Si le Canada accueille 500 000 immigrants par année et que le Québec maintient son seuil à 50 000, le poids du Québec dans le Canada chutera à 18 % dans 25 ans.

Ce scénario de projection a été réalisé par Statistique Canada à la demande de La Presse.

Il tient compte des plus récentes cibles du plan d’immigration fédéral dévoilé le 1er novembre, prévoyant l’accueil de 465 000 immigrants permanents dès l’an prochain, pour ensuite atteindre 500 000 en 2025. De son côté, le Québec a prévu maintenir son seuil à 50 000, le premier ministre François Legault estimant qu’il serait « un peu suicidaire » d’en accepter davantage « tant qu’on n’aura pas stoppé le déclin du français ».

Selon ce scénario personnalisé de Statistique Canada, basé sur la population estimée au 1er juillet 2023, le pays compterait 51 175 090 habitants en 2047, alors que le Québec en aurait 9 428 300 (18,4 %).

C’est en 2036 que le Québec glisserait sous la barre symbolique de 20 % de la population canadienne pour atteindre 19,9 %.

Il est important de noter que même si le gouvernement fédéral n’avait pas annoncé son intention de faire passer la cible à 500 000 immigrants par an d’ici trois ans, la croissance naturelle de l’immigration au Canada aurait de toute façon fait en sorte que le poids démographique du Québec dans l’ensemble du pays se serait progressivement réduit.

Ce poids, qui était de 28 % au début des années 1970, est en baisse constante depuis 50 ans.

Les projections officielles de Statistique Canada, publiées en août dernier, montraient que la place du Québec dans le Canada, de 22,3 % en 2022, se situerait à 19 % ou à 19,5 % dans un quart de siècle, selon un scénario de croissance moyenne ou de croissance forte de l’immigration.

Ces taux reposent sur le plan fédéral précédent, qui prévoyait d’accueillir 431 000 immigrants en 2022, 447 000 en 2023 et 451 000 en 2024. Pour ce qui est du Québec, ils reflètent les tendances récentes en immigration, légèrement supérieures au chiffre de 50 000 avancé par le gouvernement du Québec.

Consultez le rapport

« Au cours des dernières années, la proportion des immigrants reçus au Canada à destination du Québec a diminué considérablement, précise Patrice Dion, chef de la section des projections démographiques de Statistique Canada. De près de 19,5 % en 2012-2013, cette proportion a reculé à 13 % en 2018-2019. Nos hypothèses d’immigration reflètent les proportions relativement faibles observées au cours des dernières années, sans toutefois poursuivre la tendance à la baisse. »

Le poids politique

Qu’adviendra-t-il si les Québécois ne forment plus que 18 % de la population canadienne ?

L’économiste Pierre Fortin estime que le plan fédéral actuel est « dangereux ».

Hausser la cible à 500 000 immigrants par année n’aura pas d’impact économique sur la pénurie de main-d’œuvre, affirme-t-il. Pas plus que sur le vieillissement de la population ni sur le PIB par habitant.

Mon inquiétude, c’est que si on suit la politique du gouvernement fédéral, on va crinquer la population canadienne contre l’immigration, tôt ou tard. Et qui va en souffrir ? Nos propres immigrants qui sont devenus les meilleurs Québécois et Canadiens possibles.

Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l’UQAM

M. Fortin ajoute que les nouvelles cibles fédérales en immigration, si elles sont adoptées, auront très certainement pour effet de réduire le poids politique du Québec à la Chambre des communes, un processus déjà amorcé.

« Il y a un an, je pensais que cela aurait une conséquence importante du point de vue du choix de l’adoption des lois, des politiques du fédéral », expose l’économiste. « Maintenant, je suis moins certain. Pourquoi ? Parce que je pense que le plus grand philosophe politique du Canada au XXe siècle, c’est Jean Chrétien. Or, Jean Chrétien a toujours dit : l’important, ce n’est pas le poids du vote, c’est le score final. L’important, c’est de gagner, point à la ligne. »

Le poids de l’Ontario

Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval, est moins optimiste.

« Les années Harper ont semé l’idée qu’il peut être possible de gouverner le Canada sans avoir une forte députation qui vient du Québec, rappelle-t-il. Je pense que la politique fédérale, qui consiste à faire un pays d’immigration avec des chiffres et un plan d’accueil qui n’a aucun équivalent dans le monde, va accélérer cette idée. »

Il craint plus que tout le jour où la population ontarienne sera deux fois plus grande que celle du Québec.

Ça va être pour bientôt, dit-il. L’écart se creuse à une grande vitesse. Quand l’Ontario aura le double de la population du Québec, il n’y aura plus cette idée de partenaires sur un pied d’égalité. Je pense que ça va transformer profondément la nature de ce pays.

Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval

Adèle Garnier, spécialiste des enjeux migratoires et professeure à l’Université Laval, est du même avis. « Si le poids démographique diminue et que moins de personnes ont le droit de vote, on va se retrouver avec une situation où Ottawa devra faire diminuer le poids du Québec par rapport à d’autres provinces. »

Le poids de la langue

Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval, fait remarquer que cela aura aussi des impacts sur la place du français dans l’ensemble du Canada.

« Le Québec, c’est le bastion de la francophonie au Canada. Donc, l’influence, non seulement du Québec, mais de la francophonie au sein de la fédération, ne peut que diminuer, si on passe à 18 % de la population », explique-t-il.

« Un moment donné, il y aura aussi des levées de boucliers à gauche et à droite. D’autres groupes linguistiques vont sans doute faire des revendications. Il peut devenir difficile de valoriser une langue qui devient de plus en plus minoritaire au pays. La force de l’immigration est telle que ça risque de mettre en question cette dualité linguistique. »

Scénario personnalisé

Les hypothèses de ce scénario personnalisé se distinguent des plus récentes projections de Statistique Canada à deux égards, indique Patrice Dion, chef de la section des projections démographiques. Elles tiennent compte des nouvelles cibles et de la population estimée au 1er juillet 2023. « L’immigration n’est pas le seul facteur qui influe sur l’évolution démographique des provinces et territoires, note M. Dion. Pour ce qui est des hypothèses relatives aux composantes de l’accroissement autres que l’immigration et la population de base, celles-ci sont conformes à nos plus récentes projections diffusées le 22 août dernier. »