Ils font l’actualité. Ce sont des acteurs de changement dans leur domaine. Mais on les connaît peu ou pas. La Presse vous en présente tout l’été.

Impossible de rater la caricature affichée sur le mur de l’entrée.

Nous ne sommes pas dans un cabinet d’avocats conventionnel. Ici, on lutte contre les abus de pouvoir. En particulier, ceux commis par la police et par l’Église.

Même la décoration le souligne à grands traits.

Le dessin dénonce un double discours de l’Église catholique sur les agressions commises par des prêtres.

Au premier plan, un cardinal se désole publiquement du sort des enfants agressés, parlant d’un « voile de tristesse qui enveloppe toute l’Église ».

Derrière lui, un avocat invoque au même moment la protection du « voile corporatif » pour éviter d’indemniser ces mêmes victimes.

Vêtu de son éternel complet bon marché, MAlain Arsenault nous accueille chaleureusement dans les bureaux lumineux et climatisés qu’il partage avec ses deux jeunes associés dans une tour située au-dessus de la station de métro Sherbrooke.

Tout un contraste pour l’avocat en droit civil de 69 ans qui a longtemps travaillé en solitaire dans un « coqueron » – le terme est de lui – de la rue Ontario.

Il a consacré sa vie à dénoncer le racisme systémique, la brutalité policière, ainsi qu’à poursuivre au civil des agresseurs sexuels au nom de victimes sans le sou.

Tout nu dans la rue

Durant ses 30 premières années de pratique, il a souvent eu du mal à boucler ses fins de mois. « J’étais tout nu dans la rue », dit-il avec le franc-parler qu’on lui connaît.

Aujourd’hui, ses idéaux n’ont pas changé. Ses moyens, oui. Son cabinet est désormais celui qui mène le plus d’actions collectives contre des congrégations religieuses au Québec.

En 2011, MArsenault est parvenu à une première entente de 18 millions de dollars avec la Congrégation des frères de Sainte-Croix : un dédommagement financier pour quelque 200 anciens élèves agressés sexuellement par des membres de leur congrégation à Montréal entre les années 1950 et 1990, notamment au Collège Notre-Dame.

Depuis, les actions collectives se multiplient. Son cabinet est impliqué dans 18 des 24 recours intentés contre des diocèses ou des communautés religieuses qui ont cours en ce moment au Québec. « Montréal, Québec, Longueuil, Trois-Rivières, Amos, Saint-Hyacinthe », énumère-t-il en montrant du doigt une immense étagère où trônent des piles de documents classés par diocèse visé.

L’avocat a d’ailleurs participé à une conférence de presse aux côtés de son confrère Marc Bellemare et des victimes plus tôt cette semaine durant laquelle ils ont sommé le pape de reconnaître au moment de sa visite prévue à Québec à la fin du mois les sévices commis par son Église.

« Diriez-vous que vous êtes l’avocat qui fait trembler l’Église ? », lui demande-t-on.

Cet enfant de la Révolution tranquille – très tôt indigné par la discrimination vécue par les « Canadiens français » – éclate d’un rire franc. « J’ai été servant de messe. Ils [les religieux] doivent le regretter », lâche-t-il avec l’humour baveux qu’on lui connaît.

« Ou du moins, l’avocat qui la fait payer ? », ajoute-t-on.

« Trembler, je ne sais pas. Payer, oui. Payer ça, c’est clair, net et précis », répond-il en reprenant son sérieux.

Au total, les actions collectives regroupent plus de 1500 victimes. Autant de vies brisées qui ont défilé dans son bureau ces dernières années.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Aux yeux d’Alain Arsenault, il est important d’exposer les failles du système.

« Les gens me demandent souvent : “Est-ce que je vais guérir ?” Moi, je leur réponds toujours : “Je ne sais pas, je ne suis pas psychologue, mais votre situation va s’améliorer.” Ça, c’est clair pour moi, dit-il. Mais guérir, il y en a peut-être un seul sur 1500 dont je peux dire : “Lui, il est guéri.” Et encore là, j’ai des doutes. »

Le cri de Louise

L’avocat se souviendra toujours du cri de son amie innue – Louise.

Ce cri, elle l’a poussé durant son témoignage dans le cadre d’une audience privée à Uashat Mak Mani-utenam où les victimes des pères oblats étaient invitées à s’exprimer.

« Je vais l’entendre sur mon lit de mort », dit-il. L’Innue cherchait ses mots. Elle n’en trouvait aucun. C’est un cri viscéral qui est sorti de sa bouche. Alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, elle a été agressée à répétition, durant des années, par un père oblat.

MArsenault connaissait Louise depuis plus de 20 ans. Elle ne lui avait jamais parlé des agressions.

À la fin des années 1970, jeune étudiant en droit à l’UQAM, il se met à militer au sein de la Ligue des droits et libertés. Même s’il n’est pas encore avocat, la Ligue l’envoie alors sur la Côte-Nord avec l’anthropologue Rémi Savard.

Leur mission : enquêter sur la mort de deux jeunes pêcheurs innus sur la rivière Moisie ; et plus précisément sur le rôle possible de gardes-pêche blancs dans ces noyades.

