Frustrant, désorganisé, chaotique et anxiogène. De nombreux voyageurs, fatigués de se plier à la lenteur de la bureaucratie fédérale, ont ainsi décrit le processus pour renouveler leur passeport canadien.

Au Complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal, plus d’une centaine de personnes patientaient pour un renouvellement de passeport, vendredi matin. À l’ouverture des bureaux de services, soit 8 h 30, l’endroit était déjà bondé. Certains devaient monter à bord d’un avion dès le lendemain, et parfois le jour même.

Je suis ici depuis 4 h 30 du matin. Il y avait déjà 20 personnes devant moi. À ce qu’il paraît, la première personne est arrivée à 1 h 30.

Cloé Giroux, qui part samedi pour la République tchèque

Daphné Gosselin, 18 ans, en était déjà à sa troisième visite. Ses deux premières tentatives ont été infructueuses.

« Mon grand-père est malade en France, il faut que j’aille le visiter. Il a un caillot au cerveau, a-t-elle laissé tomber. Mes parents y sont allés et sont revenus, sans que je puisse partir. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Au Complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal, plus d’une centaine de personnes patientaient pour un renouvellement de passeport, vendredi matin.

Camille Bégin, elle aussi étudiante, part dimanche pour aller passer l’été en Espagne. Elle a démissionné de son travail, fait ses bagages… mais à deux jours du départ, attend toujours un passeport valide.

« Ça rend mon départ chaotique et anxiogène. Je n’ai pas avancé depuis [trois heures], indique-t-elle. Je ne suis vraiment pas bien. »

C’est un peu la jungle. Tout le monde est à bout de nerfs. Il n’y a personne qui aime ça.

Camille Bégin, qui désire renouveler son passeport canadien

Plusieurs failles

L’avis des citoyens sur place est unanime : il y a un manque flagrant d’organisation et de clarté, et les employés ne sont pas assez nombreux pour répondre adéquatement à la demande.

Judd Pierre-Antoine, 20 ans, n’a pas besoin de son passeport pour voyager, mais plutôt pour « envoyer des documents officiels ». Il faisait la queue pour la deuxième journée de suite.

« Je suis arrivé à 5 heures du matin, a précisé le jeune homme. Ils [les employés] ne m’ont pas montré les options. Ils ne sont pas coopérants. Il n’y avait aucune indication. Tu es obligé de demander aux gens pourquoi ils font la file. C’est frustrant. »

Une mère de famille, qui souhaite taire son nom car elle travaille dans la fonction publique, a pris congé vendredi pour venir récupérer son nouveau passeport. Elle n’avait toutefois aucune garantie qu’elle l’aurait reçu en fin de journée.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Plusieurs dizaines de personnes étaient assises par terre, dans des files qui n’avançaient pratiquement pas. D’autres, conscientes qu’elles allaient devoir patienter pendant des heures, avaient apporté leurs chaises de camping.

« Ce qui est surtout fâchant, c’est qu’il n’y a pas d’explications sur le site, a-t-elle soutenu. J’en parlais avec mes amies… on comparait ça aux Douze Travaux d’Astérix. »

Plusieurs dizaines de personnes étaient assises par terre, dans des files qui n’avançaient pratiquement pas. D’autres, conscientes qu’elles allaient devoir patienter pendant des heures, avaient apporté leurs chaises de camping. C’était le cas de Jacob Khayat, étudiant en cinéma.

« C’est plein de frustrations, et on ne sait pas contre qui diriger ça, dénonce-t-il. Ça a l’air tout le temps dans le rush, ce n’est pas le fun. Il n’y a pas de qualité de service. »

Interminable

Actuellement, 44 % des demandes de passeport par la poste nécessitent plus de 40 jours ouvrables, selon des chiffres fournis par Emploi et développement social Canada (EDSC).

Un homme rencontré au Complexe Guy-Favreau, qui n’a pas donné son nom puisqu’il travaille lui aussi pour le gouvernement, a envoyé une demande pour sa fille le 15 mars. Après 56 jours ouvrables, il n’avait toujours reçu aucune nouvelle.

« Je dois partir le 13 juillet, indique cet homme, qui a aussi la nationalité française. Je n’ai même plus confiance. J’ai regardé l’un des comptoirs tantôt : il y avait seulement deux employés. Ce n’est pas normal. Il fallait prévoir et former des gens. »

Pourtant, EDSC assure que Service Canada a embauché 600 nouveaux employés spécialement pour aider au traitement des demandes de passeports.

La Presse a tenté d’obtenir les réactions de EDSC et du Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada. Au moment de publier, aucune des deux organisations n’avait répondu à nos appels.

Avec Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse

En savoir plus
  • 1 273 000
    Nombre de passeports délivrés au Canada entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022. Il s’agit d’une quantité trois fois et demie plus importante que l’année précédente, à pareilles dates.
    Emploi et développement social Canada