Le bras de fer entre Québec et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, se transporte devant le tribunal. Le procureur général demande à la Cour supérieure d’empêcher la Cour du Québec d’aller de l’avant avec son plan de réduction du nombre de jours au cours desquels les juges siégeront.

Québec juge « déraisonnable » la décision de la juge en chef Lucie Rondeau de faire siéger les juges de la Chambre criminelle et pénale un jour sur deux, plutôt que deux jours sur trois, dès septembre 2022.

La juge en chef avait fait parvenir son intention par une lettre au ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, en décembre 2021. Québec demande à la Cour supérieure une ordonnance de sursis et le maintien du statu quo pour éviter « les effets néfastes de la décision de la juge ».

Le gouvernement du Québec soutient que ce plan pourrait avoir de « graves conséquences » sur les délais des traitements des dossiers criminels et pénaux, peut-on lire dans une requête obtenue par La Presse.

En vertu de l’arrêt Jordan, établi par la Cour suprême du Canada en 2016, un délai maximal de 18 mois peut s’écouler entre le dépôt d’une accusation et le procès en cour provinciale. La décision de la juge Rondeau « ne tient aucunement compte des délais judiciaires », selon le procureur général du Québec.

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Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec

Au cours des dernières années, le gouvernement provincial a injecté d’importantes sommes et adopté différents projets de loi en réponse à l’arrêt Jordan pour « accroître les ressources du système de la justice » et minimiser les délais déraisonnables.

Si la décision de la juge en chef peut aller de l’avant, l’inventaire des causes actives en matière criminelle pourrait augmenter de 70 000 au Québec d’ici le 31 août 2023 par rapport à l’année judiciaire 2020-2021, indique la procédure.

La juge Rondeau estime que sa décision nécessitera l’ajout de 41 juges afin d’assurer des délais raisonnables des traitements des dossiers criminels et pénaux. Il s’agit d’une augmentation de 25 % du nombre de juges dédiés à la Chambre criminelle et pénale, selon la requête.

« Un délai de mise en œuvre déraisonnable »

Malgré l’ajout de juges depuis les dernières années, les délais dans le traitement des dossiers en matière criminelle et pénale ne cessent d’augmenter, indique la demande judiciaire. Des ajouts « sans précédent » de juges n’auraient aucune amélioration sur le système judiciaire si les jours d’audience diminuent, selon le procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette.

Par ailleurs, il s’agit d’un plan qui requiert « un délai de mise en œuvre déraisonnable », indique le gouvernement du Québec, qui invite la juge à revoir sa décision.

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La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau

La lettre de la juge Rondeau ne mentionne d’ailleurs aucune analyse quantitative justifiant sa demande, selon la requête de Québec.

Je n’ai pas de commentaire à faire pour le moment. Nous répondrons devant la Cour, comme il se doit.

Lucie Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec

« Si cette décision est ultimement la source d’arrêt de procédure, les victimes subiront des préjudices des plus graves puisque les crimes commis resteront définitivement impunis », peut-on lire dans la requête.

Québec s’inquiète notamment des conséquences de la demande de la juge Rondeau sur les dossiers de violence sexuelle et de violence conjugale. « Pour que les victimes aient confiance dans le système judiciaire, il faut à tout le moins que les dossiers criminels et pénaux qui les concernent soient traités dans les meilleurs délais possibles. »

La juge en chef et le ministre de la Justice n’en sont pas à leur premier affrontement : Lucie Rondeau et Simon Jolin-Barrette ont croisé le fer plus tôt sur le bilinguisme chez les juges de la Cour du Québec, ainsi que sur la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale.