Les drogues contaminées et les médicaments contrefaits frappent des Québécois de tous les âges, de toutes les régions et de tous les milieux. Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

La roulette russe des drogues de rue, Stéphanie Rondeau y a joué plus souvent qu’à son tour. Elle croyait pouvoir arrêter à sa guise. Elle se trompait.

Comme bien des adolescents, c’est au secondaire que Stéphanie commence à consommer du cannabis. Son frère, de 11 ans son aîné, lui a un peu tracé la voie.

« Je l’ai vu faire ses expériences, il faisait le party. Ça m’a rendue curieuse », dit-elle.

Le divorce houleux de ses parents laisse aussi Stéphanie avec une « grande blessure ».

« Je me rendais compte que ça venait combler une tristesse. Je n’y pensais plus pendant un moment et ça faisait du bien », explique-t-elle au sujet de sa consommation.

Mais l’adolescente n’est pas du genre à se contenter d’un joint à l’occasion.

Dès que je commençais une substance, j’en voulais toujours plus. C’était tous les jours et je n’étais jamais satisfaite. Il fallait toujours quelque chose qui me fasse buzzer plus.

Stéphanie Rondeau

Elle passe à la MDMA (la molécule active de l’ecstasy), à la kétamine, puis à la cocaïne. Son parcours scolaire s’en ressent. Elle se fait expulser de deux écoles secondaires et se retrouve en thérapie de désintoxication.

« Je manquais de respect à tout le monde, j’étais très égocentrique — comme beaucoup de consommateurs. Je perdais pas mal mes valeurs pour penser à ma conso », dit-elle.

La thérapie porte ses fruits. Pendant six mois, Stéphanie est complètement sobre.

« Je sentais que j’avais une deuxième chance, je me concentrais à finir mon secondaire 4. J’avais un chum qui ne consommait pas. Je faisais de l’ultimate frisbee, du graffiti, de la photo », dit-elle.

Mais les choses se gâtent à son arrivée au cégep. Elle rompt avec son copain aux idées « antidrogues » et a l’impression de retrouver sa liberté.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

« Je sais aussi que je suis ma pire ennemie. Je n’avais besoin de personne pour consommer », reconnaît Stéphanie Rondeau.

« Là, c’est parti en vrille. Je me suis fait de nouveaux amis qui consommaient et je consommais tous les jours. Le soir, je tombais dans la coke comme ça ne se peut pas », dit-elle.

Elle sort bientôt avec son revendeur, qui lui fait découvrir les aiguilles. Stéphanie commence à s’injecter sa cocaïne – une pratique qui la conduit à contracter l’hépatite C.

Xanax et Dilaudid

Mais la jeune femme se heurte vraiment à un mur quand elle s’initie à deux types de drogues : les benzodiazépines et les opioïdes.

Les premiers, souvent vendus sur le marché noir comme des comprimés de Xanax (un médicament anti-anxiété), contiennent en fait une myriade de substances. Ils provoquent une forte dépendance.

C’est encore pire avec les opioïdes. Stéphanie consomme du Dilaudid, un médicament antidouleur contrefait. La drogue la fait se sentir « engourdie, déconnectée ». Mais Stéphanie réalise rapidement qu’elle vient de franchir une étape.

Ce n’est plus la même game. Après quelques jours de consommation, tu sens le manque physique : grosses courbatures, le cou, les épaules. Je me réveillais le matin et j’avais mal. J’avais chaud, j’avais froid, j’avais des sueurs, de l’anxiété, des maux de cœur, des vomissements. Ça ne marchait plus.

Stéphanie Rondeau

De façon paradoxale, Stéphanie travaille alors pour l’organisme CARE… en réduction des méfaits auprès des consommateurs de drogues. Ses symptômes de sevrage l’amènent à consommer du Dilaudid avant d’aller travailler pour les calmer.

« Mais j’étais un peu dans les limbes, alors pour montrer que j’étais apte à travailler, j’allais dans les toilettes faire de la coke, raconte-t-elle. C’est une roue qui tourne… »

Grâce à son travail, Stéphanie a facilement accès à des languettes capables de détecter le fentanyl, un dangereux opioïde qui contamine toutes sortes de drogues et cause un grand nombre de surdoses. Elle les utilise pour tester ses propres drogues.

« Des fois, je voyais qu’il y en avait dans la coke ou le Xanax, mais je les prenais quand même. Je me disais : je ne peux pas jeter ma conso ! », raconte-t-elle.

Dans une fête de famille, elle tombe sur son grand-père, un ex-consommateur sobre depuis 35 ans.

« Il m’a regardée et m’a dit : "oh boy. Toi, ça ne va plus". Mon grand-père me connaît assez bien. Pour moi, c’est un peu un mentor. Je me suis dit : si lui le remarque… »

Elle décide d’aller chercher de l’aide. Aujourd’hui, Stéphanie suit un traitement de Suboxone pour gérer son sevrage d’opioïdes. Elle poursuit un DEC en éducation spécialisée et rêve d’être travailleuse de rue.

Elle dit encore consommer de la cocaïne à l’occasion, mais ne veut plus rien savoir des opioïdes.

« J’ai quelques amis de qui je me distance un peu parce que je sais qu’avec eux, ce serait trop facile de retomber là-dedans, dit-elle. Mais je sais aussi que je suis ma pire ennemie. Je n’avais besoin de personne pour consommer. »