Ce n’est pas seulement dans les couronnes nord et sud de Montréal que la résistance à la densification se manifeste. Cette bataille a également lieu dans l’île – dans ses villes de banlieue et même ses quartiers centraux. La Presse fait le tour du dossier… et le tour de l’île.

Pointe-Claire : « Les gens veulent une banlieue, pas un centre-ville »

Pointe-Claire a gelé un projet de construction de tours résidentielles, pas dans un bois, pas dans une zone humide, mais dans le stationnement du centre commercial Cadillac Fairview Pointe-Claire, à côté d’une station du futur Réseau express métropolitain (REM) et au bord d’une autoroute. Pourquoi ?

La position du maire de Pointe-Claire, Tim Thomas, est limpide : il a stoppé la densification parce que c’est ce que souhaitent les citoyens qui l’ont porté au pouvoir en novembre 2021.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Tim Thomas, maire de Pointe-Claire

« La densification, c’est peut-être pour une autre ville, mais pas la nôtre », déclare-t-il en entrevue avec La Presse.

En 2021, M. Thomas a fait campagne en promettant de freiner la densification. Il a gagné par une maigre avance de 61 voix sur le maire sortant, John Belvedere, qui voulait faire de Pointe-Claire le centre-ville du West Island. Pour lui, les 33 000 habitants que compte sa ville sont amplement suffisants.

  • Le vieux Pointe-Claire

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le vieux Pointe-Claire

  • Le vieux Pointe-Claire

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le vieux Pointe-Claire

  • Le club nautique de Pointe-Claire

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le club nautique de Pointe-Claire

1/3
  •  
  •  
  •  

« Les anciens étaient trop pour le développement », estime le maire de 62 ans, passionné de politique, qui a été tour à tour professeur d’université, analyste politique du Conseil privé pour le gouvernement de Jean Chrétien et propriétaire d’un magasin d’antiquités. « We developed the city trop vite », dit-il.

C’est ce qui explique que, lorsque nous l’avons interrogé sur sa vision de l’avenir de Pointe-Claire, il a répondu : « Ma vision est la vision des citoyens, c’est aussi simple que ça. » Et lorsque nous lui avons demandé si, lui, avait une vision, il a répondu : « Pas vraiment, pas vraiment. Je suis un démocrate, je respecte les citoyens. »

« Les gens veulent une banlieue, pas un centre-ville, a-t-il poursuivi. La plupart de nos citoyens voudraient des espaces verts, pas des gros buildings. Cadillac Fairview est propriétaire des terrains. Il a des droits, mais les citoyens ont des droits aussi. Alors, c’est un échange. »

Inaction reprochée

La résolution adoptée en février par le conseil municipal pour bloquer des projets de construction a été remplacée en mai par un règlement de contrôle intérimaire, le « temps de poursuivre la réflexion sur l’aménagement du territoire » et d’accoucher d’un nouveau plan d’urbanisme. Des consultations publiques sont prévues à l’automne.

Le problème, selon le conseiller Brent Cowan, c’est que l’administration municipale traîne les pieds. Dans une lettre ouverte adressée au maire et transmise à La Presse, il déplore l’inaction de la Ville dans ce dossier.

« Sept mois après votre élection, vous n’avez même pas encore fini de définir le tout début du processus qui doit durer deux ans, écrit-il. La seule conclusion qu’on puisse tirer, c’est que votre administration, sans point de départ, ne puisse avoir un point d’arrivée en vue. »

M. Cowan craint que de nouvelles poursuites soient intentées contre la Ville. « Le demi-million de dollars que vous avons prévu cette année pour les frais juridiques n’est peut-être que la pointe de l’iceberg », note-t-il.

