Le sous-financement de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel a des conséquences réelles sur le public : un violent criminel qui a poignardé un homme au visage ne pourra pas être déclaré délinquant dangereux en raison des délais d’évaluation « catastrophiques » . Un scénario qui risque de se répéter puisque l’Institut mettra des années à rattraper son retard.

« L’Institut Philippe-Pinel lance des cris d’alarme depuis plus de deux ans et l’État a choisi de ne pas réagir. […] Il est inacceptable que rien n’ait été fait », a asséné vendredi le juge Dennis Galiatsatos, de la Cour du Québec. Dans son jugement au vitriol, il étrille le gouvernement du Québec en soulignant son « délaissement généralisé de la justice ».

La Presse a révélé en novembre dernier que l’Institut Philippe-Pinel n’était plus en mesure d’évaluer les pires criminels du Québec dans les délais légaux en raison d’un volume « exponentiellement croissant » de demandes, d’un financement insuffisant et d’un mode de rémunération déficient.

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Une évaluation psychiatrique pour déterminer si un accusé peut être déclaré délinquant dangereux ou à contrôler doit en principe être effectuée en 60 jours, stipule le Code criminel.

Dans le cas présent, Franklin Minville – déjà déclaré délinquant à contrôler – risquait aussi d’être déclaré dangereux et d’écoper d’une peine à durée indéterminée. Ce multirécidiviste a suivi et poignardé un homme au visage, qui n’a survécu que « par la grâce de Dieu ». Il risque plus de 10 ans de prison.

Or, le juge Galiatsatos a refusé de prolonger les délais au-delà de 60 jours, rendant impossible pour le ministère public de faire déclarer l’accusé délinquant dangereux. Même si la demande d’évaluation datait du 23 septembre, Franklin Minville était passé en deux mois de 23e à 17e sur la liste d’attente de l’Institut. Le délai anticipé était d’au moins six mois additionnels.

Il est regrettable de constater que les délais catastrophiques dans le présent dossier ne sont pas exceptionnels. Au contraire, ils sont la norme et il n’y a actuellement aucune mesure concrète prise pour affronter le problème.

Dennis Galiatsatos, juge de la Cour du Québec

Une cheffe de service à l’Institut Philippe-Pinel, Elizabeth Mandeville, a révélé au juge que cela prendrait « jusqu’à deux ans » pour reprendre le contrôle des délais étant donné le « manque criant de ressources ». Et pire encore, ce serait seulement dans « trois ans » que l’Institut serait capable de respecter le délai légal.

L’Institut Pinel manque de psychiatres et de psychologues spécialisés en matière sexuelle pour traiter de telles demandes, selon Mme Mandeville. Seuls cinq experts font – à temps partiel – ce type d’évaluation, puisque le mode de rémunération n’est pas avantageux. Québec n’accorde que 100 000 $ depuis 2011 pour effectuer 15 demandes par année, alors que plus de 35 sont faites en moyenne.

Le Procureur général du Québec a admis que l’Ontario n’éprouvait « aucun problème » à respecter les délais et que le gouvernement du Québec n’avait « aucune solution à proposer », souligne le juge en gras. Le problème est « avant tout » un problème de disponibilité de candidats spécialisés au Québec, a expliqué le représentant du gouvernement.

Pour éviter une « culture de complaisance »

Selon le juge, l’État aurait dû agir dès juillet 2020 lorsque l’Institut a été bombardé de 20 demandes en cinq semaines.

« Or, si la solution préconisée de l’État est d’ignorer – de façon routinière – le texte clair d’une disposition législative, cela est révélateur d’un problème fondamental qui est difficile à ignorer. […] L’inaction n’est pas une solution. L’inaction est plutôt le problème », affirme le juge.

Ainsi, poursuit le juge, accorder une prolongation des délais dans de telles circonstances encouragerait une « culture de complaisance étatique » vis-à-vis des délais.

Le juge renchérit en évoquant le contexte actuel « peu rassurant » du système judiciaire, frappé par un manque de personnel et la fermeture de salles d’audience.

« La situation semble se détériorer davantage. Greffières, adjointes, interprètes, sténographes, constables, agents de détention ont tous atteint des niveaux de pénurie accablants. Il est difficile de ne pas constater un délaissement généralisé de la justice », déplore le juge.

D’ailleurs, le juge devait rendre sa décision quelques jours plus tôt. Toutefois, cette journée-là, 10 salles d’audience du palais de justice sont restées fermées, faute de personnel, avait révélé La Presse. Une situation sévèrement critiquée par le juge Galiatsatos.

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« Dossiers reportés, dossiers retardés, système paralysé… Il s’agit d’un jeu de loterie déplorable par lequel les justiciables se déplacent au palais de justice, espérant qu’ils auront le “privilège” de procéder à la date qui leur avait été promis. Ceci est déplorable », dénonce le juge.

« Cette situation généralisée affaiblit grandement toute motivation du Tribunal d’être indulgent envers les délais causés par le manque de ressources étatiques allouées à l’Institut Philippe-Pinel », conclut-il.

MPatrick Lafrenière représente le ministère public, alors que MCynthia Chénier défend l’accusé.