L’immigration monopolise la campagne électorale et provoque des dérapages depuis quatre semaines : un premier ministre qui affirme qu’accueillir plus de 50 000 immigrants, ce serait « un peu suicidaire », des tweets anti-islam de péquistes, un mur à la frontière de conservateurs et des faussetés colportées par un ministre de l’Immigration… Comment les immigrants perçoivent-ils cette campagne électorale ? Pas très bien, selon les témoignages recueillis par La Presse.

Déçu et fâché

« My God ! J’étais fâché. J’étais déçu et fâché. » C’est ainsi que s’est senti Francisco Morataya quand il a entendu les propos du ministre sortant de l’Immigration, Jean Boulet, qui avait dit que 80 % des nouveaux arrivants « s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ».

M. Morataya est l’exact contraire de ce portrait mensonger. Il vit à Sherbrooke, occupe un emploi à Magog et parle français.

Et c’est l’ouverture des Québécois qui a donné envie à ce Salvadorien arrivé au Canada en 2016 de s’installer dans la belle province.

Je voulais plus d’opportunités sur le plan professionnel et plus d’opportunités sur le plan personnel parce que je suis gai.

Francisco Morataya

L’immigration lui a souri, puisqu’il a décroché un emploi en informatique dans une grande entreprise et a trouvé un amoureux.

Depuis le début de cette campagne électorale, Francisco Morataya a regardé les deux débats télévisés et il s’est informé dans les médias. « Je suis très intéressé par ce qui arrive au Québec parce que c’est ma maison », dit celui qui n’aura toutefois pas le droit de vote le 3 octobre parce qu’il est résident permanent, et non citoyen.

Ces élections québécoises ont toutefois fait naître une crainte chez lui. De plus en plus, le discours sur l’immigration tend vers la droite, dit-il, et cela n’augure rien de bon pour les autres personnes comme lui qui voudraient choisir le Québec comme terre d’accueil.

« Jamais assez bons »

Omid Danesh croit que les immigrants ne se sentiront jamais « à la hauteur » à cause de faussetés comme celles véhiculées par le ministre sortant de l’Immigration. « Si les immigrants ne se sentent jamais assez bons, ils vont aller ailleurs, et c’est dommage parce qu’on a besoin de garder les gens ici », explique cet Iranien arrivé au Québec en 2012.

M. Danesh affirme qu’il adore le Québec. « C’est l’un des endroits les plus magnifiques au monde », dit-il dans un français impeccable. Depuis son arrivée au pays, il a fait une maîtrise en génie mécanique à l’Université Concordia, appris le français, décroché un emploi en aéronautique et s’est impliqué dans des organismes comme le Conseil jeunesse de Montréal.

PHOTO FOURNIE PAR OMID DANESH

Omid Danesh

Je me trouve hyper chanceux d’être ici au Québec. Les gens se préoccupent des changements climatiques, il y a un filet social, les gens sont solidaires.

Omid Danesh

« Je ne suis pas un partisan de Québec solidaire », nuance-t-il, sans toutefois préciser pour qui il votera le 3 octobre.

Prêts à sortir de leur zone de confort

Bei Shan suit la campagne électorale assidûment. Elle regarde les débats et elle publie des analyses pour les immigrants chinois du Québec sur le média social Weibo. Pourtant, le 3 octobre, elle n’aura pas le droit de vote étant donné qu’elle est résidente permanente du Canada.

PHOTO FOURNIE PAR BEI SHAN

Bei Shan

Pour cette Chinoise arrivée au Québec en 2016, on a tort de prétendre que les immigrants se fichent du français. « Le français, c’est la langue officielle du Québec. On n’a pas le choix de l’apprendre. C’est comme si quelqu’un déménageait en Chine. Il n’aurait pas le choix d’apprendre le mandarin », explique-t-elle, comme s’il s’agissait d’une évidence.

Celle qui parle quatre langues affirme que c’est sa connaissance du français qui lui a ouvert des portes et qui lui a permis de s’intégrer au Québec.

Les gens qui immigrent, ils sont prêts à sortir de leur zone de confort.

Bei Shan

« Au début, ce n’est pas évident, il faut s’encourager soi-même, mais ça vaut la peine », ajoute la journaliste et conseillère financière.

« Ça me déçoit »

« Dans le temps, on disait que les immigrants volaient des emplois. Aujourd’hui, on véhicule qu’ils sont sans emploi. Il me semble que c’est contradictoire », lance Jacques Nacouzi, un immigrant libanais arrivé au Québec en 1995 qui en a assez que l’on casse du sucre sur le dos des immigrants.

M. Nacouzi tente encore de comprendre pourquoi un ministre a brossé un portrait de l’immigration aussi éloigné de la vérité. Et pourquoi un premier ministre a qualifié d’« un peu suicidaire » l’accueil de plus de 50 000 immigrants.

PHOTO FOURNIE PAR JACQUES NACOUZI

Jacques Nacouzi

Véhiculer des faussetés, ça ne fait que monter les gens les uns contre les autres.

Jacques Nacouzi

Il travaille dans une entreprise d’aéronautique, possède un commerce sur la rue Saint-Denis et s’est fait connaître comme un défenseur du Réseau Express Vélo.

Encore aujourd’hui, il se demande si la CAQ vise l’immigration pour gagner des votes auprès d’une certaine frange de la population. « Est-ce que le gouvernement veut vraiment prendre ce risque-là pour gagner ses élections ? […] Ça me déçoit et ça crée chez moi des craintes », dit-il.

« Je me sens la bienvenue »

C’est un coup de foudre – avec un joli Québécois rencontré à Buenos Aires – qui a amené Gabriela Piva à s’installer à Montréal en 2015, après quelques allers-retours entre l’Argentine et le Canada.

Avant même d’immigrer, Gabriela Piva a entamé des cours privés de français dans son pays natal.

PHOTO FOURNIE PAR GABRIELA PIVA

Gabriela Piva

Je ne voulais pas que le gouvernement me paye pour apprendre le français. Je voulais que dès mon arrivée, je puisse travailler pour être un actif pour la société.

Gabriela Piva

Mme Piva explique celle qui s’estime chanceuse d’avoir été épaulée par son conjoint (aujourd’hui son mari et le père de ses deux enfants).

L’Argentine, qui travaille dans une entreprise de logistique internationale, s’intéresse à la politique provinciale et fédérale. Depuis le début de la campagne électorale, elle s’est penchée sur les propositions des différents partis concernant l’immigration.

Et les commentaires acerbes entendus de la bouche de politiciens ? Elle essaie d’en faire fi.

« Moi, je fais partie d’une communauté. Je suis entourée de bons voisins, de parents que je côtoie à l’école de ma fille, de collègues de travail. Parmi eux, je me sens la bienvenue », souligne-t-elle.