Les drogues contaminées et les médicaments contrefaits frappent des Québécois de tous les âges, de toutes les régions et de tous les milieux. Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

Elle militait pour Greenpeace et Amnistie internationale. Elle était allée prêter main-forte aux sinistrés de Sainte-Marthe-sur-le-Lac lors des inondations de 2019. Elle étudiait en droit et en développement international avec l’objectif de défendre les droits des Autochtones.

« Sara-Jane était une fille qui défendait la veuve et l’orphelin, les chiens et les chats, les arbres et les rivières », lance avec humour sa mère, Isabelle Fortier.

Sara-Jane Béliveau a été emportée par une surdose à 24 ans. Mais son désir de changer le monde, lui, n’est pas mort. C’est désormais sa mère qui le porte. Sa mission : modifier les perceptions et les politiques publiques entourant les drogues.

« Elle m’a refilé le flambeau. C’est elle qui me guide », dit Mme Fortier. Pour illustrer cette continuité, elle montre le tatouage de renard qu’elle porte à l’avant-bras. C’était celui que Sara-Jane voulait se faire faire avant de mourir.

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Isabelle Fortier s’est fait tatouer un renard, celui que Sara-Jane voulait se faire faire avant de mourir.

Mme Fortier décrit sa fille comme une personne profondément empreinte de justice sociale. Une fille qui, dès son jeune âge, est de tous les combats.

À l’école, bien qu’elle soit réservée, elle prend la défense de la seule fille noire de son groupe lorsque celle-ci subit du racisme. En deuxième secondaire, elle affronte en pleine classe un professeur qui fait des blagues douteuses sur les gais.

Mais la vie n’est pas toujours simple pour Sara-Jane. Elle souffre d’un trouble anxieux et d’un trouble de la personnalité limite. Elle est très exigeante envers elle-même, a les émotions à fleur de peau, fait de l’écoanxiété.

« Trouver sa place dans la vie, c’était difficile, dit sa mère. Rentrer simplement dans le cadre, ce n’était pas tout à fait ce qu’elle aimait. C’était une marginale, ma fille ! »

Les drogues comme automédication

Les drogues entrent dans sa vie quand elle a 13 ans. D’abord du cannabis et des amphétamines. Puis, quelques années plus tard, de la cocaïne et de l’héroïne.

Ça a sûrement commencé pour le fun, mais je crois que c’est rapidement devenu de l’automédication. Il y avait un mal-être lié à son trouble de personnalité limite.

Isabelle Fortier, mère de Sara-Jane Béliveau

Celle-ci insiste sur une chose : malgré sa consommation, sa fille est alors fonctionnelle. Elle mène un double baccalauréat à l’Université d’Ottawa, s’implique dans mille et une causes, a des projets plein la tête.

Les derniers mois de sa vie sont néanmoins difficiles. Sara-Jane vit une rupture amoureuse et se dit fatiguée. Le jour de la fête des Mères, elle appelle sa mère et lui confie jongler avec l’idée de prendre une session de congé pour partir à l’étranger avec la Croix-Rouge. Mme Fortier l’encourage dans son projet.

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Isabelle Fortier veut modifier les perceptions et les politiques publiques entourant les drogues.

« Ç’a été une bonne et une belle discussion », se souvient cette dernière.

Cinq jours plus tard, c’est le choc. Sara-Jane, qui avait dit à ses proches avoir cessé de consommer des dépresseurs comme l’héroïne, est retrouvée morte dans sa chambre de l’Université d’Ottawa.

Elle a consommé de « l’héroïne mauve », un mélange d’héroïne et de fentanyl. La sertraline, un médicament que Sara-Jane prenait pour son trouble de personnalité limite, aurait aussi joué un rôle dans sa mort.

Dans son appartement de Verdun, Isabelle Fortier a aujourd’hui un petit « temple » en l’honneur de sa fille. Sur une table, elle a déposé une photo de Sara-Jane ainsi que son chandail préféré, l’un de ses foulards et la clarinette dont elle jouait.

La douleur du deuil, Mme Fortier l’a transformée en action. Pour comprendre ce que vivait sa fille, elle a suivi un certificat en toxicomanie à l’Université de Montréal. Sa bibliothèque abrite des titres comme Addiction Medicine, La toxicomanie ou Overdose.

Mme Fortier s’est rapidement impliquée dans l’organisme Moms Stop the Harm, un réseau de familles canadiennes touchées par les surdoses. Elle siège au conseil d’administration de Dopamine, une organisation qui soutient les consommateurs de drogues. Elle donne des conférences et multiplie les entrevues dans les médias.

« J’ai fait un 180 degrés par rapport à mes valeurs, dit-elle. J’ai réalisé que l’abstinence n’est pas la seule réponse. À l’époque, je voulais amener Sara-Jane vers ça. »

Elle avait même pris un rendez-vous pour sa fille dans un centre de réadaptation en dépendance. Mais à la toute dernière minute, Sara-Jane avait refusé d’y aller. « Elle n’était pas prête », constate Isabelle Fortier.

Aujourd’hui, Mme Fortier parle sur toutes les tribunes de déstigmatisation, de réduction des méfaits, de décriminalisation des drogues, d’approvisionnement sûr. Si Sara-Jane n’avait pas consommé seule, en cachette, elle serait peut-être aujourd’hui vivante. Même chose si elle avait eu accès à des drogues de qualité au lieu de substances contaminées.

« Je le répète partout : ça peut arriver à tout le monde, dit-elle. Ça ne discrimine pas sur ta classe sociale, ton niveau d’instruction, la couleur de ta peau, ton orientation sexuelle ou ton métier. »