L’entreprise d’autopartage aurait crypté des données à distance pour déjouer le fisc québécois, révèle une enquête de médias internationaux

Révélations-chocs à propos d’Uber, dimanche : une vaste enquête journalistique menée par plusieurs grands médias – dont Radio-Canada – expose les pratiques brutales et illégales de l’entreprise quand elle tentait de s’implanter à l’échelle mondiale et jusque sous nos yeux, au Québec.

« Ça ramène des questions que tout le monde, je crois, s’est posées au moment de l’arrivée d’Uber sur le marché », estime Frédéric Prégent, PDG de Taxelco, qui regroupe six groupes de taxis québécois, dont Taxi Diamond et Téo Taxi. « Comment Uber a-t-il réussi à entrer dans un marché très fermé et réglementé, et avec quand même beaucoup de liberté ? »

Le quotidien britannique The Guardian a obtenu et partagé avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) – dont fait partie Radio-Canada – quelque 124 000 documents, datés de 2013 à 2017. Ces « Uber Files » comprennent des courriels et messages des dirigeants d’Uber à l’époque, ainsi que des présentations, notes et factures.

Dimanche, Radio-Canada, comme de nombreux autres médias à l’échelle internationale, a publié son premier reportage mettant en lumière des tactiques d’Uber lorsque l’entreprise tentait, souvent de façon agressive, voire illégale, de faire sa place sur le marché mondial.

« Nous n’avons pas justifié et ne cherchons pas d’excuses pour des comportements qui ne sont pas conformes à nos valeurs actuelles en tant qu’entreprise », a indiqué Jill Hazelbaker, vice-présidente chargée des affaires publiques d’Uber, dans un communiqué en ligne dimanche.

Un logiciel « coupe-circuit »

En 2015, des agents de Revenu Québec enquêtaient sur l’entreprise Uber depuis plusieurs semaines, rapporte Radio-Canada. Revenu Québec avait l’hypothèse qu’Uber ne percevait pas la TVQ et que ses chauffeurs étaient encouragés à faire de même.

Lors de la perquisition à deux adresses de l’entreprise, en mai de la même année, les ordinateurs portables, téléphones intelligents et tablettes de l’entreprise ont redémarré en même temps, d’un coup. Une tactique appelée « coupe-circuit » utilisée par Uber à travers le monde pour se protéger d’enquêtes gouvernementales ou autres.

L’émission Enquête de Radio-Canada a consulté un rapport déposé à la cour concernant cette perquisition. Après la panne, les enquêteurs de Revenu Québec ont immédiatement éteint, puis saisi 14 ordinateurs et 74 téléphones de l’entreprise.

Le directeur général d’Uber à l’époque a admis qu’il avait contacté les ingénieurs d’Uber, à son siège social de San Francisco. Ceux-ci avaient crypté les données à distance. Une pratique fréquente, révèlent les Uber Files.

L’outil informatique « coupe-circuit » et un logiciel de cryptage ont été utilisés dans des pays comme la France, les Pays-Bas, la Hongrie, la Roumanie et l’Inde. Chaque fois, c’était lorsque des autorités gouvernementales faisaient des perquisitions, afin de nuire aux enquêtes, sans laisser penser que les employés sur place étaient en cause.

Des amis haut placés ?

Les Uber Files montrent aussi la force du lobbying d’Uber pour se faire une place malgré les oppositions législatives, gouvernementales et des entreprises de taxi locales.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation de chauffeurs de taxi contre Uber à Montréal en avril 2016

À Montréal, l’ancien maire Denis Coderre s’est opposé à l’implantation d’UberX dès son lancement en 2014, rappelle Radio-Canada.

« C’était parfaitement anticipé et connu, a alors envoyé dans un courriel interne le responsable des politiques d’Uber au Canada. Nous travaillons avec la province et la Ville de Québec comme voie officieuse pour contourner Montréal. »

Pour Frédéric Prégent, de Taxelco, une telle affirmation soulève des interrogations. « Si on parle juste du marché du taxi au Québec, qui était l’un des marchés les plus réglementés au Canada, et si on compare Uber avec le projet Téo Taxi, ils n’ont pas eu les mêmes ouvertures, à l’époque », note-t-il.

Ce qui ne veut pas dire qu’il y ait eu des malversations de la part de nos gouvernements, précise M. Prégent. « Mais quand on voit qu’il y en a eu partout ailleurs, on peut se demander : en quoi nos marchés sont-ils différents de ceux de l’Europe ? »

De Macron au reste du monde

Surprise : le président français, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie et de l’Industrie, s’est positionné en allié d’Uber dans une France à l’époque réfractaire à l’implantation de l’entreprise.

PHOTO JOHANNA GERON, ARCHIVES REUTERS

Emmanuel Macron

Les principaux dirigeants d’Uber ont eu une rencontre confidentielle avec Emmanuel Macron le même jour, en 2014, qu’une loi devant restreindre ses activités entrait en vigueur.

Ils sont ressortis de cette rencontre enchantés, selon les Uber Files. « Les fichiers des Uber Files brossent un portrait de Macron agissant non pas uniquement en simple allié, mais pratiquement comme un lobbyiste du géant américain », précise Radio-Canada.

Uber a aussi offert des actions à de jeunes entreprises et à des personnalités politiques en Russie et en Allemagne et a payé des chercheurs « des centaines de milliers de dollars pour produire des études sur les mérites de son modèle économique », d’après The Guardian.

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 2010
    Année où le premier véhicule Uber entre en activité
    Source : The Guardian
  • San Francisco
    Lieu de fondation de l’entreprise Uber, alors appelée UberCab
    Source : The Guardian