(Québec) Les médecins qui administreraient l’aide médicale à mourir après une demande anticipée – comme le prévoit le projet de loi 38 – s’exposent à des risques de poursuite si le Code criminel n’est pas modifié avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, prévient le Barreau du Québec.

« Placez-vous à la place des professionnels compétents s’ils sont dans une zone grise et qu’ils [risquent] de commettre un acte criminel, ce qui n’est pas rien, qui peut entraîner de la prison, ce n’est pas la situation idéale pour donner accès à l’aide médicale à mourir anticipée », a déclaré mardi la secrétaire du Barreau, MSylvie Champagne, lors du passage de l’ordre professionnel devant les parlementaires.

Le Barreau a mis en garde les élus contre les « risques » de l’entrée en vigueur du projet de loi 38, qui vise l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir, sans modification préalable du Code criminel. Le texte législatif doit permettre aux personnes souffrant d’une maladie incurable et grave, comme l’alzheimer, de formuler une demande anticipée, un enjeu qui fait consensus au Québec.

Or, le Code criminel ne prévoit que deux exceptions où l’aide médicale à mourir peut être administrée sans le consentement contemporain : lorsque la personne renonce au consentement après une perte de capacité ou lorsque la personne perd conscience au cours d’une auto-administration.

« Outre ça […] il n’y a pas de possibilité d’administrer l’aide médicale à mourir sans le consentement contemporain », soutient le Barreau.

Un peu plus tôt, le Collège des médecins a fait valoir que l’absence de mécanisme pour les demandes anticipées dans le Code criminel rend carrément « inapplicables » ces dispositions du projet de loi. Selon la Chambre des notaires, ce que contient le projet de loi actuellement « est extrêmement dangereux » pour le médecin ou le professionnel qui administrerait l’aide médicale à mourir anticipée.

« Qu’est-ce qu’on peut faire en attendant ? », a demandé le ministre Christian Dubé, qui a dit vouloir trouver une façon de « contourner le problème ». Il a évoqué la possibilité d’indiquer au texte législatif « une date d’application différée du projet de loi » ou « de s’entendre avec les procureurs [pour éviter que] des mesures […] de contravention au Code criminel [soient] appliquées ».

Le Collège des médecins, le Barreau et la Chambre des notaires recommandent à Québec d’aller malgré tout de l’avant avec l’adoption du projet de loi, mais d’activer par décret les dispositions sur les demandes anticipées seulement lorsque le Code criminel aura été amendé. « C’est la partie que j’aime moins », a fait savoir M. Dubé.

Ottawa prévoit une mise à jour de sa loi sur l’aide médicale à mourir seulement en mars 2023. Québec n’a aucune garantie que le fédéral procéderait à une modification du Code criminel sur la question des demandes anticipées à ce moment. Attendre que le Code criminel soit modifié pourrait donc signifier que le projet de loi 38 entrerait en vigueur au mieux dans plusieurs mois.

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Véronique Hivon, députée péquiste de Joliette

Véronique Hivon, députée péquiste et marraine de la Loi concernant les soins de fin de vie, n’a pas semblé s’inquiéter outre mesure de ces mises en garde. « Je pense qu’on [est toujours dans notre champ de compétence] avec la demande anticipée », a-t-elle fait valoir mardi.

On est vraiment dans le domaine du Code civil, tout ce qu’une personne inapte peut faire, ne pas faire, donc on pourrait avoir un grand débat constitutionnel, j’en conviens […], mais je pense que c’est important que nous, on soit conscients qu’on a nos compétences en droit civil, en santé et en lois professionnelles.

Véronique Hivon, députée péquiste de Joliette

Mme Hivon a rappelé qu’à l’époque de l’entrée en vigueur de la première mouture de la Loi concernant les soins de fin de vie, il y avait eu un débat similaire sur son application en vertu du Code criminel. La Chambre des notaires a toutefois indiqué que l’on traitait à ce moment de « personnes qui étaient conscientes, aptes jusqu’à la fin », ce qui n’est pas le cas actuellement.

« Qu’est-ce qui arriverait si un citoyen pas très heureux que ce se soit passé dans sa famille décide de porter plainte directement ? Comment ça va être traité ? », a demandé le notaire Jean Lambert.

Le député libéral David Birnbaum a affirmé que cette mise en garde n’était pas « une mince affaire », puisqu’elle vise « le nœud » du projet de loi et des recommandations de la commission spéciale transpartisane sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie. Le député solidaire Vincent Marissal a dit ne pas être d’accord avec la suggestion du Barreau.