(Îles-de-la-Madeleine) Chalets soufflés par les rafales ou carrément éventrés par les vagues. Routes submergées. Terrains substantiellement grugés. Une vingtaine de sinistrés évacués. La tempête Fiona a fait des ravages considérables aux Îles-de-la-Madeleine depuis vendredi.

« Quand Dorian a frappé [en 2019], j’ai perdu 25 pieds de terrain. Maintenant, avec Fiona, j’ai perdu au moins 10 pieds et mon champ d’épuration est à découvert. À la prochaine tempête, les vagues vont manger ce qui reste, si ça continue », craint Susy Cormier, dont le chalet est situé sur la route 199 en bordure de la mer dans le secteur de La Martinique.

Comme plusieurs Madelinots croisés samedi en pleine tempête post-tropicale Fiona, Mme Cormier fait un lien entre les changements climatiques et les épisodes de météo extrême qui frappent l’archipel du golfe du Saint-Laurent.

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Débris jonchant le chemin des Chalets, dans le secteur de La Martinique

« Les tempêtes sont de plus en plus fortes », constate-t-elle avec impuissance. Après Dorian qui a durement frappé les Îles il y a trois ans, les voisins de Mme Cormier ont dépensé des sommes considérables pour faire des travaux d’enrochement et ainsi tenter de freiner l’érosion des berges.

« Moi, j’aurais voulu le faire aussi, mais ce n’est pas permis par la municipalité si on n’a pas déjà un mur de roches, décrit-elle. La logique, c’est pourtant qu’on puisse protéger ce qu’on a de précieux. »

Mme Cormier ne peut pas, non plus, éloigner son chalet de la berge, puisque derrière chez elle, c’est la route 199.

Ses voisins Denise et Paul Delaney sont conscients des risques de vivre si près de l’eau en pleine crise climatique. Mais « quand on passe un bel été comme on vient de passer, on oublie ce que l’avenir nous réserve », lance Mme Delaney.

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Vagues déferlant dans le secteur de La Martinique

L’« avenir » dort dans un berceau installé à côté de la salle à manger. Leur fille Mélissa est venue de Montréal passer une partie de son congé de maternité dans ce coin de paradis avec son enfant de 3 mois. « Tout le monde veut préserver sa qualité de vie, c’est normal », dit-elle.

Cela a un coût, explique le couple de septuagénaires, qui a déboursé plus de 25 000 $ en travaux d’enrochement après Dorian il y a trois ans.

M. Delaney remet en question le fait qu’il a dû débourser lui-même une telle somme alors que Québec s’était engagé à aider les citoyens des Îles victimes des ravages de Dorian. « On a perdu notre temps à faire de la paperasse parce que le gouvernement nous avait promis de l’aide, puis finalement, on n’a rien reçu », dit-il un brin amer. Il a aujourd’hui l’impression que l’histoire se répète.

Le premier ministre sortant François Legault a pris un engagement semblable samedi.

Un avertissement en 2020

À un jet de pierre de chez les Delaney, sur le chemin des Chalets, des résidences secondaires ont été soufflées par le vent dans la nuit de vendredi à samedi. L’une d’elles a carrément été éventrée.

Des propriétaires sous le choc ont défilé durant une partie de la journée pour récupérer leurs rares objets personnels qui n’avaient pas été abîmés par l’eau.

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Habitation détruite sur le chemin des Chalets, samedi

Un groupe de six ou sept amis – tous des pères de famille dans la trentaine – regardait le chemin des Chalets partiellement englouti et jonché de débris avec impuissance. « La municipalité ne voudra jamais reconstruire la route », se désolait l’un d’eux.

Je n’ai pas hâte d’annoncer cela à mes enfants. Ils jouent ici tout l’été. C’est eux qui vont être les plus tristes.

Un homme rencontré par La Presse sur le chemin des Chalets

Dans un avis technique datant de 2020, le ministère de la Sécurité publique notait que « l’entièreté du secteur du chemin des Chalets […] est jugée en situation de danger imminent en regard des aléas d’érosion et de submersion côtières » et recommandait de procéder au retrait permanent des bâtiments et à la fermeture du chemin, selon un article de Radio-Canada à l’époque.

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Autre résidence du chemin des Chalets portant les marques de la tempête Fiona

Les propriétaires ont été sommés cette année-là de démolir ou de déplacer leur résidence. Si la majorité des 42 résidences secondaires ont été démolies ou déplacées après le passage de Dorian, les propriétaires d’une douzaine de chalets résistent toujours. C’était bien sûr avant le passage de Fiona. Plusieurs maisons qui étaient toujours sur place n’ont pas tenu le coup.

Le maire suppléant Richard Leblanc ne pouvait commenter l’affaire, samedi, puisqu’elle se retrouve actuellement devant les tribunaux.

Courte, très courte nuit

Comme beaucoup de Madelinots, le maire Richard Leblanc a connu une nuit très courte vendredi.

« Les vents m’ont réveillé à 1 h du matin et j’ai été incapable de me rendormir », a-t-il confié à La Presse en marge d’un point de presse des autorités. La mairie a décrété l’état d’urgence pour toute la journée de samedi.

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Vagues impressionnantes frappant Cap-aux-Meules, samedi

Le réseau routier a été fermé à la circulation toute la journée puisque des arbres et des débris jonchaient les routes par endroits.

Vingt-deux sinistrés ont été évacués dans les secteurs côtiers de La Grave à Havre-Aubert et de la Pointe à Havre-aux-Maisons depuis vendredi soir, dont une poignée de touristes hébergés à l’auberge de jeunesse Paradis bleu.

Les vents du nord-est ont atteint des pointes à 120 km/h dans la nuit de vendredi à samedi. Ils ont soufflé en continu à près de 90 km/h samedi, selon Environnement Canada. Des rafales de 100 km/h à 140 km/h, peut-être même plus, aux endroits les plus exposés aux vents étaient prévues en soirée.

Au quai de Cap-aux-Meules, des pêcheurs surveillaient leur bateau depuis leur camion pour une deuxième journée de suite. « Je n’ai jamais vu ça des vagues de même. Il va y avoir de gros dommages », nous a lancé Stéphane Bourque, l’air inquiet.

Le niveau d’eau était très élevé dans deux havres de pêche, a pu constater La Presse sur le terrain.

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Le toit de l’église de Lavernière endommagé après le passage de la tempête Fiona

Le toit de l’église de Lavernière – un bâtiment à valeur patrimoniale – a aussi été endommagé par la force des vents.

Le maire suppléant a indiqué, samedi, qu’il était trop tôt pour faire un bilan des coûts des dommages.

La plupart des commerces ont fermé pour la journée.

En raison des nombreux secteurs privés de courant, la municipalité a demandé aux citoyens de limiter leur consommation d’eau puisque les pompes des puits fonctionnent à l’électricité. « On a amené des génératrices aux différents puits, mais notre capacité est un peu moindre », a indiqué le maire suppléant.

L’un des deux câbles sous-marins qui assurent le lien de télécommunication entre les Îles-de-la-Madeleine et la Gaspésie a aussi été endommagé par la tempête, mais le second câble a pris le relais, évitant aux Madelinots d’être coupés du monde comme en 2018, lorsqu’un câble s’était rompu.