Après s’être fait congédier pour avoir dénoncé les propos racistes de sa patronne et s’être fait dire qu’elle le « prenait trop personnel », Sarah*, une jeune femme de Terrebonne, a gagné sa cause devant le Tribunal des droits de la personne.

« Je suis vraiment très contente, parce que pendant tout le processus, on a fait comme si toute la faute était sur moi. Comme si c’était mon comportement qui avait mené à mon congédiement, alors que c’est moi qui a reçu un tort », confie Sarah au bout du fil.

La jeune femme de 25 ans a demandé l’anonymat par peur de représailles. En 2019, elle s’est fait congédier après avoir osé exprimer son malaise quand un client puis sa directrice ont fait des blagues sur les personnes noires devant elle. Près de trois ans plus tard, elle a eu gain de cause devant le Tribunal des droits de la personne.

Quand mon avocate travaillait sur le sujet, elle a trouvé que c’était très difficile de trouver d’autres articles similaires [à ma situation]. Je suis vraiment contente de savoir que j’ai créé un précédent pour ça.

Sarah

Des blagues qui n’avaient rien de drôle

Cet après-midi-là, dans la boutique Entrepôt de la lunette où travaillait alors Sarah, un client a commencé à faire des blagues d’un goût douteux, notamment sur les femmes blondes ou les personnes en surpoids. Quand Sarah – seule employée noire du magasin – est arrivée près de lui, il a fait une blague sur les personnes noires.

« J’étais tellement étonnée, se rappelle-t-elle. Il y avait plusieurs personnes autour de moi, donc j’ai décidé de jouer l’innocente. Je pensais qu’il allait s’arrêter, mais non, il a recommencé. » Sarah a décidé de ne rien dire, pour ne pas créer de scène sur son lieu de travail.

Mais le soir même, lors d’un souper d’équipe, sa directrice a raconté à nouveau la même blague raciste. « Je lui ai dit que le client avait beaucoup de chance [que je me sois tue], décrit Sarah. Et là, malgré tout, ma gérante a continué sur la même blague, comme si c’était drôle. Et non seulement ça, mais d’autres blagues se sont ajoutées… »

Une réaction « trop personnelle »

La directrice a demandé à rencontrer Sarah lors de son quart de travail suivant. « Elle m’a dit que je l’avais pris trop personnel, que je ne devais pas le prendre comme ça », dénonce la jeune femme. Le soir même, elle a écrit un message sur sa page Facebook privée, « sans mentionner l’évènement en question et sans identifier son employeur », précise le jugement du Tribunal.

Le lendemain, elle a été congédiée.

« Ma patronne m’a dit que maintenant, elle, comme employeur, allait être réticente à engager d’autres personnes noires à l’avenir. Elle m’a donné ma lettre de [congédiement], et c’est tout », témoigne Sarah.

Congédiement discriminatoire

« Il y a eu une banalisation [de la discrimination], une exacerbation, et ça a abouti à un congédiement de l’employée », dénonce en entrevue Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), qui a représenté Sarah. « Il en va de la responsabilité de l’employeur de s’assurer que le milieu de travail est exempt de toute discrimination, dont celle-là, à caractère raciste. »

Sarah a décidé de porter plainte à la CDPDJ, qui a émis des recommandations à l’endroit de l’entreprise. Celles-ci étant restées sans suite, la cause a été portée devant le Tribunal des droits de la personne.

Dans son jugement, le Tribunal estime que la victime a témoigné de façon « sobre, digne et crédible du sentiment d’injustice d’avoir été congédiée pour avoir manifesté un désaccord ainsi que des émotions et des craintes qu’elle vit toujours ».

Le Tribunal a conclu qu’il s’agissait d’un congédiement discriminatoire fondé sur la couleur et la race. Il a précisé qu’un « employeur ne peut exiger d’une employée blessée par un comportement raciste au travail ou à l’occasion du travail, qu’elle agisse comme si elle n’en souffrait pas ».

L’employeur a été condamné à verser des dommages de 10 000 $ à l’employée.

Trois ans plus tard, Sarah vit encore les contrecoups de l’évènement. Pour s’assurer de ne plus être exposée à ce type de discrimination, elle a choisi un milieu de travail avec d’autres personnes issues de la diversité, et en télétravail. « Il n’y a pas de façon pour moi de cacher que je suis Noire », résume-t-elle.

* Prénom fictif

En savoir plus
  • 138
    Nombre de dossiers d’enquête ouverts pour le motif de « race » ou couleur (avril 2021 à mars 2022)
    34
    Nombre de dossiers d’enquête ouverts pour discrimination sur les lieux de travail (avril 2021 à mars 2022)
    source : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse