Le titre ne laisse aucune ambiguïté : « Les violences sexuelles et la misogynie sont profondément enracinées dans le hockey masculin »

Dans une lettre ouverte destinée à la ministre fédérale des Sports, Pascale Saint-Onge, un groupe de 28 universitaires de partout au Canada a servi mardi un avertissement troublant : si les scandales qui éclaboussent actuellement Hockey Canada sont « surprenants et choquants » pour le public, les chercheurs ont, « à maintes reprises, documenté ces problèmes ». Voilà « des décennies » qu’ils appellent à l’« action » des décideurs.

Lisez la lettre (en anglais)

Pour étayer leur argumentaire, les signataires de la missive fournissent, littéralement, des dizaines de références d’articles récents qui font la démonstration de problématiques liées à la masculinité toxique au hockey. Les disciplines sont multiples : psychologie, sociologie, pédagogie, kinésiologie, éducation physique, histoire…

« Les leaders et l’industrie du sport ont accepté que la violence sexuelle soit largement répandue », écrivent-ils encore. Ils rappellent que le panel scientifique du Comité international olympique a, trois fois plutôt qu’une depuis 2007, souligné « l’urgence d’agir » contre « le harcèlement sexuel et les abus dans le sport à tous les niveaux ».

Les cas de figure sont nombreux : « Dans les vestiaires, les voyages, dans la voiture de l’entraîneur ou dans les évènements sociaux, surtout si de l’alcool est impliqué. »

« Les incidents au hockey ne sont pas causés par quelques pommes pourries ; ils témoignent de problèmes systémiques et sont symptomatiques d’une culture enracinée dans le hockey et dans d’autres sports canadiens. Ces problèmes causent surtout du tort aux enfants, aux adolescents et aux femmes », insistent les chercheurs.

​Depuis deux décennies, « les recherches ont constamment identifié une culture hautement sexualisée dans le hockey mineur, surtout aux niveaux élites ». Ainsi, « les athlètes ressentent une pression intense de se conformer aux autres et redoutent des conséquences s’ils devaient briser la loi du silence ». « Voilà pourquoi la vidéo d’une femme ayant été agressée sexuellement, en 2003, ne refait surface que maintenant. »

« Ces problèmes ne sont pas rares : ils sont endémiques », conclut-on.

Ras-le-bol

La Presse s’est entretenue avec trois des signataires de cette lettre. Le ras-le-bol de ne pas être écoutées est évident.

Doctorante en psychologie de la santé à l’Université McGill, Shannon Herrick concède que les publications scientifiques ne sont pas toujours les plus accessibles. Le langage employé, parfois aride, ainsi que le manque de publicité sont de réels enjeux. Il n’empêche que si les institutions concernées et les personnes en situation d’autorité, celles qui « ont besoin » de ces résultats de recherche, « ne les cherchent pas ou n’investissent pas un minimum d’efforts, c’est incroyablement frustrant ».

Ça fait très longtemps qu’il y a des études sur la masculinité dans le sport, et même dans le hockey spécifiquement, mais les gens n’y portent pas attention ; ce n’est que lorsque des accidents graves surviennent qu’on s’y intéresse.

Shannon Moore, professeure adjointe à la faculté d’éducation de l’Université du Manitoba

Sa collègue Teresa Fowler, professeure adjointe au département d’éducation physique de l’Université Concordia, à Edmonton, va plus loin : « Les institutions nous excluent, tout simplement. »

En décembre 2019, par exemple, la LNH a dévoilé un plan en quatre points pour contrer les abus après qu’une série d’évènements impliquant des entraîneurs eut été révélée. Enthousiaste, Mme Fowler, qui travaille notamment sur les enjeux relatifs aux tensions et aux violences en milieu scolaire et sportif, a communiqué avec la direction de la ligue, sollicité un entretien et remis un rapport de recherche. « On nous a répondu : merci, mais on va garder ça à l’interne », dit-elle.

Les décideurs du hockey « ne nous écoutent pas ». « Je ne sais pas pourquoi », laisse-t-elle tomber.

Les professeures Moore et Fowler reconnaissent, dans l’espace public en général, une résistance face aux études sur le genre et la masculinité. « Pourquoi étudiez-vous les hommes ? », se font-elles demander.

« Hypermasculinité » au hockey

Une étude à laquelle participe présentement Shannon Moore donne une piste de réponse. Vingt et un athlètes de haut niveau, sous le couvert de l’anonymat, se sont confiés sur l’« hypermasculinité » qui règne dans le monde du hockey.

« Les attentes à leur endroit sont dommageables, affirme la chercheuse. Ils ont tous parlé d’éléments inhérents à la culture du hockey qui leur ont causé du tort physiquement et mentalement. »

En prenant la parole à ce moment précis, la communauté académique formule le souhait que le sport soit à un « tournant », « et non pas qu’on revive tout ça dans 10 ans », note Shannon Herrick.

« Nous voulons faire en sorte que les changements soient réellement analysés et qu’une réflexion profonde ait lieu », ajoute-t-elle. Avec le vœu évident que les universitaires soient mis à contribution.

Elle s’étonne d’ailleurs que le « plan d’action pour mettre fin à la culture du silence et aux comportements toxiques » publié lundi par Hockey Canada ne comporte strictement aucune référence à la littérature scientifique.

Teresa Fowler garde néanmoins « espoir » en l’avenir, surtout lorsqu’elle voit les langues se délier et les dénonciations se multiplier. Son côté « réaliste » lui fait redouter que la « vague » passe. Mais elle voit néanmoins se dessiner un « pivot ».

« Comment oublier l’histoire de cette femme à London, de cette femme à Halifax ? demande-t-elle. On ne peut pas les oublier. La colère ambiante est en train de se canaliser en quelque chose de différent. Comme nation, on ne peut plus fermer les yeux. »