(Rouyn-Noranda) « Au Québec, c’est trois nanogrammes, alors pourquoi en Abitibi-Témiscamingue, à Rouyn-Noranda, ça ne serait pas trois nanogrammes ? », lance Gabrielle Bruneau du groupe Mères au front à la foule, qui répond par des applaudissements nourris.

La réduction des émissions d’arsenic de la Fonderie Horne était sur toutes les lèvres, mercredi soir, dans la petite salle de spectacle Le QG, au centre-ville de Rouyn-Noranda, où près de 200 personnes s’étaient entassées pour une assemblée citoyenne.

Le matin même, le directeur national de santé publique du Québec, Luc Boileau, n’a pas voulu se prononcer sur une cible de réduction qui serait acceptable, lors de son passage dans la ville, ont déploré le groupe Mères au front, le comité Arrêt des rejets et émissions toxiques (ARET) et la députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue Émilise Lessard-Therrien.

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Le Dr Luc Boileau, directeur national de santé publique du Québec

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, vise une cible de 30 nanogrammes d’arsenic par mètre cube d’air (ng/m⁠3), confie cette dernière à ses électeurs.

« Est-ce que c’est acceptable, 10 fois la norme québécoise ? », demande la députée, suscitant la réprobation générale.

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Émilise Lessard-Therrien, députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, lors de l’assemblée citoyenne

« C’est trois nanos, nono ! », s’exclame une femme dans la foule.

Plusieurs prennent le micro pour raconter leur découragement, leur inquiétude, leurs problèmes de santé ou leur indignation face à la volonté affichée du gouvernement Legault de verser des fonds publics à « une multinationale anglo-suisse » pour qu’elle pollue moins.

Plus de cancers même en respectant la norme

Les fortes concentrations d’arsenic et de cadmium dans l’air de Rouyn-Noranda entraînent bel et bien un surplus de cas de cancers du poumon, mais le mystère plane toujours quant à l’impact de cette contamination sur d’autres problèmes de santé et sur les conséquences de tous les métaux lourds présents dans l’air de la ville.

C’est ce qui ressort de l’« évaluation du risque cancérigène attribuable aux concentrations d’arsenic et de cadmium dans l’air de la ville de Rouyn-Noranda », rendue publique mercredi par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Le document conclut qu’il y aurait un taux plus élevé de cas de cancers du poumon à Rouyn-Noranda même si la Fonderie Horne était soumise à la norme québécoise sur les concentrations d’arsenic de 3 nanogrammes par mètre cube d’air (ng/m⁠3), en raison de l’exposition passée.

En vertu de ce scénario, il y aurait de 6,7 à 288 cas de cancers du poumon supplémentaires par million d’habitants, ce qui est supérieur « à la valeur de risque considérée comme négligeable » au Québec, qui est de 1 cas sur 1 million d’habitants.

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Place Edmund-Horne, à Rouyn-Noranda

Ramené à l’échelle de la population du centre de Rouyn-Noranda, qui est de 23 000 personnes, cela représente de 1 à 7 cas de plus que dans une population non exposée à ces contaminants.

« Ce sont des chiffres qui peuvent paraître petits, mais on dépasse largement les risques acceptables », a déclaré le directeur national de santé publique du Québec, Luc Boileau, présent lors du dévoilement de l’étude.

Le maintien des émissions d’arsenic au niveau actuel, ce n’est pas tolérable considérant les impacts sur la santé.

Le DLuc Boileau, directeur national de santé publique du Québec

Une telle diminution des émissions réduirait néanmoins le risque cancérigène de 48 % par rapport au maintien des émissions de la fonderie à leur niveau de 2018, soit 165 ng/m⁠3 et serait bénéfique pour les nouvelles générations.

L’INSPQ a aussi étudié d’autres scénarios, comme le maintien des émissions de la fonderie à leur niveau de 2018, ce qui provoquerait de 13 à 554 cas supplémentaires par million d’habitants, donc de 1 à 14 cas dans le centre de Rouyn-Noranda.

Ces calculs, effectués à partir de plus de 10 000 mesures des taux d’arsenic et de cadmium dans l’air de Rouyn-Noranda entre 1991 et 2018, évaluent le risque sur une période de 70 ans, en tenant compte d’une exposition aux contaminants 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Zones d’ombre

L’évaluation de l’INSPQ ne se penche toutefois que sur l’effet combiné de l’arsenic et du cadmium, ce qui laisse de grandes zones d’ombre sur l’impact d’autres métaux lourds que le cadmium dont la présence dans l’air de Rouyn-Noranda a été documentée.

C’est le cas notamment du nickel, « qui est également un cancérigène des voies pulmonaires chez l’humain », indique le rapport de l’INSPQ, qui précise que « les risques estimés ici pourraient théoriquement être sous-estimés si des interactions entre les substances devaient avoir lieu ».

Ces différentes substances peuvent avoir un effet combiné « multiplicatif » plutôt qu’« additif », a expliqué une experte de l’INSPQ lors d’une présentation technique de l’étude à l’intention des médias.

Or, il n’existe pas de données suffisantes sur les concentrations des autres métaux lourds que le cadmium pour faire des calculs « solides scientifiquement », a-t-elle expliqué.

L’évaluation de l’INSPQ peut donc « laisser croire que les causes [des cas de cancers du poumon] sont ailleurs que dans les rejets de la Fonderie », a déploré le comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET), ajoutant que les données utilisées « sont incomplètes, car elles ne comprennent pas les particules fines qui n’ont jamais été mesurées ».

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Nicole Desgagnés, du comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda

L’avis de l’INSPQ est intéressant, mais il ne doit pas être utilisé pour faire accepter l’inacceptable à la population.

Nicole Desgagnés, du comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda

Autres problèmes de santé

Les cancers du poumon sont loin d’être le seul problème de santé lié aux concentrations de métaux lourds et d’arsenic dans l’air de Rouyn-Noranda, où l’on répertorie également dans une proportion supérieure à la normale des bébés de petit poids, des retards de croissance intra-utérine et des maladies pulmonaires obstructives chroniques (MPOC), montraient des données publiées en mai par la Santé publique.

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« Aujourd’hui, nous rendons compte de l’impact du cancer du poumon de deux contaminants, mais on veut le faire sur les autres aspects [de santé] », a déclaré le DBoileau.

Il ne s’agira pas d’évaluation comme celle de l’INSPQ, qui exigerait plusieurs mois de travail, a-t-il précisé, mais plutôt de recueillir l’avis « des meilleurs experts à partir des données actuelles pour caractériser le risque ».

« Plusieurs actions s’imposent, elles seront présentées concrètement dans les prochaines semaines », a déclaré à son côté la présidente-directrice générale du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Abitibi-Témiscamingue, Caroline Roy.

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Le Dr Stéphane Trépanier, directeur par intérim de la Direction régionale de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue

Il faudra notamment déterminer quel est le « consensus sur les seuils » de contamination acceptables pour la communauté, a précisé le directeur par intérim de la Direction régionale de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue, le Dr Stéphane Trépanier, indiquant s’attendre à ce que ce soit fait au plus tard en septembre.

D’ici là, le DBoileau affirme qu’il n’y a « pas de données qui justifieraient le fait de fermer l’entreprise ».

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    Réduction du risque cancérigène à Rouyn-Noranda avec une diminution immédiate des concentrations d’arsenic à 20 ng/m3
    SOURCE : INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC