Plus de deux ans avant que le monastère des Dominicaines de Berthierville ne soit vendu à un promoteur prêt à le démolir, le gouvernement du Québec avait demandé à la municipalité de le prévenir si un tel scénario se dessinait, a appris La Presse.

« Le ministre de la Culture et des Communications souhaiterait être informé quand un immeuble d’intérêt patrimonial situé à l’intérieur des limites de votre territoire, qui ne possède pas de statut juridique, est mis en vente ou est susceptible d’être détruit », a écrit la direction régionale du ministère de la Culture et des Communications (MCC) au directeur général de la Ville de Berthierville, le 3 novembre 2016.

Le ministre avait lui-même envoyé une lettre pratiquement identique une semaine plus tôt. « Je vous serais reconnaissant d’informer le ministère quand un immeuble d’intérêt patrimonial situé à l’intérieur des limites de votre territoire, qui ne possède pas de statut juridique, est mis en vente ou est susceptible d’être détruit », a écrit Luc Fortin, ministre de la Culture et des Communications dans le gouvernement libéral de Philippe Couillard, à celle qui était alors mairesse de Berthierville, Suzanne Nantel.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

L’entrepreneur André St-Martin devant le monastère de Berthierville, en avril 2019.

À la fin de mars 2019, les religieuses ont vendu leur monastère construit en 1933 à un entrepreneur de Berthierville, André St-Martin, qui a obtenu son permis de démolition de la Ville quelques jours plus tard. Le 4 avril 2019, la ministre de la Culture, Nathalie Roy, a émis une ordonnance d’urgence pour empêcher que le bâtiment ne soit rasé.

Classement patrimonial

En janvier 2020, l’ancien monastère a été classé immeuble patrimonial, et les terrains de plus de 7 kilomètres carrés sur lesquels il se trouve ont été classés site patrimonial. M. St-Martin avait proposé, dès l’année précédente, que Québec lui rachète l’ensemble, mais la ministre Roy avait fait savoir qu’il n’en était « pas du tout question ».

L’entreprise 9263-7552 Québec inc., dont M. St-Martin est actionnaire selon le Registraire des entreprises, poursuit aujourd’hui Québec en Cour supérieure pour expropriation déguisée. Les parties ont terminé leurs plaidoyers vendredi dernier au palais de justice de Joliette.

Si la Ville avait donné suite à la demande du ministre, on ne serait pas devant vous aujourd’hui.

Le procureur du gouvernement, s’adressant, vendredi, au juge David E. Roberge

Si Berthierville avait prévenu Québec, le ministère de la Culture aurait fait une évaluation patrimoniale, et la ministre aurait annoncé son intention de classer les lieux, a avancé MFrancis Durocher. Ainsi, « monsieur St-Martin n’aurait jamais acheté le monastère » ou, s’il avait tout de même décidé de l’acheter, ç’aurait été « en toute connaissance de cause, en sachant qu’il y aurait classement », a soutenu MDurocher.

« Je ne veux pas faire de commentaires », a répondu M. St-Martin à La Presse lundi.

Une lettre adressée à l’ensemble des municipalités

Les Dominicaines ont quitté leur monastère devenu trop grand pour leurs besoins et leurs moyens en 2012, et cherché un acheteur durant des années. Un inventaire du patrimoine bâti réalisé pour la MRC d’Autray en 2013 avait attribué une valeur patrimoniale « exceptionnelle » à l’immeuble, mais celui-ci n’était pas protégé.

Pourquoi ne pas avoir informé Québec que cet imposant monastère avait été « mis en vente » ou était « susceptible d’être détruit » après 2016 ? La municipalité dit l’ignorer.

« Cette lettre-là a été portée à ma connaissance lors de ma comparution en cour le 16 novembre dernier », a souligné l’actuelle directrice générale de Berthierville, Sylvie Dubois, en entrevue téléphonique lundi. À l’automne 2016, « je n’avais pas le traitement de tous les dossiers, loin de là », dit celle qui était alors directrice générale adjointe de la municipalité.

La même lettre a été envoyée « à tous les maires et à toutes les mairesses » de la province, indiquait Québec au début de sa missive de trois pages. La demande d’être informé « dans le même esprit de coopération » figurait à l’avant-dernier paragraphe.

Au moment d’écrire ces lignes, le ministère de la Culture et des Communications n’avait pas répondu à nos demandes de précisions envoyées lundi.

L’ancien monastère des Dominicaines de Berthierville a échappé à la démolition au printemps 2019, mais a ensuite subi les outrages du vandalisme, du feu et des intempéries, et fait l’objet de travaux urgents ordonnés par Québec.

En janvier 2020, le conseil municipal de Berthierville avait déclaré, par une résolution unanime, qu’il n’avait pas l’intention « d’investir des fonds publics, ni prendre en charge l’ancien monastère et le site », et qu’il ne voulait pas en avoir la responsabilité. Cette orientation est toujours en vigueur, nous a indiqué la Ville lundi.

En savoir plus
  • 40 millions de dollars
    Valeur estimée, en janvier 2020, du projet résidentiel qui ne peut être réalisé sur le site du monastère en raison de son classement patrimonial.
    Source : Procès-verbal de la séance ordinaire du conseil de la Ville de Berthierville tenue le 13 janvier 2020