La vie des familles agricoles est souvent étroitement liée à celle de leur entreprise. Une situation pas toujours évidente, en particulier pour les femmes.

Si la majorité des familles agricoles demeurent près de leur ferme, et se disent satisfaites de la conciliation entre les activités de leur entreprise et leur vie familiale, la fatigue ainsi que le stress des tâches domestiques et familiales pèsent davantage sur les épaules des agricultrices que sur celles de leurs homologues masculins. C’est ce que montre un sondage réalisé pour le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) auprès de plus de 900 familles dont les deux parents coexploitent une entreprise agricole.

Et le partage peut devenir encore plus compliqué en cas de séparation.

PHOTO FOURNIE PAR NATHALIE ROY

Nathalie Roy, propriétaire d’une pouponnière de porcs à Sainte-Brigitte-des-Saults, dans le Centre-du-Québec, et présidente de l’organisme Au cœur des familles agricoles, qui emploie 13 travailleurs de rang

Lorsque Nathalie Roy s’est séparée de son conjoint producteur laitier, elle n’avait qu’une envie : tourner la page, donc vendre la ferme porcine qu’elle avait ouverte à ses côtés. Malheureusement, ce n’était pas possible, car la transaction lui aurait laissé une lourde somme d’impôt à payer.

« Il me fallait accepter que pour des raisons fiscales, je ne pouvais pas abandonner l’agriculture », résume-t-elle.

Elle a consulté une travailleuse de rang de l’organisme Au cœur des familles agricoles (ACFA).

« Il fallait que j’accepte que ma situation ne pouvait pas changer, c’est là qu’on m’a amenée. C’est ça, une relation d’aide : tout doit partir de toi. »

Elle a appris à réparer ses équipements, a intégré une associée, puis a commencé à transférer l’entreprise à l’un de ses fils.

Des situations désastreuses

Après de nombreuses années au conseil d’administration de l’ACFA, Mme Roy est devenue présidente de l’organisme il y a deux ans. Même si 60 % de la clientèle est masculine, son expérience lui attire de nombreux témoignages de femmes, certaines dans des situations qu’elle qualifie de « désastres ».

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le travail invisible et non rémunéré demeure une réalité pour bon nombre d’agricultrices.

Souvent, les maisons, et parfois le véhicule de la famille, appartiennent à la ferme. L’actif appartient à des entreprises, donc quand vient le temps de séparer un patrimoine familial, il n’y a rien dedans. Et souvent, ce sont des couples pas mariés, la femme n’a rien.

Nathalie Roy, présidente de l’organisme Au cœur des familles agricoles

Cependant, Mme Roy reçoit aussi des appels d’agricultrices qui se retrouvent seules à la tête de leur entreprise.

« Maintenant, les femmes qui embarquent dans les fermes veulent des actions. Et si elles n’en ont pas, elles sont au moins salariées, ce que les femmes à l’époque n’étaient pas. »

Adhésions en hausse chez Agricultrices du Québec

Cette participation à l’entreprise familiale a sans doute contribué à l’augmentation du nombre d’exploitantes agricoles au dernier recensement de Statistique Canada, une première en 20 ans.

Agricultrices du Québec, une fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA), a d’ailleurs vu ses adhésions augmenter de 13 % l’an dernier.

Les trois quarts de ses quelque 620 membres sont propriétaires ou copropriétaires d’une entreprise agricole. Le travail invisible et non rémunéré demeure toutefois un des enjeux prioritaires, alors que près d’une membre sur dix est une collaboratrice sans salaire.

Agricultrices du Québec offre aussi un programme de soutien à l’entrepreneuriat, Dimension E, donnant droit à quatre heures de consultation gratuites auprès de divers spécialistes. Et « 15 % des demandes pour un notaire sont des femmes qui se séparent », indique l’agente de communication, Sandrine Demers.

La conciliation travail-famille et l’accès aux garderies figurent aussi en tête des priorités de la fédération. Chose certaine, l’intérêt des femmes pour l’agriculture ne semble pas faiblir.

« On le voit avec Dimension E, de plus en plus de femmes nous appellent pour lancer une entreprise, avoir leur propre projet », note Mme Demers.

En chiffres

3/4

Près des trois quarts des familles agricoles vivent sur les lieux de leur entreprise. La majorité des autres habitent à moins de 10 km.

98 %

Dans presque toutes les familles, les enfants fréquentent les lieux de l’entreprise.

1/4

Plus d’un agriculteur sur quatre s’inquiète pour la santé et la sécurité de ses enfants sur les lieux de l’entreprise. Et cette inquiétude est deux fois plus répandue (près d’un agriculteur sur deux) lorsque les enfants ont 6 ans ou moins.

2/3

Près des deux tiers des agriculteurs se disent satisfaits de la conciliation entre les activités de leur entreprise et leur vie familiale. Les femmes sont toutefois plus nombreuses que les hommes à rogner sur le temps qu’elles s’accordent à elles-mêmes ou qu’elles consacrent à leur couple, ainsi qu’à reporter des tâches domestiques.

2/3

Les deux tiers des agricultrices ont ressenti un sentiment d’épuisement au cours de la dernière année. À peine plus de la moitié des agriculteurs (55 %) ont vécu la même situation.

1/4

Une agricultrice sur quatre dit se sentir fatiguée et manquer de concentration, contre moins d’un agriculteur sur cinq (18 %).

7/10

Dans plus de 70 % des cas, c’est la femme qui s’occupe des tâches domestiques (comme la planification de l’épicerie) et familiales (inscription des enfants au service de garde, à l’école ou aux loisirs, prise de rendez-vous et accompagnement). D’autres tâches, comme l’entretien de la maison et du véhicule, l’accompagnement des enfants à leurs activités et la gestion des dépenses, sont plus souvent partagées.

1/2

Plus d’une agricultrice sur deux ressent du stress au sujet des activités du ménage, contre seulement un agriculteur sur trois.

Source : ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), Portrait de la conciliation travail-famille dans le milieu agricole 2021. Rapport basé sur un sondage réalisé à l’automne 2020 auprès de plus de 900 familles dont les deux parents coexploitaient une entreprise agricole et avaient au moins un enfant âgé de 18 ans ou moins.

Lisez la première partie de notre dossier sur les agricultrices