Il y a 51 ans, 31 personnes périssaient et 42 maisons étaient englouties par un immense glissement de terrain à Saint-Jean-Vianney, un drame dont la ville voisine de Saguenay a pu tirer des leçons qu’elle a appliquées récemment lors de l’évacuation de centaines de résidants à La Baie.

Assis dans le salon de leur maison d’Arvida, construite à Saint-Jean-Vianney et déplacée après le drame comme des centaines d’autres dans le quartier, Gilles Gaudreault et Yolande Fortin se souviennent de la nuit du 4 au 5 mai 1971 comme si c’était hier.

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Gilles Gaudreault et Yolande Fortin ont survécu au glissement de terrain de Saint-Jean-Vianney en 1971.

De nombreux signes avant-coureurs laissaient présager la catastrophe à venir, se remémore le couple. Des signes qui, s’ils avaient été bien lus, auraient peut-être permis d’éviter le pire, selon eux.

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Yolande Fortin, sinistrée de Saint-Jean-Vianney

« Une terre avait déboulé une semaine avant, les enfants disaient sentir le sol quand ils jouaient dans la rue, d’autres avaient des vitres cassées, leurs portes n’ouvraient plus », énumère Gilles Gaudreault. Si on avait été une municipalité avec un ingénieur civil […] s’ils s’en étaient occupés, on aurait été évacués avant, on n’aurait pas eu de problèmes. »

La ville ayant été fermée sur les ordres du gouvernement de Robert Bourassa après le glissement de terrain, il ne reste presque plus rien aujourd’hui de Saint-Jean-Vianney, à l’exception des marches du perron de l’église.

IMAGE FOURNIE PAR BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC

La une de La Presse du 10 mai 1971, où l’on voit Yolande Fortin en pleurs descendre les marches de l’église de Saint-Jean-Vianney, à l’occasion de la dernière messe célébrée dans le village

Ces mêmes marches qu’a descendues en larmes Yolande Fortin le 9 mai 1971 à l’occasion de la dernière messe célébrée dans le village. « Je disais : “S’il veut qu’on y retourne, je demande le divorce” », se remémore-t-elle aujourd’hui en riant.

Mais à l’époque, son sentiment de détresse traduisait bien l’état d’esprit des sinistrés.

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Gilles Gaudreault, sinistré de Saint-Jean-Vianney

Personne n’a voulu rester là. Ceux qui sont restés là un petit bout de temps vivaient de la peur.

Gilles Gaudreault, sinistré de Saint-Jean-Vianney

Sauver des vies

Au moment de déclarer l’état d’urgence dans sa ville lundi dernier, la mairesse de Saguenay, Julie Dufour, a rappelé les leçons apprises du drame de Saint-Jean-Vianney, reconnu l’an dernier comme « évènement historique national » par Québec.

« Ces 31 décès-là permettent aujourd’hui d’avoir sauvé 200 personnes […] Donc, lorsqu’on dit que l’expertise des villes et des gouvernements grandit, je pense que [La Baie] c’en est un bon exemple », souligne la mairesse.

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Julie Dufour, mairesse de Saguenay

À Saint-Jean-Vianney, les premiers indices d’un potentiel glissement de terrain avaient été répertoriés par les autorités 10 jours avant le drame du 4 mai 1971, rappelle le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en prévision et prévention des risques liés aux aléas hydrogéotechniques, Ali Saeidi.

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La nature a repris ses droits à Saint-Jean-Vianney, laissant peu de traces du village fermé sur l’ordre du gouvernement de Robert Bourassa après le glissement de terrain de 1971.

Il s’agit de l’élément déclencheur qui a convaincu le ministère du Transport du Québec (MTQ) de se doter d’une équipe spécialisée en mouvement de terrain, dont les connaissances ont été perfectionnées au fil des ans, ajoute-t-il.

À La Baie, après une première visite du MTQ sur les lieux, le 26 avril dernier, l’évacuation des premières résidences a été presque immédiate. Cette décision a sauvé des vies, selon l’ingénieur Denis Demers.

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Seuls les marches du perron de l’église et un monument inauguré à l’occasion du 50e anniversaire de la tragédie rappellent l’existence de Saint-Jean-Vianney.

Depuis 2008, en collaboration avec le MTQ, la Ville de Saguenay a déterminé quels sont les terrains les plus à risque sur son territoire. Ceux-ci sont maintenant inspectés de façon systématique au printemps et en début d’été, une période propice aux glissements de terrain, ce qui a permis d’en prévenir une dizaine depuis.

« Ce sont des cas dont on n’entend juste pas parler », a résumé Denis Demers, mercredi, après avoir rencontré les sinistrés de La Baie pour leur expliquer comment se dérouleront les travaux qui leur permettront de réintégrer leur maison.

Préparées pour une guerre nucléaire

Moins d’une semaine après l’évacuation de 53 résidences, des appartements pour tous les sinistrés avaient aussi été trouvés grâce à l’aide de l’Office municipal d’habitation.

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Dans la rue d’Arvida où résident Gilles Gaudreault et Yolande Fortin, toutes les maisons proviennent de Saint-Jean-Vianney, d’où elles ont été déménagées après le glissement de terrain de 1971.

Dépêché d’urgence d’Arvida en 1971 pour prendre soin des sinistrés de Saint-Jean-Vianney, l’ancien fonctionnaire au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) Roger Flaschner se rappelle à quel point les autorités municipales étaient alors dépourvues par rapport à aujourd’hui.

« Les plans d’urgence des municipalités, c’était pour des catastrophes nucléaires. On leur donnait un compteur Geiger pour mesurer le taux de radioactivité et c’était pas mal tout, même que des fois, elles ne savaient plus il était où », s’exclame l’homme, aujourd’hui déménagé à Québec.

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Roger Flaschner, ancien fonctionnaire du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec à l’origine d’une réforme des plans d’urgence des municipalités à la suite du drame de Saint-Jean-Vianney en 1971

En cas de guerre nucléaire, le fédéral donnait des hôpitaux d’urgence, des kits pour faire à manger. Il y avait de l’argent, mais ça ne servait pas.

Roger Flaschner, ancien fonctionnaire du MSSS

À la suite du drame de Saint-Jean-Vianney, il a entrepris une tournée des municipalités du Québec pour les aider à mettre à jour leurs plans d’urgence. S’en est suivie une petite révolution dans le domaine.

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Glissement de terrain à Saint-Jean-Vianney, au début du mois de mai 1971

L’idée : organiser les services sociaux en fonction des désastres « qui nous pendent au bout du nez », dit Roger Flaschner en plaidant l’importance de réaliser des études de vulnérabilité propres à chaque ville.

« En Gaspésie, dans la plupart des villages, le danger, c’était des tempêtes de neige. Il y a des femmes qui se rendaient ailleurs un mois d’avance, parce qu’elles avaient peur que l’ambulance ne puisse pas passer le jour de leur accouchement. Il fallait se préparer pour des situations comme celle-là », explique-t-il.

En 2013, le MSSS a mis sur pied les prix Roger-Flaschner pour souligner « l’apport exceptionnel des acteurs de la sécurité civile » du réseau de la santé.