(Québec) Le gouvernement Legault doit cesser de porter « des lunettes roses » en matière d’immigration. Refuser d’augmenter à plus de 50 000 personnes le seuil annuel d’immigrants que le Québec accueillera au cours des prochaines années aura des conséquences « graves » sur l’économie et pour les consommateurs, prévient le Conseil du patronat du Québec (CPQ).

Dans cette guerre de chiffres qui oppose depuis des années le secteur économique à la Coalition avenir Québec (CAQ), la position du CPQ est claire : la province doit accueillir un minimum de 80 000 travailleurs immigrants par année d’ici 2026 pour pallier les départs à la retraite et maintenir une croissance économique.

« On peut même tendre jusqu’à 100 000 tellement les besoins sont énormes », déclare Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat, interpellé par le reportage de La Presse sur les besoins criants en matière de travailleurs immigrants dans toutes les régions du Québec.

Méthode de calcul

Son organisation a publié lundi un livre blanc sur l’immigration dans lequel la question du seuil est abordée de front. « Faire ce débat sans en parler, c’est tourner en rond », prévient M. Blackburn.

Pour établir un seuil d’immigrants économiques de 80 000 personnes, le CPQ s’est fié aux chiffres publiés en 2017 par Québec qui calculait les besoins futurs en main-d’œuvre en fonction des départs à la retraite. « Si le gouvernement ne peut plus se fier à ses propres chiffres, à qui peut-on se fier ? », questionne-t-il.

Ainsi, le gouvernement estimait à l’époque qu’il fallait trouver 1,4 million de travailleurs d’ici 2026 et que ces personnes seraient d’abord puisées à 50 % chez les jeunes aux études, à 25 % chez les personnes éloignées du marché du travail (comme les gens ayant un handicap ou les personnes judiciarisées, entre autres), puis à 22 % dans l’immigration.

En fonction de ces ratios, le Québec aurait dû accueillir 64 000 immigrants par année, rappelle le CPQ. Or, le gouvernement Legault a baissé le seuil à 40 000 à son arrivée au pouvoir, en 2018, pour le ramener progressivement à 50 000 au cours des dernières années. Le Conseil du patronat calcule donc que le retard à rattraper doit mener le Québec à accueillir au minimum 80 000 immigrants au cours des prochaines années.

Des conséquences économiques

Si rien n’est fait, Karl Blackburn prévient que les conséquences seront nombreuses pour les consommateurs. « Ils vont continuer à se heurter à des portes fermées et à attendre longtemps avant de recevoir des services comme dans le domaine de la santé, où il y a aussi une grande pénurie de main-d’œuvre », dit-il.

« Les conséquences économiques sont graves. Il y a des entreprises qui, faute de travailleurs, regardent pour relocaliser leur production à l’extérieur du Québec. Il y a des employeurs [un employeur sur deux, selon un sondage du CPQ] qui refusent de nouveaux contrats parce qu’ils n’ont pas la main-d’œuvre pour être capables de les réaliser », ajoute-t-il.

Face à un gouvernement qui fait du rétrécissement de l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario une priorité, la question de l’immigration est centrale, ajoute le CPQ. « Cette pénurie de main-d’œuvre ralentit notre économie qui ne va pas à la vitesse à laquelle elle devrait aller », affirme M. Blackburn.

« Les employeurs ont besoin de main-d’œuvre, les employés sont à bout de souffle et les immigrants désespèrent de recevoir leur résidence permanente. Alors l’heure n’est pas aux grands forums ni à l’attente de consultations sur la prochaine planification pluriannuelle sur les seuils d’immigration. On connaît [les données]. Il faut agir maintenant », affirme-t-il.

Une limite aux gains d’efficacité

L’immigration n’est pas la seule variable qui permettra de trouver une solution au problème de pénurie de main-d’œuvre, convient le Conseil du patronat. Or, les gains en productivité et les améliorations technologiques ne permettront pas d’éviter une hausse significative du seuil d’immigrants, ajoute-t-on.

« Avec un taux de chômage qui est au plus bas, au niveau du plein emploi, ceux qui n’arrivent pas à trouver du travail actuellement n’ont probablement pas les compétences ou la formation nécessaire pour répondre aux besoins du marché du travail », affirme M. Blackburn.

Le président du CPQ invite également les politiciens, qui débattront de l’enjeu au cours des prochaines semaines vers la campagne électorale, à le faire sereinement.

« Pour éviter que les gens paniquent […], l’image d’un arrivage massif de 80 000 personnes du jour au lendemain, qui n’ont pas d’emploi entre les mains, pas de logement, pas de lettre d’embauche, ce n’est plus ça aujourd’hui », dit-il.

« Sur l’échelle de la population générale, 80 000 immigrants sur une population de 8 millions, c’est une goutte d’eau dans l’océan », estime M. Blackburn.