(Halifax) La plus récente estimation officielle de la population de baleine dont l’espèce est la plus menacée au monde semble bien sombre.

Un groupe d’experts internationaux a récemment confirmé qu’il y avait l’année dernière environ 340 baleines noires de l’Atlantique Nord, contre 348 en 2020. Bien que le taux de déclin ait ralenti, les chercheurs affirment que ces énormes mammifères marins luttent toujours pour éviter de disparaître complètement de la planète.

Seuls 15 baleineaux sont nés en 2022, bien en deçà de la moyenne de 24 que l’on signalait au début des années 2000. Et pour la première fois cette saison, il n’y a pas eu de femelles qui sont devenues mères, ce qui soutient les recherches montrant une tendance à la baisse du nombre de baleines capables de se reproduire.

Mais malgré ces sombres conclusions, des nouvelles remarquablement bonnes sont apparues en octobre, juste avant la réunion annuelle du Consortium de la baleine noire, qui a réuni des chercheurs, des représentants de l’industrie de la pêche et des écologistes à New Bedford, au Massachusetts.

Sean Brillant, biologiste à la Fédération canadienne de la faune, souligne que de grands progrès sont réalisés dans l’utilisation d’une technologie relativement nouvelle pour empêcher les baleines de s’empêtrer dans les engins de pêche – l’une des principales causes de mortalité des baleines noires.

Alors que les casiers à homard et à crabe traditionnels sont largués au fond de l’océan puis récupérés en hissant de longues cordes suspendues à des bouées flottantes, les nouveaux engins n’utilisent pas de filin ou de bouées.

Les cages sont retrouvées par les pêcheurs à l’aide d’un dispositif de guidage électronique – une sorte de bouée virtuelle – et sont récupérées à l’aide de bobines de corde gonflées à distance ou de sacs de levage.

Des engins sans corde prêtés

L’élimination des engins flottants pourrait réduire considérablement le risque d’empêtrement des baleines, qui représente 82 % des décès documentés de baleines noires, selon l’Institut océanographique Woods Hole, de Falmouth, au Massachusetts.

Sean Brillant soutient que son organisation et quelques autres ont eu beaucoup de succès cette année en prêtant des engins sans filin aux pêcheurs canadiens de crabe des neiges dont les lieux de pêche étaient autrement fermés lorsque des baleines noires apparaissaient dans le golfe du Saint-Laurent.

La Fédération canadienne de la faune a fourni de l’équipement et de la formation à 10 pêcheurs de Tignish, à l’Île-du-Prince-Édouard, qui ont finalement ramené 167 000 kilos de crabes à l’aide d’engins sans corde posés dans des zones fermées.

Pendant ce temps, l’Association des crabiers acadiens, de Shippagan, au Nouveau-Brunswick, comptait 20 pêcheurs avec des engins sans corde dans des zones fermées. Ils ont ramené 181 000 kilos de crabe.

« L’implication des pêcheurs est la cause de notre succès », souligne M. Brillant.

« Les pêcheurs disent que ça marche »

Moira Brown, scientifique principale à l’Institut canadien des baleines, trouve encourageant de voir combien de personnes travaillent sur cette technologie sans corde.

Tout en soulignant que la baisse de la population l’an dernier ne constituait pas une tendance, elle rappelle que cela fait trois ans qu’il n’y a pas eu de décès confirmé de baleine noire dans les eaux canadiennes – bien que les scientifiques estiment qu’un tiers des morts de baleines noires ne sont jamais détectées.

« Tout cela démontre que le sans corde est réel », a déclaré Mme Brown, qui a commencé à travailler avec les baleines noires en 1985, alors qu’il n’en restait plus qu’environ 200 dans l’Atlantique Nord. « Cette population a déjà démontré qu’elle peut se rétablir si nous réduisons la mortalité causée par l’Homme. »

L’été dernier, l’Institut canadien des baleines, un organisme sans but lucratif enregistré, a rassemblé une collection d’engins sans corde de huit fabricants et l’a emballée dans une remorque utilitaire qui a été transportée dans 13 communautés de pêcheurs des Maritimes.

« On se présentait simplement dans un port ou lors de réunions d’associations de pêcheurs, principalement à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick », a déclaré Mme Brown.

« Les pêcheurs disent que ça marche […] C’est la prochaine solution au problème de l’enchevêtrement des baleines, qui afflige non seulement les baleines noires, mais aussi les baleines dans tous nos océans », déclare de son côté Kristen Monsell, directrice juridique du Center for Biological Diversity, un OSBL basé à Tuscon, en Arizona.

On pense que la population de baleines noires a culminé à environ 21 000 individus avant que la chasse intensive ne réduise considérablement leur nombre. Dans les années 1920, il en restait moins de 100. Après l’imposition d’une interdiction en 1935, la population est passée à 483 en 2010, mais a ensuite recommencé à décliner.

Les Américains plus réticents

En 2018, le gouvernement canadien a mis en place une série de mesures pour protéger les baleines noires, après que 17 d’entre elles soient mortes dans les eaux canadiennes et américaines l’année précédente, principalement à la suite d’enchevêtrements et de collisions avec des navires.

Ce pic soudain est survenu après que les chercheurs ont confirmé que de nombreuses baleines avaient changé leur route de migration printanière et estivale en se dirigeant plus au nord dans le golfe du Saint-Laurent, au lieu de rester dans le nord du golfe du Maine, dans la baie de Fundy et dans le Bassin Roseway, au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

Le gouvernement fédéral a notamment accru la surveillance aérienne du golfe, imposé des limites de vitesse plus lentes pour les navires dans les couloirs de navigation et suspendu temporairement la pêche dans certaines zones.

Malgré ces nouvelles règles et l’utilisation croissante d’engins sans corde, il est clair que l’industrie de la pêche a encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les baleines noires survivent. Cinq baleines ont été repérées cette année empêtrées dans des engins de pêche ; quatre de ces enchevêtrements étaient nouveaux.

Fin septembre, le New England Aquarium a indiqué qu’une femelle de 17 ans, « Snow Cone », repérée pour la première fois empêtrée dans de longues cordes en mars 2021, était si malade que « sa mort est presque certaine ». Son petit avait disparu en avril.

De plus, des questions difficiles demeurent quant aux coûts élevés associés aux engins sans corde. Il n’y a pas de normes en matière de systèmes de localisation, et les pêcheurs américains ont montré une résistance importante à l’utilisation d’engins sans corde et d’autres technologies visant à aider les baleines noires à éviter les enchevêtrements.

« Aux États-Unis, c’est beaucoup plus polarisé et conflictuel, a admis M. Brillant. Les pêcheurs, leurs associations et syndicats, sont très réticents à devoir adopter des engins sans corde […] Ils ont du mal devant le progrès. »