Septembre 1985. Âgés d’à peine 7 ans, 69 garçons présentant des signes d’agressivité et issus de milieux défavorisés de Montréal suivent une formation pour améliorer leurs compétences sociales et leur maîtrise de soi. Aujourd’hui, 37 ans plus tard, ces hommes sont moins susceptibles de se retrouver en prison, d’être isolés et touchent en moyenne un meilleur salaire que ceux qui étaient dans la même situation qu’eux mais n’ont pas suivi la formation, selon une récente étude.

« On nous parle constamment des problèmes de violence, de délinquance, de tueries. Mais les solutions à ces problèmes commencent par une éducation de haute qualité donnée aux enfants qui sont les plus à risque. Il faut intervenir tôt pour les aider », dit d’emblée Richard Ernest Tremblay, auteur de l’étude de l’Université de Montréal publiée cette semaine dans la revue scientifique American Economic Review.

Au début des années 1980, ce professeur de psychologie de l’Université de Montréal a recruté 53 écoles primaires défavorisées de l’île de Montréal pour participer à son étude. Les enseignants de maternelle ont d’abord fait passer un questionnaire sur le comportement aux élèves de sexe masculin, afin de déterminer lesquels présentaient des signes d’agressivité.

Les garçons à risque ont ensuite été affectés de façon aléatoire soit à un groupe de traitement, dont les membres ont été invités à participer à un programme de formation de deux ans sur les habiletés sociales et la maîtrise de soi, soit à un groupe témoin, dont les membres n’ont pas eu accès à la formation, mais ont tout de même eu accès aux ressources habituelles offertes dans les écoles publiques de Montréal.

Des décennies plus tard, les résultats sont frappants. « Les garçons qui ont reçu le programme d’intervention ont mieux réussi à l’école, ont eu moins de problèmes de criminalité et ont des revenus plus élevés à l’âge adulte », détaille M. Tremblay. Ils consommaient également moins de drogue et d’alcool à l’adolescence et sont plus nombreux à avoir obtenu leur diplôme d’études secondaires.

Formation intensive

Le programme d’intervention a été mis en œuvre sur une période de deux ans, de l’âge de 7 à 9 ans, soit en 2e et 3e années du primaire. Les séances de formation se déroulaient à l’école, une fois par semaine pendant 45 minutes, durant le déjeuner ou après l’école, auprès de groupes de quatre à sept enfants.

Dans chaque groupe, un ou deux enfants étaient les participants à l’intervention, et les autres étaient des garçons identifiés par leurs enseignants comme étant prosociaux. « Ils servaient de modèles pour apprendre à bien se comporter avec les autres », explique M. Tremblay.

Les séances portaient sur des sujets tels que la façon d’inviter un autre enfant à jouer, la façon de demander « pourquoi », la façon de réagir aux taquineries, la façon de réagir en cas de colère et la façon de réagir si les autres enfants refusent de jouer avec eux.

« Il y avait également des visites à domicile régulières pour que les parents apprennent à gérer les comportements de leur enfant. Les psychoéducateurs et les psychologues rencontraient aussi les enseignants », ajoute le chercheur.

Des effets considérables

À la fin de l’adolescence, les élèves ayant suivi la formation avaient eu de meilleures notes, moins de redoublements et moins d’affectations dans des classes d’éducation spécialisée. « On était agréablement surpris de voir que les effets étaient à assez long terme », se réjouit M. Tremblay.

L’impact de la formation s’est poursuivi chez les participants aujourd’hui dans la quarantaine.

Les chercheurs ont constaté des effets positifs importants et significatifs sur le mariage, les contributions à l’assurance-emploi et aux groupes professionnels.

La formation a également augmenté le revenu annuel d’emploi moyen de 5708 $ par an entre 20 et 39 ans, un écart de 20 %.

Selon les chercheurs, ces résultats positifs pourraient être liés notamment aux modèles côtoyés ou aux amitiés nouées pendant la formation qui ont persisté tout au long de leur vie.

Lorsqu’il regarde la société actuelle, M. Tremblay se désole toutefois de voir que les jeunes en difficulté sont souvent pris en charge trop tard et espère que son étude pourra contribuer à changer les choses. « C’est clair qu’on aurait un gain substantiel pour nos collectivités si on mettait plus de ressources à la maternelle et au cours des premières années du primaire », conclut-il.