Le ministère des Transports du Québec (MTQ) a payé 1 million de dollars pour déplacer une route à la demande d’une société minière, qui devait initialement payer tout le projet. Mine Matagami, une filiale de Glencore, admet qu’elle aurait dû déplacer la route même sans l’intervention de Québec. Et contrairement à ce que prétend le MTQ, son financement n’a pas permis de prolonger la durée de vie de la mine, aujourd’hui fermée.

« Il n’y a rien dans la situation présentée qui justifie que l’État s’agenouille devant les demandes de l’industrie », s’exclame Rodrigue Turgeon, porte-parole de MiningWatch Canada et de la Coalition Québec meilleure mine, face aux révélations de La Presse.

Glencore, entreprise derrière la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda et l’usine CEZinc à Salaberry-de-Valleyfield, est active dans plus de 35 pays et génère des dizaines de milliards de dollars de revenus annuellement.

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Le paiement de 1 million de dollars allait à l’encontre des orientations du Ministère et risquait de « créer un précédent », d’après des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Le chemin de l’Aéroport à Matagami, dans le Nord-du-Québec, longe le parc à résidus de la mine de Glencore. En janvier 2013, la multinationale entreprend des démarches auprès du MTQ pour déplacer un tronçon de la route afin d’agrandir et de restaurer le site.

Glencore devait initialement assumer tous les coûts de déplacement de la route, mais en janvier 2015, elle « a demandé une contribution du MTQ », peut-on lire dans une note ministérielle. À cette occasion, « il fut réitéré à la compagnie qu’elle devait assumer la totalité des coûts ».

Les orientations ministérielles prévoient effectivement que le Ministère « ne contribue généralement pas financièrement […] à des travaux qui ont pour but de combler des besoins d’un partenaire », indique une analyse de l’entente.

En février 2016, la multinationale revient à la charge en disant que « les coûts estimés pour le projet […] [sont] trop élevés ». Certaines branches du MTQ, comme le Bureau de la coordination du Nord-du-Québec (BCNQ), sont favorables à l’attribution d’une aide financière.

« La prise en charge du projet de Glencore créera une iniquité susceptible de générer d’autres demandes », prévient cependant la Direction générale de l’Abitibi-Témiscamingue (DAT). « Par souci d’équité envers les autres projets routiers avec des minières », dont Canadian Malartic et Québec Lithium, « la DAT recommande que le [MTQ] ne participe pas financièrement à ce projet ».

En dépit de cette recommandation, « l’approbation du cabinet ministériel d’aller de l’avant avec le projet, incluant une contribution » du MTQ est délivrée en mars 2017, apprend-on d’une autre note ministérielle. Après des retards, le projet « devrait être terminé d’ici la fin de l’année » 2022, selon Glencore.

Tous les montants ont été caviardés dans les documents obtenus auprès du Ministère. Dans sa liste des investissements prévus dans le Nord-du-Québec 2018-2020, le MTQ indique que le déplacement de la route devait coûter entre 5 et 10 millions de dollars. Ce projet « permettra d’effectuer des travaux d’augmentation de la capacité du parc à résidus miniers, rendant ainsi possibles des projets d’expansion », assure un communiqué vantant ces investissements qui a depuis été retiré du site du gouvernement.

Consultez la liste d’investissements prévus dans le Nord-du-Québec du MTQ

La « majorité des travaux » payée par Glencore

En réponse aux questions de La Presse, la porte-parole du MTQ Émilie Lord précise que « Glencore a assumé les coûts pour une majorité des travaux et [que] le MTQ a procédé au paiement des factures, à concurrence de 1 million de dollars ». Le porte-parole de Glencore, Alexis Segal, confirme ce montant et estime que les coûts du projet pour l’entreprise sont de 5,1 à 6 millions de dollars.

La route était « dans un état de dégradation important avec la présence de nombreuses fissures, ce qui aurait nécessité d’éventuels travaux de réfection », fait valoir Mme Lord. Une analyse de l’entente révèle cependant que ces fissures « ne justifient pas à elles seules la priorisation de travaux de réfection de la chaussée ».

Glencore « ne jugeait pas rentable le prolongement des activités de la mine Matagami », si elle devait payer seule la déviation de la route, selon la porte-parole du MTQ. La communauté était alors « à très fort risque de dévitalisation », puisque son économie dépendait fortement de la minière.

Sans l’aide de Québec, il en aurait résulté une perte importante d’occupation du territoire.

Émilie Lord, porte-parole du ministère des Transports du Québec

La dernière mine en exploitation de Mine Matagami, qui inclut en fait une douzaine de mines distinctes, a cessé ses activités en juin dernier. Selon M. Segal, de Glencore, le déplacement de la route n’a pas permis de prolonger la durée de vie du site, ce qui contredit les propos du MTQ. Il confirme en outre que Glencore aurait eu à déplacer la route même si le Ministère n’avait pas financé le projet, conformément à son plan de restauration approuvé en 2014 et révisé en 2020. En vertu de la Loi sur les mines, les minières doivent payer pour restaurer les sites exploités.

Consultez la page de Mine Matagami sur le site de Glencore Consultez le Plan de restauration Mine Matagami de 2014 Consultez le plan révisé en 2020

« On parle de l’une des plus grandes multinationales de la planète, qui a amplement les moyens de payer, et cette forme de clientélisme là de la part du MTQ, c’est très faible », dit M. Turgeon, de MiningWatch Canada.

C’est une approche de soumission et on devrait plutôt imposer à ces sociétés-là de se conformer et de payer.

Rodrigue Turgeon, porte-parole de MiningWatch Canada et de la Coalition Québec meilleure mine

Mme Lord, du MTQ, assure qu’« il n’y a pas eu d’autres occurrences » de projets similaires financés pour des minières depuis, mais qu’une éventuelle autre demande « serait analysée et la conclusion n’est pas nécessairement que le MTQ participerait financièrement ».

Avec William Leclerc

Pour joindre Frédérik-Xavier Duhamel, écrivez-lui par courriel au fduhamel@lapresse.ca