C’est là qu’il rencontre Louise, dans la vingtaine tout comme lui. Elle est la « représentante » des familles des disparus. Il se souvient d’avoir pensé : elle ferait une bonne avocate. Elle est brillante. Elle a de « la drive ». Mais la jeune femme n’ira pas à l’université.

Des décennies plus tard, Me Arsenault comprend : un homme d’Église – véritable prédateur sexuel – l’a broyée. Aujourd’hui disparue, « elle avait des problèmes probablement reliés à ce qu’elle a subi », laisse-t-il tomber, ému.

L’avocat a beaucoup d’admiration pour la résilience des Premières Nations et des Inuits : « On ne peut pas imaginer à travers quoi ils sont passés individuellement et collectivement. »

L’autre Louise

Une seconde cliente l’a marqué pour la vie. Une autre Louise. Dans ce cas-ci, ce n’est pas son vrai prénom. C’est le chroniqueur Pierre Foglia qui le lui a attribué dans une série d’articles publiés dans les années 1980.

C’est l’histoire d’une mère faussement accusée par son ex-conjoint d’agression sexuelle sur leur fille de 4 ans.

Un autre cas de vie détruite, cette fois-ci par tout un système (police, DPJ, tribunal de la jeunesse), illustre l’avocat.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le petit côté « emmerdeur » du système d’Alain Arsenault ne l’a pas quitté depuis l’université.

« C’est épouvantable qu’on puisse mettre en branle le tribunal de la jeunesse, la Cour supérieure, chambre de la famille, une cour criminelle pour un évènement inexistant. Carrément inexistant », souligne-t-il.

Le système a cru le père. Pas la mère. L’enquête policière a été menée avec une vision en tunnel. Louise a fini par prouver son innocence, mais elle a vécu l’enfer.

Quand cette femme a cogné à la porte du bureau de MArsenault, à la recherche de réparation, l’avocat a accepté sans hésitation de prendre sa cause.

« On a poursuivi tout le monde sauf le juge au tribunal de la jeunesse », souligne-t-il, même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Les avocats des autorités mises en cause – provenant de grands cabinets – ont fait durer les procédures très longtemps dans l’espoir qu’elle et son avocat abandonnent.

MArsenault – durant tout ce temps – ne touchait pas un sou. « En général, mes clients n’ont pas d’argent alors j’ai longtemps été payé au pourcentage », décrit-il. Autrement dit, en cas de défaite, il « mangeait ses bas ».

Aujourd’hui, il ne « mange plus ses bas ». Son cabinet a même été critiqué récemment pour avoir réclamé des honoraires « excessifs » dans le règlement intervenu dans l’action collective intentée contre les Clercs de Saint-Viateur (7 millions en frais d’avocats sur l’entente de 28 millions, soit 25 % du gain). Le juge chargé d’examiner l’entente a souligné le « travail remarquable » du cabinet, mais lui a demandé du même coup de revoir ses honoraires à la baisse. MArsenault s’est dit en désaccord avec l’analyse du magistrat (certains cabinets réclament 30 % du gain). Il s’est toutefois engagé à faire une nouvelle proposition moins chère.

Mais revenons à Louise. La mère de famille a remporté sa bataille contre l’État. L’avocat a gardé contact avec elle et sa fille – aujourd’hui adulte. Il a même aidé cette dernière des années plus tard quand elle a été victime de rénoviction. « J’ai fait payer son propriétaire suffisamment pour qu’elle puisse faire une mise de fonds sur un condo », dit-il, sur un ton mi-baveux mi-amusé.

Son côté emmerdeur

À l’époque où il étudiait à l’UQAM, une professeure qui deviendra la première juge noire du Québec, Juanita Westmoreland-Traore, lui avait suggéré de faire un travail sur la Loi de police. Elle avait perçu son côté « emmerdeur » du système – le qualificatif est encore de lui.

La future juge avait vu juste.

L’avocat consacrera une partie de sa pratique à dénoncer les abus policiers. Il mettra en lumière des failles dans des interventions et des enquêtes des forces de l’ordre.

À mes débuts, le monde disait : “C’est impossible, des erreurs judiciaires au Québec. Ici, ça n’existe pas”. Je ne veux pas être méchant, mais juste moi, dans ma pratique, j’ai eu dix dossiers de gens qui ont été en prison pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.

Me Alain Arsenault

Il jouera un rôle clé dans l’enquête publique du coroner sur la mort d’un jeune de 18 ans, Fredy Villanueva – tué par la police –, dans un parc de Montréal-Nord en 2008.

Et plus récemment, avec son associée Virginie Dufresne-Lemire, il négociera une entente à l’amiable avec la Ville de Montréal après que leur client Mamadi Camara, un homme sans histoire, eut été arrêté et accusé à tort d’avoir tiré sur un policier.

À 69 ans, il compte bientôt ralentir. Sa relève est assurée : MDufresne-Lemire carbure elle aussi aux combats contre les iniquités et les failles du système. Il l’a longtemps cherchée, cette relève. Ce n’est pas « confortable » comme pratique, dit-il, entre autres lorsqu’on représente des victimes dans des commissions d’enquête.

« Oui, c’est une job d’avocat, mais c’est aussi une job pour faire réaliser aux gens ce qui se passe, affirme MArsenault. Le système ne fonctionne pas ; pourquoi ne fonctionne-t-il pas ? À cause de qui ? Qu’est-ce qu’on doit changer dans les lois ? »