  • La future station du REM de Pointe-Claire, dans le stationnement du centre commercial Fairview

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    La future station du REM de Pointe-Claire, dans le stationnement du centre commercial Fairview

  • Aperçu du centre commercial Fairview Pointe-Claire

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Aperçu du centre commercial Fairview Pointe-Claire

1/2
  •  
  •  

Le propriétaire du centre commercial Cadillac Fairview Pointe-Claire a en effet entrepris en mars des actions en justice contre la Ville de Pointe-Claire. Il allègue que « la volte-face de la Ville […] est contraire à ses promesses et représentations au fil des ans ».

Le promoteur Sotramont songe aussi à poursuivre. La troisième et dernière phase de son projet résidentiel locatif, approuvé dans son ensemble, vient d’être bloquée.

« Zéro réponse »

« Il y a zéro réponse actuellement dans cette ville-là, dénonce Raymond Paré, copropriétaire de Sotramont. C’est assez improvisé, merci. Et on ne parle pas de petits investissements ! »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Brian Salpeter, vice-président principal du développement de l’est du Canada, Cadillac Fairview

« Tout est gelé, confirme Brian Salpeter, vice-président principal du développement de l’est du Canada, Cadillac Fairview. Il n’y a aucune réponse à plusieurs demandes de rencontres avec la Ville depuis le 8 février. C’est la première fois en 57 ans que la Ville refuse de nous parler. »

Le projet de Cadillac Fairview consiste à construire, sur une partie du stationnement du centre commercial, deux immeubles résidentiels locatifs de 25 étages, une tour de 20 étages pour les personnes âgées, une épicerie, des restaurants et une grande place publique de 50 000 pi⁠2, conçue par Claude Cormier, un architecte paysagiste réputé qui a imaginé l’anneau géant qui flotte désormais au-dessus de l’esplanade de Place Ville Marie.

On est à côté de l’autoroute, dans une mer de stationnements, on a le REM juste à côté, on est loin des petites maisons d’habitation. Nous ne viendrons pas, en aucune façon, opprimer les résidants. On n’est pas dans leur bulle. On est juste à côté, voisin des branchements d’autoroute. Le trafic est à côté de nous.

Claude Cormier, architecte paysagiste

« Un privilège »

Danielle Pilette, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, est sensible aux inquiétudes de Pointe-Claire : « On dit aux villes : vous allez faire votre planification urbaine en fonction du REM qu’on vous a imposé. Et vous allez densifier et vous allez changer votre vocation. Alors qu’eux, ils ont préservé jalousement leur vocation jusqu’à présent. Eux, surtout, ne se voient pas comme une ville de masse. Ils sont une communauté. »

D’autres experts interrogés par La Presse ne partagent toutefois pas ce point de vue.

« Pointe-Claire, c’est un cas typique d’élus qui ne comprennent pas les enjeux, qui ont le bonheur d’accueillir une station, mais qui ne permettent pas au quartier de se développer », explique Emmanuel Cosgrove, directeur général de l’organisme Écohabitation.

Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, va plus loin. « Pointe-Claire a un privilège d’avoir une station de REM sur son territoire et ce REM-là, ce n’est pas le REM des gens de Pointe-Claire, c’est le REM des citoyens du Québec d’aujourd’hui et surtout de demain », dit-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal

Donc, il faut trouver des mécanismes pour forcer les municipalités à permettre la construction immobilière dans un rayon d’un kilomètre autour des stations.

Jean-Philippe Meloche, professeur à l’Université de Montréal

Selon Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, « le désir de rester une ville de niche est illégitime ».

« Ça constitue un privilège qui ne peut pas être maintenu, affirme-t-il. Une ville, c’est toujours en évolution. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Christian Savard, directeur général de Vivre en ville

Et si on veut minimiser l’impact environnemental et l’impact financier, nos villes doivent évoluer et se densifier. Le droit de rester une ville de bungalows éternellement n’existe pas.

Christian Savard, directeur général de Vivre en ville

M. Savard ajoute que le gouvernement de la Colombie-Britannique impose les densités autour des stations lorsqu’il finance un projet de transport collectif. À Vancouver, où une nouvelle ligne de métro est en construction, « c’est une condition à l’attribution des fonds ».

