(Rouyn-Noranda) « On y pense souvent », dit Mélissa Milhomme à propos de l’idée de quitter le quartier Notre-Dame.
La jeune mère de famille, son conjoint Maxime Leblanc et leurs quatre enfants vivent à un pâté de maisons de la Fonderie Horne.
Mais trouver un autre logement est ardu à Rouyn-Noranda, où le taux d’inoccupation atteint un creux historique, à 0,3 %, selon les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement.
« T’es chanceux si tu as un loyer », résume Maxime.
D’autant qu’avec des enfants, « tout de suite, t’es disqualifié, tu ne te fais pas rappeler », déplore-t-il, alors qu’on entend le sifflet d’un train effectuant des manœuvres sur le terrain de la fonderie.
La petite famille profitait du soleil à l’extérieur lors du passage de La Presse, lundi, une rare journée où « ça ne goûte pas la mine », dit le père de Maxime, qui habite la maison voisine.
L’expression consacrée, à Rouyn-Noranda, décrit « le goût de soufre dans la bouche » que provoquent les émissions de la fonderie, certains jours, en fonction des conditions atmosphériques, explique Mélissa.
Au début de l’été, on reçoit des lettres [des autorités] disant de fermer les fenêtres, les portes.
Mélissa Milhomme, résidante du quartier Notre-Dame
Des représentants de la fonderie passent même parfois offrir des bons pour faire nettoyer, traiter, voire repeindre les voitures endommagées par les retombées toxiques, s’insurge Maxime.
« C’est du front tout le tour de la tête, ça ! », lance-t-il.
« Si on tombe malades, ils ne nous soignent pas, nous autres », ajoute Mélissa.
Le jeune couple jongle aussi avec l’idée de partir à l’extérieur de la ville, mais les loyers sont chers et une telle décision aurait des conséquences sur l’écosystème familial.
On a des jobs, des écoles, des garderies. C’est bien beau déménager, mais tu scrappes tout le reste.
Maxime Leblanc
Le couple estime que la véritable solution serait que la fonderie se conforme à la norme québécoise qui limite les concentrations d’arsenic à 3 nanogrammes par mètre cube d’air (ng/m3), plutôt qu’à la permission spéciale que lui accorde Québec de générer des concentrations de 100 ng/m3 parce qu’elle était en activité avant l’adoption de la norme.
« C’est un droit acquis de tuer le monde à petit feu ! », s’indigne Maxime.
Lisez la liste de gestes préventifs de la Direction de santé publique de l’Abitibi-TémiscamingueLoin des vents dominants
Rester près de la fonderie n’était pas une option pour Jean-François Beaulé et Janie Bolduc.
« Le goût de la mine, je ne suis plus capable », lance Janie, que La Presse a rencontrée sur le chantier de la future maison du couple à Évain, à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Rouyn-Noranda.
Le choix de cette petite localité, aujourd’hui fusionnée à Rouyn, n’a rien du hasard : elle ne se situe pas dans le corridor des vents dominants qui charrient les contaminants de la Fonderie Horne.
« On ne veut plus en avoir sur la tête », tranche Jean-François.
Le couple a acheté ce terrain bucolique il y a un peu plus de deux ans, après avoir appris les résultats de l’étude de biosurveillance menée par la Direction de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue sur l’imprégnation à l’arsenic de la population du quartier Notre-Dame, à laquelle il avait participé.
« Moi, j’avais quatre fois la dose [comparativement à la population non exposée d’Amos] », lance Jean-François.
Janie et Jean-François avaient autrefois choisi de s’établir dans le quartier Notre-Dame pour être près de l’hôpital ; elle y travaille comme infirmière et lui y a été inhalothérapeute pendant 20 ans.
Leurs deux enfants, aujourd’hui adolescents, sont nés avec un petit poids, dont la dernière par césarienne d’urgence à 36 semaines de grossesse.
Les concentrations d’arsenic dans l’air aux abords de la fonderie, qui dépassaient les 1000 ng/m3 au début des années 2000, y sont possiblement pour quelque chose, estime aujourd’hui le couple, qui se rappelle qu’« à l’époque, on ne se posait pas la question ».
On restait à côté et on en a eu deux [enfants de petit poids].
Jean-François Beaulé
Le couple a très hâte de s’installer dans sa nouvelle maison, après les Fêtes, si tout va rondement.
« Ça va être incroyable ! », lance Jean-François, évoquant l’odeur agréable qui émane des lieux quand il pleut, alors que sa fille Adèle revient avec des bleuets sauvages cueillis sur le terrain.
Janie est aussi très enthousiaste, mais anticipe « un deuil à faire de la ville », qu’elle apprécie énormément, malgré les inconvénients devenus trop nombreux.
« Rouyn-Noranda, si tu enlèves la fonderie, c’est une ville exceptionnelle », lance Jean-François.
Une médecin inquiète
La qualité de l’air de Rouyn-Noranda doit changer si la ville veut éviter de voir trop de résidants plier bagage et réussir à attirer la main-d’œuvre dont elle dit tant manquer, estiment de nombreux Rouynorandiens et Rouynorandiennes.
« Ça n’a plus d’allure que ça continue comme ça », lance la Dre Clodel Naud-Bellavance, jeune médecin de famille native de Rouyn, qui y pratique depuis 2017.
Elle-même a déjà songé à aller vivre ailleurs, confie-t-elle.
« Ça m’inquiète comme n’importe quel habitant de la ville », dit la médecin, mère de deux jeunes enfants.
On respire le même air, ça concerne tout le monde.
La Dre Clodel Naud-Bellavance
Plutôt que de partir, Clodel Naud-Bellavance a choisi de prendre la parole publiquement « pour faire changer les choses », notamment depuis la publication, en mai, de données de la Direction régionale de santé publique montrant que l’espérance de vie est plus faible à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec et que les cas de cancer du poumon, les retards de croissance intra-utérins et les maladies pulmonaires obstructives chroniques (MPOC) y sont plus fréquents.
Lisez l’article « Espérance de vie : Rouyn-Noranda en queue de peloton »Québec doit intervenir pour que les normes soient les mêmes à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec, pour tous les contaminants, plaide la jeune femme, qui fait partie des signataires de la lettre ouverte envoyée dimanche par une cinquantaine de médecins de Rouyn-Noranda et d’ailleurs en Abitibi-Témiscamingue au premier ministre François Legault.
Lisez l’article « Cri du cœur des médecins »« On ne veut pas qu’il y ait une norme différente ici, qui soit plus élevée qu’ailleurs, ce n’est pas équitable pour notre population », dit-elle.
La médecin regrette que les émissions polluantes de la Fonderie Horne portent atteinte à l’« extraordinaire qualité de vie » qui prévaut à Rouyn-Noranda.
« On a cette industrie-là qui vient ternir le portrait de notre si belle région. »
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- 1170 ng/m3
- Concentration record d’arsenic dans l’air enregistrée en 2021 aux abords de la Fonderie Horne
Source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques