La pénurie de logements qui frappe le Québec est loin d’être un problème strictement montréalais, bien au contraire. Chaque région compose avec des défis et des réalités qui lui sont propres. La Presse se penche sur le cas de trois villes où la situation est particulièrement critique. Aujourd’hui : Joliette.

(Joliette) Depuis des semaines, le téléphone des organismes communautaires de Joliette sonne sans arrêt. Les résidants qui craignent de se retrouver à la rue le 1er juillet se comptent désormais par dizaines.

Avec un taux d’inoccupation de 0,5 %, la municipalité est l’une des plus atteintes par la crise du logement dans la province. Ce chiffre était de 4,3 % en 2017. La chute a été brutale. « Concrètement, c’est peut-être 100 portes de logement que ça nous prendrait pour le 1er juillet de cette année », estime Marie-Ève Ducharme, directrice générale de l’Association pour les jeunes de la rue de Joliette.

« Tous les jours, notre équipe d’intervenants reçoit des appels de personnes qui cherchent un logement », témoigne-t-elle.

Convoitée pour son accès aux services de santé et d’éducation postsecondaire, Joliette accueille notamment des étudiants et des personnes âgées venant des régions voisines. La montée en popularité du télétravail a aussi contribué à l’exode des Montréalais vers les régions, note Pierre-Luc Bellerose, maire de la ville.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Joliette accueille notamment des étudiants et des personnes âgées venant des régions voisines.

« On a vraiment un défi de taille. Il y a plusieurs chantiers qui sont abordés par le conseil municipal en ce sens », assure-t-il. M. Bellerose signale entre autres des projets de construction qui pourraient permettre la création de 2000 logements au cours des 10 prochaines années.

Un réseau d’aide débordé

Malgré les efforts de la municipalité, le problème demeure manifeste pour l’instant.

Selon les appels reçus par l’Office municipal d’habitation de Joliette (OMHJ), 78 ménages devront quitter leur logement au 1er juillet dans la MRC. « La demande excède la capacité », observe le directeur général de l’OMHJ, Michel Savignac. Sur les 427 logements que possède l’Office, aucun n’est libre actuellement et la liste d’attente s’élève à environ 200 demandes.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Renaud Strasbourg, du service d’aide de l’Office municipal d’habitation de Joliette, et Michel Savignac, directeur général

« On essaie de voir auprès des hôtels et de certains propriétaires dans le privé qui pourrait être disposé à prendre des locataires », affirme Renaud Strasbourg, du service d’aide de l’OMHJ. Jusqu’à présent, il ne connaît malheureusement pas beaucoup de succès.

Parmi les raisons qui expliquent pourquoi les locataires sont évincés, plusieurs mentionnent les reprises de logement par les propriétaires pour faire des rénovations ou parce que le locataire n’avait pas la capacité de payer son loyer, selon Renaud Strasbourg.

Des loyers hors de prix

La hausse des prix est l’un des enjeux majeurs qui inquiètent Amélie Pelland, d’Action-Logement Lanaudière. De janvier à mai, l’organisme communautaire de défense individuelle et collective des droits calcule que 48 ménages ont fait l’objet d’une augmentation de loyer abusive dans la MRC.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Amélie Pelland, d’Action-Logement Lanaudière

On n’a jamais eu autant d’appels pour des hausses de loyer abusives. Et par hausses abusives, on entend souvent des hausses de 60 $ et plus par mois.

Amélie Pelland, d’Action-Logement Lanaudière

Mme Pelland remarque que la crainte de perdre leur logement s’accentue chez les locataires. « Les gens ont tellement peur qu’ils sont prêts à accepter de vivre dans des conditions exécrables. On a des gens qui n’ont pas accès à l’eau potable. Ils n’osent pas se plaindre de peur de subir de l’intimidation de la part du propriétaire. »

« Des personnes âgées, des personnes seules, des familles se retrouvent à la rue, demeurent dans leur véhicule ou sont reprises en charge par des proches, pour celles qui sont chanceuses », note-t-elle encore.

Kathleen Marcil est dans cette situation. Cette mère d’un bébé de 21 mois, divorcée en début d’année, se retrouve dans l’incapacité de payer un loyer à Joliette. Elle a dû retourner vivre chez sa mère en Mauricie. « Les prix des loyers sont rendus hallucinants. Il a fallu que je quitte mes amis, ma famille pour changer complètement de région pour ne pas finir dans la rue avec ma fille. »

Des demandes claires et répétées

Pour permettre aux locataires de s’en sortir, Amélie Pelland implore le gouvernement d’agir. « Les lois actuelles ne sont pas suffisantes pour protéger les locataires », soutient-elle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Des logements sociaux en rénovation à Joliette

Elle demande notamment l’implantation d’un registre des loyers ainsi que l’abolition de la section F des baux qui permet aux propriétaires d’un nouveau bâtiment d’augmenter les prix sans contrainte dans les cinq premières années. « À défaut d’obtenir l’abolition, on demande d’avoir un projet de loi qui permet de contester l’augmentation », précise-t-elle.

La création de logements sociaux devrait aussi être au cœur des solutions, estime la députée de Joliette, Véronique Hivon. « Pour avoir une offre qui a du sens, il faut créer plus de logements sociaux. Si le gouvernement s’était mis à la tâche quand il est arrivé en poste, il y a quatre ans, on les verrait, ces milliers d’unités qui sont nécessaires. »

« Les organismes se retrouvent avec énormément de poids sur les épaules, poursuit Mme Hivon. Je pense que l’aide devrait être beaucoup plus importante de la part du gouvernement pour des municipalités de plus petite taille comme la nôtre qui n’ont pas toutes les infrastructures des grandes villes. »

Mentionnons par ailleurs que le gouvernement du Québec a annoncé mercredi la construction de 3000 logements abordables d’ici cinq ans. La députée de Joliette redoute que ce nouveau programme ne profite surtout aux grandes villes de la province.

En savoir plus
  • 20 571
    Nombre de résidants de Joliette en 2021
    Source : Corporation de développement économique de la MRC de Joliette