Québec devrait-il faire pareil ? M. Savard croit qu’il ne pourra faire autrement. « Il va falloir l’envisager si on veut que les choses progressent. »

Les points chauds de résistance

PHOTO SIMON GIROUX, ARCHIVES LA PRESSE

Rue du centre de Mont-Royal, ville dont le maire s’est opposé au volet résidentiel du projet Royalmount.

Il y a des mouvements de résistance partout dans l’île de Montréal. Les réflexes du « pas dans ma cour » prennent de multiples formes. Mais ils ont tous un point commun : une crainte des citoyens que la densification bouscule leur environnement et leur mode de vie.

Montréal-Est : la densité revue à la baisse

Anne St-Laurent, mairesse de Montréal-Est, s’est aussi fait élire en promettant de stopper la densification.

  • À Montréal-Est, le quartier résidentiel représente 9 % du territoire de la ville.

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, 
COLLABORATION SPÉCIALE

    À Montréal-Est, le quartier résidentiel représente 9 % du territoire de la ville.

  • À Montréal-Est, le quartier résidentiel représente 9 % du territoire de la ville.

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, 
COLLABORATION SPÉCIALE

    À Montréal-Est, le quartier résidentiel représente 9 % du territoire de la ville.

  • Le reste du territoire est largement industriel.

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, 
COLLABORATION SPÉCIALE

    Le reste du territoire est largement industriel.

1/3
  •  
  •  
  •  

En entrevue avec La Presse, elle explique : « Oui à la densification, mais surtout à la qualité de vie actuelle des citoyens. J’avais mis dans mon programme, comme premier engagement, que je refaisais le zonage du quartier résidentiel. »

Ce quartier représente 9 % du territoire de la ville de 4000 habitants, largement industrielle. La densité de Montréal-Est est de 315 habitants par kilomètre carré, comparativement à 4881 à Montréal.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, 
COLLABORATION SPÉCIALE

Anne St-Laurent, mairesse de Montréal-Est

L’ancien maire, Robert Coutu, voulait densifier, densifier, densifier. Il voulait atteindre le 5000 de population. Moi, je suis très satisfaite de ce que j’ai aujourd’hui. Très, très satisfaite. Je n’en demande pas plus que ça.

Anne St-Laurent, mairesse de Montréal-Est

Sous son administration, le nombre de logements permis dans les nouveaux projets est passé de huit à quatre, dans plusieurs secteurs.

« On a pris les rues, l’une après l’autre, détaille Mme St-Laurent, qui a fait carrière dans les banques. On disait qu’est-ce qu’il y a sur la rue : du duplex, du triplex, pas de quatre logements, pas de huit logements. Ce qui fait qu’on a zoné ça H1, H2, H3 : unifamilial, duplex, triplex. Chaque rue a été analysée et zonée en fonction de sa situation. On a protégé les rues où il y avait juste de l’unifamilial. »

La densification n’est pas exigée par l’agglomération de Montréal, affirme-t-elle. « C’est demandé. »

Mont-Royal : la résistance de la cité-jardin

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le projet Royalmount en construction, à l’intersection des autoroutes 15 et 40

Peter Malouf, maire de Mont-Royal, avait aussi fait de la densification l’un des éléments centraux de sa campagne.

Une fois au pouvoir, il a signé l’arrêt de mort du volet résidentiel du projet Royalmount, en construction à l’intersection des autoroutes 15 et 40.

« Pour moi, la préoccupation, c’est la circulation, explique-t-il. J’ai demandé aux promoteurs comment ils allaient résoudre ça. Ils m’ont fait une présentation, mais ils n’ont pas l’approbation du ministère des Transports ni de la Ville de Montréal. Tu peux faire toutes sortes de plans, mais si tu n’as pas de permis, good luck ! »

Un autre dossier le préoccupe : le REM. Mont-Royal accueillera deux stations sur son territoire.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Peter Malouf, maire de Mont-Royal

On est une petite ville qui va avoir 550 trains par jour. C’est malade ! Et ils n’ont pas considéré de l’enfouir. Pour moi, c’est inacceptable.

