À la veille de l’arrivée de Fiona, les Madelinots retiennent leur souffle

(Îles-de-la-Madeleine) Roberto Bourgeois, pêcheur de homards, fixe son bateau de pêche, l’air inquiet.

« J’aurais dû le mettre à sec avant, mais j’avais encore du travail », regrette Roberto Bourgeois, pêcheur de homards rencontré sur le quai de L’Étang-du-Nord vendredi en fin d’après-midi, alors qu’une pluie fine s’abattait sur les Îles-de-la-Madeleine.

Le capuchon de son coton ouaté vissé sur la tête comme seule protection, le Madelinot s’affaire à « tripler, peut-être même quadrupler » ses cordes d’amarrage.

La pêche aux homards s’est terminée en juillet, raconte l’homme au teint basané par un été passé en mer, mais il a décidé de continuer à faire des expéditions accompagné de plongeurs pour récupérer des cages perdues.

C’est pour cette raison que son bateau n’a pas encore été remisé.

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Roberto Bourgeois, pêcheur de homard

« J’espère que ça va tenir le coup », lâche-t-il en changeant une corde abîmée pour une autre beaucoup plus grosse, flambant neuve.

Comme plusieurs, l’homme s’apprêtait à passer la nuit dans son embarcation. « Tous ceux qui tiennent à leur bateau font ça », assure-t-il, malgré les risques que cela comporte.

Le pêcheur est prêt à tout pour sauver son gagne-pain – l’embarcation vaut 800 000 $ souligne-t-il – alors que tout le monde sur l’archipel du golfe Saint-Laurent craint les conséquences que la tempête tropicale Fiona pourrait laisser sur son passage.

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Roberto Bourgeois s’affaire à « tripler, peut-être même quadrupler » ses cordes d’amarrage.

Vents de 150 km/h

Les Îles, qui sont en plein cœur de la trajectoire, se préparent à faire face à des vents de 100 à 160 kilomètres à l’heure et à recevoir de 75 à 125 millimètres de pluie au total, ce qui comprend, donc, la pluie déjà tombée depuis jeudi soir. Une marée de tempête viendra s’ajouter à l’ensemble samedi matin. Fiona devait toucher l’est du Québec dans la nuit de vendredi, et ce, jusqu’à la fin de la journée de samedi. Des vagues jusqu’à 6 à 8 mètres et beaucoup de pluie étaient anticipés.

« Des visites préventives sont effectuées en collaboration avec les services de sécurité incendie, et des centres de services aux sinistrés ou d’hébergement seront rendus disponibles au besoin. Tout est en place pour assurer la sécurité des Madelinots. Soyez prudents », a indiqué la ministre de la Sécurité publique sortante, Geneviève Guilbault, sur Twitter en fin de journée vendredi.

Sur le site historique de La Grave, à Havre-Aubert, les commerçants se préparaient au pire vendredi. Luc Chevrier a placardé sa bijouterie, l’air résigné. « C’est la première fois que je placarde depuis que j’ai la boutique », lâche-t-il. Avec sa femme, Solange Leblanc, il était en train de vider son commerce de son précieux contenu, multipliant les allers-retours entre son véhicule et la boutique.

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La Grave à Havre-Aubert, aux Îles-de-la-Madeleine

« Nous risquons de tout perdre », se désole M. Chevrier alors que son commerce situé sur le bord de l’eau ne peut être assuré contre les inondations et les tempêtes. Il l’a acheté plus de 100 000 $ il y a 8 ans et a investi quelque 50 000 $ en rénovations depuis.

« Plus ça va, plus on est stressés », ajoute sa femme.

Le couple craint que les grosses roches qui viennent d’être installées pour limiter l’érosion des berges sur le site historique de La Grave viennent faire éclater ses vitres et qu’ensuite, l’eau s’infiltre partout. C’est que la municipalité a récemment achevé les travaux de recharge de plage au site historique ; un chantier rendu nécessaire pour protéger l’endroit contre l’érosion côtière et la submersion.

