aux organismes de lutte contre l’itinérance, a reçu copie de la lettre de démission de Catheryn Roy-Goyette.

« On ne commentera pas le dossier pour le moment. C’est une situation que nous suivons de près et nous sommes en communication avec les deux organismes », a réagi Jean Nicolas Aubé, responsable des communications du CIUSSS.

« Cette situation rapportée dans la lettre de démission de Mme Roy-Goyette est préoccupante, a affirmé le cabinet de la mairesse Valérie Plante. La Ville fera les vérifications nécessaires en lien avec le financement accordé. »

Le syndicat CSN qui représente les employés de CARE Montréal depuis quelques mois émet les mêmes craintes que la présidente démissionnaire.

« Les allégations à l’endroit de l’ancien directeur général et son entourage sont troublantes. Un homme qui n’avait aucun respect pour ses employé-es, qui n’avait pas hésité à user de représailles lors de leur syndicalisation », a réagi Lucie Longchamps, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN). « Nous sommes extrêmement préoccupés par les problèmes de gestion et de gouvernance de CARE Montréal. […] Les pouvoirs publics doivent intervenir rapidement pour s’assurer que les deniers publics soient utilisés à bon escient. »

Le CAP St-Barnabé n’a pas rappelé La Presse.