Peter Malouf, maire de Mont-Royal

Prévoit-il densifier autour des futures stations ? « Dans le centre de Mont-Royal, il n’y a pas vraiment de place pour ajouter des résidants, répond le maire. Peut-être dans le périmètre, mais pas dans le centre. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Emmanuel Cosgrove, dirigeant d’Écohabitation

Emmanuel Cosgrove, d’Écohabitation, ne s’étonne pas de cette réponse. « Mont-Royal est une ville où les revenus par ménage sont assez élevés et où il y a une vision urbanistique des années 1950, dit-il. C’était visionnaire comme quartier à l’époque. Mais c’est sûr que les citoyens vont s’opposer aux nouvelles façons de faire. »

Hochelaga : la lutte militante

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Manifestation l’automne dernier contre le projet Canoë, qui prévoit la construction de 1000 logements dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve

La lutte contre la densification se voit aussi dans les quartiers centraux. À Hochelaga-Maisonneuve, par exemple, des militants anti-embourgeoisement s’opposent au projet Canoë, piloté par Rachel Julien.

Cet ensemble de 350 millions, situé sur le terrain de l’ancien centre Pro Gym, mise sur la construction de près de 1000 logements, dont 20 % de logements abordables et 20 % de logements sociaux, des commerces de proximité, des espaces verts et communautaires, un CPE, des rues piétonnes, etc.

« La densification, ce n’est pas juste des tours étagées, rappelle Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec. Ça peut être tout simplement un quartier beaucoup plus compact, pourvu qu’on augmente le nombre de citoyens par kilomètre carré. »

C’est une façon de développer le territoire de façon beaucoup plus optimale, de réduire les distances de parcours véhiculaires, d’avoir un transport collectif plus rentable et intéressant. Il y a beaucoup de mérite à la densification.

Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec

Emmanuel Cosgrove, d’Écohabitation, constate par contre que dans certains cas, l’embourgeoisement peut nuire à la densification. « Des demandes de conversion se traduisent par une baisse de la densité de population au mètre carré, explique-t-il. Là où habitaient six personnes auparavant, on peut en trouver deux, maintenant. »

L’impact est d’autant plus sérieux que le processus se fait à sens unique : « On peut convertir le duplex en unifamiliale, mais le contraire n’est pas permis. »

Bridge-Bonaventure : la guerre des hauteurs

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Présentation par les promoteurs du projet de réaménagement du secteur Bridge-Bonaventure, le 31 mai dernier

Le réaménagement du secteur Bridge-Bonaventure, entre le Vieux-Montréal et Pointe-Saint-Charles, fait aussi l’objet d’une opposition citoyenne. Mais il est surtout au cœur d’un désaccord avec la Ville sur la densité.

Le promoteur mise sur la construction de 7500 habitations. De son côté, la Ville de Montréal ne veut y autoriser que 3800 logements.

Les promoteurs, au nom de la densification, estiment que la construction en hauteur permet de réduire les coûts et d’augmenter les espaces verts, tandis que la Ville craint que ces élévations ne soient pas à échelle humaine.

« Ce qui crée la valeur des logements, en gros, c’est ce à quoi les logements donnent accès : l’emploi, la consommation, une qualité de vie, explique Jean-Philippe Meloche, de l’Université de Montréal. Il y a des lieux qui offrent beaucoup d’occasions et il faut les partager avec un nombre de plus en plus grand de personnes. Si on n’est pas capable d’augmenter l’offre, éventuellement, la demande continue d’augmenter, et ces logements-là deviennent hors de prix. »