Le projet de loi du gouvernement fédéral obligeant les géants du web à négocier des accords commerciaux avec les médias canadiens dérange Meta, la maison mère de Facebook, qui menace de mettre fin au partage de contenu d’actualité canadien sur sa plateforme.

« Nous estimons que la Loi sur les nouvelles en ligne représente mal la relation entre les plateformes et les éditeurs de nouvelles, et nous demandons au gouvernement de revoir son approche pour aider à créer une industrie de la nouvelle plus équitable et durable », a écrit dans un billet Marc Dinsdale, responsable des partenariats médias chez Meta Canada, vendredi dernier.

L’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne (projet de loi C-18) pourrait bloquer le partage des nouvelles sur la plateforme au Canada, signale-t-il, ajoutant déplorer que l’entreprise n’ait pas été invitée à faire part de ses préoccupations au gouvernement.

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, s’est montré peu impressionné par ces menaces. Lundi, il a accusé Facebook et les autres géants du web de tenter d’intimider le gouvernement fédéral et, par ricochet, les Canadiens. « Et ça, ça ne marche pas », a-t-il affirmé dans une entrevue accordée à l’émission Midi Info de Radio-Canada animée par Alec Castonguay.

Il a rappelé qu’en vertu de son projet de loi, les géants du web, qui occupent une position dominante, doivent négocier des ententes équitables avec les médias d’information.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien

En ce moment, les gens partagent le travail journalistique sur Facebook, sur Google, sans recevoir un sou. […] Les plateformes profitent de la présence de ce contenu journalistique pour attirer des gens, avoir du trafic, sans devoir payer un sou. Et ce trafic leur permet de faire de l’argent et de vendre de la publicité plus cher.

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien

Il a aussi indiqué qu’il était ouvert à l’idée d’amender le projet de loi C-18, comme il l’avait aussi fait savoir durant sa comparution devant le comité du patrimoine de la Chambre des communes la semaine dernière, sans toutefois donner plus de détails.

Le Bloc québécois a aussi dénoncé la stratégie de Facebook. « Facebook est dans son droit d’être irrité de ne pas avoir été invité en comité parlementaire et le Bloc serait tout à fait en faveur de les entendre. Cependant, ils doivent bien comprendre que la menace de bloquer l’accès aux sites de nouvelles sur leurs plateformes, ce n’est rien de moins qu’une campagne de peur qui discrédite leur organisation », a indiqué le député bloquiste Martin Champoux.

Nouvelles bloquées en Australie

M. Champoux a rappelé que Facebook avait brièvement bloqué le partage des nouvelles en Australie dans un contexte semblable l’an dernier.

« L’expérience australienne a démontré qu’un tel ton ne mène à rien et nous n’accepterons pas que Facebook répète son petit jeu ici. Si C-18 venait à être adopté, on estime à près de 300 millions les sommes qui pourraient être versées aux entreprises de nouvelles au Québec et au Canada ! Un meilleur partage des revenus entre plateformes et médias est urgent et nécessaire », a ajouté le porte-parole du Bloc québécois en matière de patrimoine.

Pour sa part, le Nouveau Parti démocratique (NPD) affirme que le gouvernement fédéral doit continuer de tenir tête aux géants du web, d’autant plus qu’ils sont souvent responsables de la diffusion de fausses informations.

« La responsabilité des élus, c’est de défendre la démocratie et la diffusion de nouvelles et d’informations vérifiées, pas les profits exorbitants d’une multinationale. Nous devons également tenir tête à ces corporations qui font mal aux travailleurs dans le domaine des médias en pleine crise de la hausse du coût de la vie – vivre dans l’anxiété de perdre son emploi en raison de la concurrence déloyale des géants du web, c’est complètement injuste », a fait valoir le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice.

« Menaces creuses »

Jean-Hugues Roy, journaliste et professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qualifie de « menaces creuses » la position de Facebook et note que le réseau social a besoin d’informations pour attirer et garder l’attention des usagers.

Quand Facebook a commencé, ce sont eux qui ont approché les médias pour qu’on mette nos nouvelles sur Facebook. C’était gagnant-gagnant. Maintenant que Facebook fait des milliards et que son modèle d’affaires démolit celui des médias, ils ne veulent plus revoir l’entente et font des menaces…

Jean-Hugues Roy, journaliste et professeur à l’École des médias de l’UQAM

Dans une récente analyse sur le contenu mis sur Facebook par 275 médias québécois, M. Roy a remarqué une diminution dans la quantité d’interactions des usagers avec le contenu depuis deux ans. « C’est un peu comme si Facebook diminuait la visibilité des contenus médiatiques québécois sur sa plateforme », dit-il.

La question du partage de nouvelles en ligne est importante, parce que c’est en ligne et sur les réseaux sociaux que les Canadiens disent s’informer en premier lieu. « C’est majeur », dit M. Roy.

En savoir plus
  • 30,4 millions
    Nombre d’usagers de Facebook au Canada en date de juin 2022
    SOURCE : Statista