La publication de nouvelles données sur les risques de cancer attribuables aux concentrations d’arsenic dans l’air de Rouyn-Noranda ouvre la porte à une action collective de la part de citoyens, mais le succès potentiel d’un tel recours reste incertain.

Car même si une étude de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) rendue publique mercredi conclut qu’il y aurait un taux plus élevé de cas de cancer du poumon à Rouyn-Noranda, démontrer qu’ils sont dus spécifiquement aux émissions de la Fonderie Horne reste très difficile, estiment de nombreux juristes consultés par La Presse.

Qui plus est, sur le plan légal, la fonderie n’a pas commis de faute à proprement parler, puisqu’elle respecte la norme d’émissions imposée par Québec, soit 100 ng/m⁠3, contre 3 ng/m⁠3 pour la norme nationale fixée par le ministère de l’Environnement.

Mais il est possible pour une entreprise agissant en toute légalité d’être reconnue responsable malgré tout dans ce genre de cas, rappelle la professeure à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke Stéphanie Roy.

Cette dernière cite notamment le cas de l’entreprise Ciment du Saint-Laurent inc., trouvée responsable en 2008, par la Cour suprême, du caractère excessif des inconvénients qu’elle faisait subir à des résidants du quartier Beauport, à Québec, au terme d’une action collective entreprise en 1993.

« Ce n’est donc pas impossible de prendre un recours, mais ce qui est plus difficile, c’est lorsqu’il s’agit de dommages physiques », estime Stéphanie Roy, en entrevue.

Qu’est-ce qu’une action collective ?

Il s’agit d’une procédure judiciaire qui permet à une personne d’entreprendre une poursuite au nom de tous ceux qui se trouvent dans une situation semblable à la sienne. « Une seule personne peut ainsi obtenir justice pour des dizaines, des centaines ou même des milliers d’individus en même temps », précise le site internet Éducaloi.

Un lien difficile à établir

En effet, même si l’incidence des cas de cancer du poumon est plus élevée à Rouyn-Noranda que dans le reste du Québec, comme l’a démontré l’étude de l’INSPQ, il reste très difficile de prouver qu’une personne atteinte de cette maladie l’est en raison des émissions d’arsenic de la Fonderie Horne, indique l’avocat et associé au cabinet montréalais Trudel Johnston & Lespérance Philippe H. Trudel.

Ce dernier dresse un parallèle avec les différents recours entrepris contre les compagnies de tabac – le cabinet Trudel Johnston & Lespérance en a mené un avec succès –, où il est beaucoup plus facile d’établir un lien direct entre la maladie et sa source.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe H. Trudel, avocat du cabinet Trudel Johnston & Lespérance

Plus de 80 % des cas de cancer du poumon touchent des fumeurs. Alors là c’est facile d’inférer que c’est ton tabagisme qui a causé ton cancer du poumon, car dans une population de non-fumeurs, il n’y en a pas 50 % qui ont des cancers du poumon.

Philippe H. Trudel, avocat du cabinet Trudel Johnston & Lespérance

Le professeur à la faculté de droit de l’Université Laval et codirecteur du Centre d’études en droit économique Ivan Tchtourian est d’un autre avis.

« Vu les études médicales qui sortent là, et les liens qui commencent à être faits, il y a une chance de succès [d’une action collective] qui n’est pas à négliger. Et je ne vous aurais pas dit ça il y a quelques années », dit-il en entrevue.

« Pas extrêmement concluant »

Les juristes interrogés par La Presse ont également fait mention du cas de la Ville de Shannon où les résidants ont entrepris une action collective après la contamination de leur nappe phréatique par la base militaire voisine de Valcartier.

Les résultats de ce feuilleton judiciaire « n’ont pas été extrêmement concluants même si ça semblait évident que la contamination venait de là », selon l’avocate Anne-Sophie Doré, au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).

La Cour d’appel du Québec a tranché en 2020 que le Canada et l’entreprise General Dynamics Produits de défense et Systèmes tactiques Canada (auparavant Société immobilière Valcartier inc.) étaient responsables de la contamination de puits d’eau potable de cette ville en banlieue de Québec avec du trichloréthylène (TCE), un solvant industriel considéré comme cancérigène.

Les représentants de l’action collective n’ont toutefois pas réussi à démontrer que la présence de TCE aurait causé des cancers, même si une étude présentée lors du procès était venue étayer un lien en ce sens, indique la professeure Stéphanie Roy.

Des indemnisations « ridicules »

Les Rouynorandiens peuvent par ailleurs entreprendre une action pour troubles de voisinage, une option aux chances de succès beaucoup plus élevées, croit l’avocat Philippe H. Trudel.

« Même si la fonderie respecte les normes [d’émissions d’arsenic], avec la poussière, le fait que les gens soient incommodés, qu’ils soient obligés de se déplacer, d’acheter des nouvelles fenêtres, toutes ces mesures pour diminuer les inconvénients, théoriquement il y aurait un recours [possible pour ça] », explique-t-il.

Or, la charge de travail requise en comparaison des indemnités « ridicules » qu’il est possible d’aller chercher grâce à de telles poursuites rend cette option prohibitive, selon lui.

En savoir plus
  • 250 $ à 64 000 $
    Somme des indemnités offertes aux personnes ayant résidé dans certaines zones définies de la municipalité de Shannon où la Cour a tranché que la nappe phréatique avait été contaminée par les défendeurs, à laquelle s’ajoute les intérêts depuis le 16 juillet 2007. La période de réclamations individuelles se conclura le 15 janvier 2023.
    SOURCE : Raymond Chabot Grant Thornton