L’usage du français a diminué dans la majorité des régions du Québec, pas uniquement à Montréal, révèle une analyse des plus récentes données du recensement 2021 de Statistique Canada. Pas moins de 81 des quelque 100 municipalités régionales de comté du Québec ont enregistré un recul de la part du français comme première langue officielle parlée (PLOP), entre 2016 et 2021.

Les mouvements de population expliquent en grande partie ces baisses, selon le professeur Jean-Pierre Corbeil, du département de sociologie de l’Université Laval. « Il y a eu une croissance de l’immigration permanente en provenance de pays où le français n’est pas une langue connue habituellement », explique M. Corbeil, ancien directeur adjoint à la Division de la diversité et de la statistique socioculturelle de Statistique Canada. Pour l’année 2019, cette immigration représente plus de 40 000 personnes, dont 42,9 % proviennent d’Asie, 35,7 % d’Afrique et 10,5 % d’Europe, selon la Fiche de synthèse sur l’immigration au Québec de 2019. Parmi ces 40 000 immigrés, la moitié ont déclaré parler français en 2019.

De plus, l’immigration temporaire constitue elle aussi un facteur de baisse du taux de personnes ayant le français comme PLOP. « L’immigration temporaire a tout bonnement explosé ces dernières années et on sait que ces résidents non permanents ont davantage tendance à ne pas connaître le français », poursuit M. Corbeil. En 2019, le nombre d’immigrants temporaires était d’environ 120 000.

Enfin, les gens arrivant des autres provinces canadiennes favorisent la pratique de l’anglais. « En raison de la pandémie, on a observé une migration interprovinciale beaucoup plus faible au cours des cinq dernières années, explique le professeur à l’Université Laval. Puisque les personnes qui quittent le Québec sont en général anglophones unilingues ou ont comme langue principale l’anglais, ce manque de mobilité peut aussi expliquer la croissance du nombre d’anglophones ».

Bertrand Ouellet-Léveillé, analyste chez Statistique Canada, évoque quant à lui des facteurs qui ne sont pas que migratoires. « Il y a aussi le phénomène démographique. La population francophone est souvent plus âgée que celle non francophone. Ce vieillissement entraîne une baisse, explique le spécialiste. Puis, il y a la difficulté à dénombrer certaines réserves et certains établissements autochtones. Ça a un impact sur le recensement de la PLOP, dans certains cas sur la PLOP anglaise, comme en Gaspésie, dans d’autres cas sur celle française, comme sur la Côte-Nord », souligne-t-il.

Et à l’intérieur du Québec ?

Selon notre compilation, la baisse du français au Québec n’est pas homogène. Parmi les 15 divisions de recensement affichant la plus forte baisse dans la part du français comme première langue officielle parlée, huit sont situées dans la région métropolitaine. On y compte par exemple Longueuil, Laval et, bien sûr, Montréal. « La grande majorité des migrants qui arrivent s’installent dans la grande région de Montréal », note M. Corbeil. Une conclusion qui tend à confirmer le rôle des flux migratoires internationaux.

Les secteurs frontaliers de l’Ontario connaissent aussi une augmentation de leur taux d’utilisation de l’anglais. C’est le cas notamment pour les divisions de Pontiac, de Vaudreuil-Soulanges ou encore de Gatineau. « Dans la région de Gatineau, les anglophones de l’Ontario viennent au Québec pour le travail ou pour des raisons économiques, ce qui renforce l’immigration anglophone et participe à l’augmentation de l’anglais au Québec », note Jean-Pierre Corbeil.

L’augmentation de la francophonie en dehors de cette région frontalière trouve une autre explication. Si les anglophones ont tendance à rester à Montréal ou à s’installer dans ses couronnes, les francophones, eux, se déplacent davantage en dehors de la région métropolitaine, explique le professeur de l’Université Laval.

Un indice révélateur ?

Jean-Pierre Corbeil insiste tout de même, il reste nécessaire de comparer ses conclusions à d’autres facteurs que le PLOP. Le bilinguisme, dont ne tient pas compte l’indice, serait par exemple en croissance au Québec et plus particulièrement à Montréal, où les nouveaux immigrants parlent souvent français. « La plupart des indicateurs prouvent qu’il y a un recul, mais il faut quand même rester attentif aux nouveaux résultats publiés comme ceux de la langue parlée au travail ou dans l’espace public », note le professeur.

« En termes quantitatifs, le nombre de personnes qui parlent français au Québec n’a jamais été aussi élevé. En proportion, les indicateurs du français diminuent, mais pas en termes de nombre », souligne quant à lui Bertrand Ouellet-Léveillé.

Un combat politique ?

Depuis déjà plusieurs années, le gouvernement québécois se dit pourtant inquiet de ces résultats en défaveur du français. En août dernier, à la sortie d’une réunion du Conseil des ministres, François Legault déclarait à ce propos : « De ce que je vois, c’est inquiétant et on a eu raison d’agir avec le projet de loi 96. »

Selon Jean-Pierre Corbeil, les mesures politiques en matière de migration auraient pourtant elles-mêmes influé sur le taux de francophones au Québec. « Dans quelle mesure le Québec utilise-t-il les pouvoirs dont il dispose pour favoriser une immigration qui connaît le français au moment de l’arrivée ? Ces pouvoirs peuvent avoir une influence au fil du temps. »