Protection des berges

L’érosion des berges est un enjeu majeur ici ; un phénomène accéléré par les changements climatiques. En 2020, le maire, Jonathan Lapierre (aujourd’hui candidat aux élections provinciales pour la Coalition avenir Québec), et le député péquiste, Joël Arseneau, ont demandé à Québec de prévoir une enveloppe de 80 millions de dollars dédiée à la protection des berges pour les 10 prochaines années.

« C’est le premier gros test pour le projet d’enrochement de La Grave », souligne le maire suppléant des Îles-de-la-Madeleine, Richard Leblanc. Ce conseiller municipal dont la « vraie job » est d’être fonctionnaire chez Emploi Québec a accepté d’occuper les fonctions de maire après que Jonathan Lapierre eut décidé de tenter de se faire élire comme député de la CAQ dans la campagne actuelle.

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Richard Leblanc, maire suppléant des Îles-de-la-Madeleine

En fait, M. Leblanc est « suppléant de l’intérim » puisque c’est un autre collègue qui avait été désigné, mais ce dernier est actuellement à l’étranger (il doit rentrer aux Îles cette fin de semaine). « J’ai dit oui sans savoir que j’allais vivre Fiona », dit-il avant d’éclater de rire.

Ce n’est pas long toutefois avant que le fonctionnaire de carrière reprenne son sérieux. « Nos équipes sont prêtes, assure-t-il. Dès que le plan d’urgence est déployé, les pompiers et les travaux publics vont travailler 24 h sur 24. »

Souvenirs de Dorian

« Personne ne dormira beaucoup cette nuit », lâche le maire Leblanc, qui garde un très mauvais souvenir de la tempête post-tropicale Dorian. Cette tempête avait fait d’énormes ravages sur l’archipel du golfe Saint-Laurent il y a trois ans. « Les travaux publics avaient mis quatre à cinq semaines à tout réparer », se souvient-il. Des rafales allant de 70 à 120 km/h avaient alors été enregistrées. Des vagues de 12,8 m avaient été relevées par une bouée de Pêches et Océans Canada au large des Îles. Quelque 5000 abonnés d’Hydro-Québec avaient été privés d’électricité à un moment ou à un autre. Au total, des précipitations de 43 mm de pluie avaient été enregistrées. La route 199 avait été inondée et jonchée de roches, de sable et de nombreux débris sur plusieurs kilomètres partout sur l’archipel.

Il n’est pas le seul à craindre de rejouer dans le même film-catastrophe. Depuis quelques jours, les Madelinots ont pris d’assaut les épiceries pour faire des réserves d’eau et de nourriture.

« C’est comme la veille de Noël ; tout le monde fait des provisions », lance le gérant du IGA COOP de Havre-aux-Maisons, Pascal Thorne. Comme plusieurs autres commerçants, il a pris la décision de fermer samedi. « À Dorian, des fils électriques étaient tombés sur les routes, se souvient-il. On ne veut pas que personne ne prenne des risques », ajoute-t-il.

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Jean-Claude Gaudreau faisait des provisions au IGA Coop de Havre-aux-Maisons, avant le passage de la tempête Fiona

Le gérant est d’un calme olympien, comme beaucoup de Madelinots croisés à quelques heures de l’arrivée de Fiona. « Ce n’est pas notre première tempête », répondent-ils lorsqu’on leur demande comment ils anticipent les prochains jours.

« Ici, l’hiver, quatre jours avec des rafales de vent à 100 km/h, ce n’est pas inhabituel », raconte le maire par intérim, qui insiste à son tour pour dire que les Madelinots ont l’habitude des intempéries.

Dans le panier de nombreux clients croisés à l’épicerie, des caisses de bière de la microbrasserie locale – la bien nommée À l’abri de la tempête – côtoyaient les bouteilles d’eau et les boîtes de conserve.

Samedi, aux Îles, c’est d’ailleurs l’ouverture de la chasse aux canards. Certains n’ont pas envie de laisser Fiona gâcher l’évènement. « S’il ne fait pas trop mauvais, je ne vais pas rater cela », nous confie M. Thorne, le gérant d’épicerie.

Avec La Presse Canadienne